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Cont. Genl., l. ii, c. xciv et xcv, etc. Considérons d’abord l’infaillibilité de la providence et ce en quoi elle diffère de l’infaillibilité de la prédestination.

i" Saint Thomas montre l’infaillibilité de la providence en établissant que rien ne peut arriver en dehors de son ordination ou de sa permission. [ », q. ciii, a. 7 et 8. — La raison en est qu’aucun agent ne peut agir sans le concours de Dieu, cause iiniversalissime de qui dépend l’être en lanl qu’être de toute chose. De la sorte, ce qui s’écarte de l’ordre de la providence sous un point de vue y rentre sous un autre ; ainsi est-il établi de toute éternité que le péché sera justement puni. cr. ibid., a. 7, et a. 8, ad l « n ». En d’autres termes, comme le dit saint Thomas, Conl. Genl., t. III, c. xciv, § 8 : Divina provisio cassari mm potett. Voir aussi, Sum. theol., I a, q. xxii, a. 4, ad 2°m et ad 3° m : Divina providenlia non déficit a suo effectu, neque a modo eveniendi, quern providit.

Cependant, comme le note saint Thomas, De veri(atc, q. vi, a. 1, « dans toute ordination à une fin, il faut considérer et l’ordre o j rapport à la fin, et l’obtention de la fin, car, parmi les êtres qui sont ordonnés à une fin, tous n’y parviennent pas. Or, la providence regarde l’ordre à la fin (et pas toujours l’obtention de la lin) ; c’est ainsi que par elle tous les hommes sont ordonnés à la béatitude ; la prédestination regarde non seulement l’ordre à la fin, mais l’obtention de cette fin ; aussi ne porte-t-elle que sur ceux qui seront sauvés. »

Ce texte s’oppose-t-il aux précédents ? Nullement. Il suffit de remarquer, comme l’ont fait bien des thomistes, Sylvestre de Ferrare, Gonet, Alvarez, etc., que l’efficacité de la providence ou de Vimperium divin, quant à l’obtention de la fin, dépend de l’efficacité du vouloir divin ou de l’intention divine relative à cette fin. Par suite, comme nous l’avons indiqué plus haut, la providence, lorsqu’elle suppose la volonté conséquente ou elïicace de la fin, est infaillible même quant à l’obtention de la fin, par exemple à l’égard de la fin de l’univers, et même à l’égard de fins très particulières comme des fruits qui de fait arriventà maturité ; tandis que, lorsqu’elle suppose seulement la volonté antécédente ou conditionnelle de la fin (si un bien supérieur ne s’y oppose pas), elle est infaillible seulement quant à l’ordre des moyens à la fin, par exemple à l’égard des fruits qui auraient pu arriver à maturité et qui n’y sont pas arrivés de fait. Il reste, comme l’a dit saint Thomas, la, q. xtx, a. 6, ad lum, que tout ce que Dieu veut simplement et efficacement arrive, bien que ce qu’il veut seulement d’une volonté antécédente ou conditionnelle n’arrive pas : quicquid Deus simpliciter vult, fit ; licet illud quod antecedenter vult, non fiât. Ainsi, rien n’arrive que Dieu ne l’ait voulu ou permis.

2° Cette infaillibilité de la divine providence est-elle seulement une infaillibilité de prescience ou aussi une infaillibilité de causalité ? — A l’égard du péché comme tel, dont Dieu ne peut être cause ni directement ni indirectement, elle n’est qu’une infaillibilité de prescience ; mais, à l’égard de tout ce qui, en dehors de Dieu, est réel et bon, c’est aussi une infaillibilité de causalité, car Dieu est cause première de tout ce qu’il y a de réel et de bon en dehors de lui. Tel est manifestement l’enseignement de saint Thomas, I a, q. xxii, a. 2, ad lum : Cum omnes causse particulares concludantur sub universali causa, impossibile est aliquem cff’.ctum ordinem causauniversalis effiujere. Cf. I a, q. xix, a. 6 ; q. ciii, a. 7 et 8 ; Cont. Gent., t. III, c. xciv, § 8.

3° Si telle est l’infaillibilité de la providence, comment ne supprime-t-elle pas toute contingence et toute liberté ?

— D’après les principes exposés, saint Thomas répond I a, q. xxii, a. 4 : « La providence ordonne toutes choses à leur fin. Or, après la bonté divine, qui est une’fin séparée des choses, le bien principal qui existe dans les choses mêmes est la perfection de l’univers, et cette

perfection demande que tous les degrés de l’être se trouvent dans l’univers, (.’est pourquoi a certain ! effets Dieu a préparé des causes nécessaires pour qu’ils arrivent nécessairement, et a d’autres des causes contingentes pour qu’ils arrivent de façon contingente. De même, ad 2 nnl : L’ordre immuable et certain de la divine pi o idence lait que tout ce qui est fixé par elle arrive comme il a été fixé, soit nécessairement, soit de façon contingente. » Et encore, ad -ium : « Le mode de contingence et le mode de nécessité sont des modes ili l’être ; ils tombent donc sous la providence de Dieu, qui est la cause universelle de l’être ou de toute créature ea tant qu’être.

Pour avoir l’intelligence de cette preuve, il faut se rappeler ce qu’a dit saint Thomas plus haut, I a, q. xix, a. 8, de l’efficacité transcendante de la volonté divine « Lorsqu’une cause a toute l’efficacité de l’action, elle donne à son effet non pas seulement l’existence, mais le mode qui lui convient. Quand un fils par exemple ne ressemble pas à son père, il faut l’attribuer à la faiblesse de la vertu génératrice. Donc, puisque la volonté divine est souverainement elïicace, non seulement elle accomplit tout ce qu’elle veut, mais elle fait que tout s’accomplisse comme elle le veut. Or, Dieu veut, pour l’ordre et la perfection de l’univers, que certaines choses arrivent nécessairement et certaines autres d’une manière contingente. En conséquence, en vue des elîets nécessaires, il dispose des causes nécessaires et indéfectibles ; en vue des effets contingents, il prépare des causes contingentes et défectibles. »

Sous la conduite d’un grand chef, les soldats ne font pas seulement ce qu’ils doivent faire, mais ils le font comme ils doivent le faire : « II y a la manière. » Il y a celle aussi des grands peintres, celle des grands poètes. Il y a par-dessus tout celle de Dieu, qui est comme son style à lui.

C’est ce qui fait dire à saint Thomas, I a, q. lxxxiii, a. 1, ad 3um : « Notre libre arbitre est cause de son acte, mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit la cause première. Dieu est la cause première qui meut les causes naturelles et les causes volontaires. En mouvant les causes naturelles, il ne détruit pas la spontanéité ou le naturel de leurs actes. De même, en mouvant les causes volontaires, il ne détruit pas la liberté de leur action mais bien plutôt il la fait en elles. Il opère en chaque créature, comme il convient à la nature qu’il leur a donnée. » En d’autres termes, loin de détruire en nous la liberté, il l’actualise, il est cause en nous et avec nous-mêmes du mode libre de notre choix, il fait passer notre volonté de l’indifférence dominatrice potentielle à l’indifférence dominatrice actuelle, avec laquelle elle se porte vers un bien particulier qui ne saurait invinciblement l’attirer puisqu’elle est spécifiée par le bien universel et sans limite. Ainsi, un grand maître communique à ses disciples non seulement sa science, mais son esprit et sa manière. C’est pourquoi saint Thomas ajoute, De malo, q. vi, a. 1, ad 3vm : « Dieu meut immuablement ( immutabiliter I notre volonté, à cause de la souveraine efficacité de sa puissance, qui ne peut défaillir ; mais la liberté demeure a cause de la nature (et de l’amplitude) de notre volonté (spécifiée par le bien universel) qui est indifférente à l’égard du bien particulier qu’elle choisit. »

Ainsi, la souveraine efficacité de la causalité divine, loin de détruire la liberté, est la raison formelle pour laquelle la liberté est non seulement sauvegardée, mais actualisée. Cette actualisation de notre libre arbitre ne peut être l’effet que de Dieu seul ; c’est là une de ses gloires et non la moindre.

Il y a certes là un mystère : celui de l’action divine, qui n’a qu’une similitude analogique avec la nôtre, et dont le mode divin ne nous est pas positivement connaissable. Mais nul ne peut démontrer qu’il y a une