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    1. PRIÈRE##


PRIÈRE. NÉCESSITÉ

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Mais la réponse à l’objection est-elle pertinente ? Que la prière n’ait pas pour but « le changer l’ordre établi par Dieu, niais d’obtenir ce que Dieu a décidé d’accomplir à cause de notre prière, soit ; niais le problème de l’cfficacité de la prière n’est pas expliqué pour cela : pourquoi Dieu exaucc-t-il certaines prières et non d’autres ? Que Dieu soit immuable et inflexible une fois qu’il a décidé que telle chose arriverait en conséquence de telle prière, oui évidemment ; mais pourquoi telle prière a-t-elle déterminé Dieu, s’il est permis de parler ainsi, à produire tel événement, et non tel autre ? Saint Thomas, Cont. gent., t. III, c. xevi, donne quelques raisons du rejet de certaines prières, comme il a donné au chapitre précédent des raisons de l’exaucement d’autres prières ; Dieu a égard à la qualité de la prière. Pourquoi, dès lors, les obsecrationes n’agiraient-elles pas sur Dieu ? Pourquoi la prière n’agirait-elle pas sur Dieu comme une cause morale ? La position de Suarez à ce sujet paraît embarrassée : « Ces titres, dit-il à propos des obsecrationes, nous ne les alléguons pas auprès de Dieu pour les lui faire connaître ; unde nec videntur reprœsenlari ut ipsum moveant secundum se, quandoquidem jam ipse per se illos novit, et per cos a se cognitos moveri potest, si velit. » Op. cit., t. II, c. iii, n. 10. Dieu peut être influencé dans sa décision d’exaucer telle prière plutôt que telle autre par ces obsecrationes, par ces titres à l’exaucement qu’elle possède et dont l’autre est dépourvue : Suarez paraît l’admettre ; mais aussitôt, par peur de l’anthropomorphisme, il se rétracte et déclare que ces titres sont invoqués primo in exercitium fidei noslræ ; secundo ad spem augendam ; tertio ad exercitium aliarum virtutum… Cf. Vermeersch, op. cit., p. 25 et 44 : « Ces raisons, dit-il, nous les proposons, non pas comme si Dieu lui-même devait être déterminé par elles, mais pour nous démontrer à nous-mêmes la convenance de la grâce que nous demandons, pour nous exciter et produire en nous les dispositions conformes à cette grâce. » Faut-il en croire les théologiens ou le sens commun ? Et que signifie alors la parole de l’Évangile : « Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera » ? Joa., xvi, 23. Sans doute, affirmer que certaines prières sont plus puissantes que d’autres sur le cœur de Dieu, c’est parler un langage anthropomorphique, mais n’est-ce pas aussi exprimer à la manière humaine une réalité ? Tout se passe comme si la prière était une cause morale.

3° La prière est-elle contraire à la libéralité divine ? — « Il est plus libéral de donner à qui ne demande pas qu’à celui qui demande ; car, comme le dit Sénèque, rien n’est plus chèrement acheté que ce qu’on paie de ses prières. Mais Dieu est la libéralité même. Il ne paraît donc pas convenable de prier Dieu. » Telle est la troisième objection à la convenance de la prière dans la Somme de saint Thomas, loc. cit., a. 2 : la prière méconnaîtrait la libéralité divine. Dans le Commentaire des Sentences, la libéralité divine est invoquée contre l’obligation de prier Dieu ; cf. In IVum Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, qu. 3 : il ne convient pas que Dieu exige que nous lui demandions ses bienfaits, qu’il mette cette condition à l’octroi de ses dons.

Voici la réponse de saint Thomas à ces objections : « Dieu, dans sa libéralité, nous accorde bien des choses sans même que nous les lui demandions. S’il exige en certains cas notre prière, c’est que cela nous est utile. Cela nous vaut l’assurance de pouvoir recourir à lui et nous fait reconnaître en lui l’auteur de tous nos biens. D’où ces paroles de Chrysostome : « Considère quel

bonheur t’est accordé, quelle gloire est ton partage ; « voilà que tu peux converser avec Dieu, échanger

avec le Christ d’intimes colloques, exprimer en tes « souhaits ce que tu veux, en tes demandes ce que » tu désires. » Sum. theol., loc. cit., ad 3um. Selon sa méthode coutumière, saint Thomas s’applique à

rechercher les convenances des institutions divines ; étant infiniment sage et infiniment bon, tout ce que Dieu fait doit être marqueau coin de la sagesse et de la bonté ; or, « il exige en certains cas notre prière > ; c’est donc que la prière « nous est utile. Voyons donc quelle utilité nous en pouvons retirer. Premièrement, elle nous donne fiduciam quamdam recurrendi ad Deum, ce que le P. Mennessier traduit : « l’assurance de pouvoir recourir à Dieu >, ce qui veut peut-être dire : « une certaine confiance pour recourir à Dieu » ; si Dieu ne nous l’avait ordonné, nous n’oserions peut-être pas recourir à lui. Secondement, l’obligation de prier Dieu » nous fait reconnaître en lui l’auteur de tous nos biens ». Enfin, cette obligation est pour nous une source de bonheur et de gloire.

La réponse donnée à l’objection dans le Commentaire des Sentences nous transporte sur un autre plan. Si Dieu exige que nous lui demandions ce qu’il se propose de nous donner, c’est, dit saint Thomas, pour que nous soyons aptes à le recevoir de lui ; ce qui ruserait pas, si nous n’attendions pas de lui ce que nous désirons, ut idonei simus ab ipso accipere ; quod non essef, si ab co non speraremus quod desideramus ». Nous avons déjà rencontré cette idée (voir col. 201) et renvoyé aux développements du P. Mennessier sur ce sujet. Ensuite, répondant directement, semble-t-il. à la parole de Sénèque, saint Thomas ajoute : « D’ailleurs, il ne doit pas être dur pour l’homme de se soumettre a Dieu par la prière, comme il le serait s’il s’agissait de se soumettre à un autre homme en le priant, parce que tout notre bien consiste précisément à être soumis à Dieu, mais non à être soumis à un autre homme. N’ayant rien par nous-mêmes et tenant tout de Dieu, notre bien consiste en effet à être rattachés à Dieu, à être mis en communication avec la source, avec le réservoir de tous les biens ; or, c’est là précisément le rôle de la prière de nous mettre « sous l’influence miséricordieuse et puissante » de Dieu, « de nous subordonner à la bienfaisance magnifique de Dieu, nous mettant ainsi en disposition ultime à recevoir ses dons ». Mennessier, loc. cit., p. 352.


IV. NÉCESSITÉ ET OBLIGATION DE LA PRIÈRE. De

quelle prière s’agit-il ? Quand on parle de la nécessité de la prière, il ne s’agit que de la prière proprement dite, de la prière de demande : pour obtenir de Dieu tout ce dont nous avons besoin, est-il nécessaire de le lui demander ? Mais, quand on parle de l’obligation de la prière, il pourrait s’agir aussi des autres sortes de prières, des prières d’adoration, d’action de grâces et de pénitence en particulier ; mais ces questions ressortissent à d’autres traités : à celui de la religion, où l’on établit le devoir qui s’impose à l’homme de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, spécialement le culte d’adoration et d’action de grâces ; à celui de la pénitence, où l’on se demande si l’homme doit témoigner à Dieu du regret de l’avoir offensé par le péché et quand s’impose à lui cette obligation. Nous nous bornerons donc ici, pour la question de l’obligation comme pour la question de la nécessité de la prière, à la prière de demande. I. la NÉCESSITÉ DR la PRIÈRE.

Que la prière soit nécessaire dans un sens large, à savoir que sans elle on ne pourrait qu’à peine et difficilement, vix et cum magna difficultate, obtenir de Dieu ce dont on a besoin, cela, dit Suarez, op. cit., t. I, c. xxviii, n. 1, ne fait pas de doute. Mais que la prière soit nécessaire au sens strict du mot, c’est-à-dire qu’elle constitue le moyen indispensable, irremplaçable, d’obtenir de Dieu les secours dont on a besoin pour faire son salut, c’est ce qu’il est plus difficile de prouver. Et, d’abord, elle ne l’est pas ex se et ex natura sua. puisqu’il est d’autres moyens d’obtenir les grâces de Dieu, en particulier les bonnes œuvres, qui possèdent aussi une valeur impetratoire ; cf. Vermeersch, op. cit., p. 26. Elle ne le pour-