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PRIÈRE. EFFICACITÉ


temps <le l 'exaucer, nous pouvons penser qu’il n’entre

pas dans ses desseins de nous accorder ces biens temporels et, par conséquent, nous pouvons cesser de les demander sans manquer pour cela de confiance en Dieu ; pour l’autre prière, au contraire, non rsl facile desistendum, il ne faut pas trop facilement cesser de la recommencer, d’abord parce qu’en tout étal de cause une telle prière est toujours utile, et aussi parce que souvent cette prière impetratelhabet efleclum, quamuis nos lateat, possède une valeur impétratoire qui nous échappe : par exemple, si nous demandons d'être délivrés de quelque tentation et que, néanmoins, la tentation persiste, il faut cependant persévérer dans cette demande parce que peut-être cette prière nous préserve de tentations plus dangereuses, et à tout le moins elle nous empêche de succomber à ladite tentation.

Saint Thomas exigeait, pour que la prière fût infailliblement efficace, qu’elle eût pour objet des choses nécessaires au salut, necessaria ad salutem. Cette condition concernant l’objet de la prière, Suarez, c. xxiii, la dédouble : pour lui, cet objet doit être d’abord une chose bonne et honnête en elle-même et non pas seulement une chose de soi indifférente, n. 4-6, comme de gagner le gros lot à la loterie simplement pour devenir riche ; puis il faut que la chose demandée ne doive pas devenir un obstacle au progrès de l'âme, ut res quie postiilaïur non sit impedilura majus animæ bonum, n. 7, mais au contraire qu’elle doive servir à notre sanctification, que Dieu prévoie qu’elle servira de fait à notre sanctification.

Reste la condition pie : Suarez propose d’entendre par là que, pour être infailliblement efficace, la prière doit être faite sous l’influence des vertus théologales, au moins de la foi et de l’espérance, c. xxiv, n. 1 : dicitur pie fieri quod ex inPuxii fidei seu virtutum theologicarum fit ; sic enim more theologico quosdam actus vocamus pietalis. Et d’abord, pour être efficace, la prière doit proeedere ex fuie, n. 2 ; c’est une condition clairement exprimée dans l'Écriture : omnia quæcumque petieritis in oratione credentes, aeeipietis, Matth.. xxi, 22. Mais de quelle foi s’agit-il ? S’agit-il de croire, et sans l’ombre d’un doute, que l’on obtiendra certainement ce que l’on demande, selon cette parole de l'Évangile : quæcumque orantes petitis, crédite quia aeeipietis, et éventent vobis, Marc, xi. 24 ? Mais comment pourrions-nous croire d’une manière absolue que nous recevrons certainement ce que nous demandons, quand la promesse que Dieu nous a faite d’exaucer nos prières est conditionnelle et que nous ne savons pas et ne pouvons pas savoir si toutes les conditions exigées pour un infaillible exaucement sont effectivement remplies ? Non, notre foi à l’exaucement de notre prière ne peut être que conditionnelle : nous croyons que nous recevrons ce que nous demandons, si Dieu juge qu’il convient de nous l’accorder.

Sur la foi repose la confiance, si du moins elle s’en distingue : s’il faut croire que l’on obtiendra de Dieu ce qu’on lui demande, il faut aussi, pour que la prière soit infailliblement exaucée, l’espérer fermement ; disposition de la volonté, dit Suarez, n. 5, qui fait que notre requête n’est pas timide, mais hardie, selon la recommandation de l'épître de saint Jacques, i, 6-7 : Postule ! in fide nihil hœsitans ; qui enim hœsitat, non œstimel quod accipiat aliquid a Domino. Mais, pas plus que notre foi, notre confiance dans le succès de notre prière ne peut être absolue. N' 7.

Quant à la charité, Suarez estime que ni la charité actuelle, ni la charité habituelle ou l'état de grâce ne sont indispensables pour que la prière soit infailliblement efficace, c. xxv ; sur ce dernier point, il partage totalement l’avis de saint Thomas : 1). Thomse Sententia, qu.se affirmât peccatoris orationem audiri, adjunctis necessariis conditionibus, vera censetur. N. 3. Il ne

s’agit pas évidemment d’un pécheur qui n’aurait aucun repentir de ses péchés et qui néanmoins solliciterait de Dieu quelque bienfait temporel ou même spirituel (on peut se demander quel bienfait spirituel il pourrait bien solliciter dans cet état I), n. 7, mais de celui qui, se repentant de ses péchés, n’a pas cette contrition parfaite qui rend ipso facto l'état de grâce. N. 6. Sans doute, il est un certain nombre de textes scripturaircs qui paraissent contraires à cette thèse : I Joa., m, 21-22 ; Ps.. i.xv, 18 ; Prov., xxviii, 0 ; Joa., ix, 31 ; Act., viii, 22 ; Dan., iv, 24 ; cf. Suarez, n. 1 et 6 ; mais on peut en donner une explication qui les accorde avec elle. N. 1. ermeersch, op. cit., p. 13, adopte implicitement l’opinion de saint Thomas et de Suarez sur la non-nécessité de l'état de grâce pour l’infaillible efficacité de la prière quand il déclare que impetrationi obstat voluntaria pertinaeîa in statu pcccali, sine aliquo de misera statu dolore, cum status iste consideratur. Bellarmin, De oratione, c. ix, est d’avis, au contraire, que l'état de grâce est indispensable pour que la prière obtienne immanquablement ce qu’elle sollicite. Selon lui, ce n’est pas quatre, mais huit conditions qui sont exigées pour l’infaillible efficacité de la prière : la foi, l’espérance, la charité (c’est-à-dire l'état de grâce), l’humilité, la dévotion, la persévérance, il faut que l’on demande prose et enfin que l’on demande des choses nécessaires ou du moins utiles au salut. Les cinq premières conditions ne sont d’ailleurs que le démembrement de ce que saint Thomas rangeait sous la condition pie. Le Catéchisme romain, c. iii, n. 5 et 7, distingue deux catégories de pécheurs : ceux qui regrettent leurs péchés et dont les prières sont exaucées, et ceux qui ne les regrettent pas et dont la prière n’est pas entendue Mais Bellarmin fait aussi cette distinction : les prières de ceux qui demeurent volontairement dans le péché ordinarie non exaudiuntur, dit-il ; tandis que celles des pécheurs qui commencent à faire pénitence sœpe impétrant, non ex juslilia sed ex misericordia Dei, et non omnino infallibiliter ; à part cette restriction, il n’y a pas grande différence entre lui et Suarez sur ce point.

IV. VALEUR MORALISATRICE /'L' LA PRIÈRE. — La

quatrième valeur reconnue par saint Thomas à la prière est assez difficile à désigner par un seul mot : on peut risquer celui de valeur moralisatrice. « Le troisième effet de la prière, dit saint Thomas, II ; '-II as, q. lxxxiii, a. 13, est celui qu’elle opère par sa présence même, à savoir une certaine réfection spirituelle de l'âme. Pour que cet effet soit produit, il faut nécessairement prier avec attention. D’où la parole de saint Paul aux Corinthiens, I Cor., xiv, 14 : < Si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure sans fruit. > En quoi consiste cette « réfection spirituelle », qui dépend essentiellement de l’attention qu’on apporte à ce que l’on dit ? Il n’est pas bien difficile de l’imaginer. Nous dirions d’un mot : ce sont tous les effets psychologiques de la prière bien dite. La prière nourrit notre intelligence en lui four nissant des connaissances religieuses et morales. La prière apporte un aliment à notre sensibilité : elle produit en nous diverses émotions, divers sentiments religieux ou moraux, admiration, respect, crainte, amour, joie ou tristesse, désir de Dieu, élan vers le bien, répulsion pour le mal, etc. La prière enfin stimule, fortifie notre volonté : nous pouvons en sortir plus décidés, plus affermis, plus apaisés. Tous ces effets, dit saint Thomas, la prière les produit par sa présence même, prsesentialiter, c’est-à-dire par la seule présence en notre esprit des idées, des sentiments exprimés dans les mots de la prière : tout comme la lecture d’un mauvais livre peut nous pervertir, la lecture de belles formules de prières agit sur nous, alimente notre piété et nous réconforte : refectio mentis. Dans son commen-