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PRÉDESTINATION. SA DÉFINITION

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De plus, ce principe de prédilection est absolument universel ; c’est pourquoi saint Thomas le formule au

neutre : « Nul être créé, non essel aliquid, ne serait meilleur qu’un autre si Dieu ne lui voulait un plus grand bien. » Cela est vrai dans tous les ordres, du végétal par rapport au minéral, de l’animal, de l’homme, de l’ange et de leurs actes, par rapport à ce qui est moins parfait ou moins bon. C’est vrai aussi de chaque homme qui. à un point de vue quelconque, est meilleur qu’un autre, que ce soit par un acte bon naturel ou surnaturel, par un acte facile ou difficile, par un acte commencé ou continué, par un acte initial ou un acte final.

Nous estimons donc que les essais de synthèse proposés après saint Thomas par les molinistes et par les congruistes, loin de s’élever à des principes supérieurs à ceux qui furent formulés par lui, ont méconnu l’élévation, l’universalité de ces principes et leur double valeur philosophique et théologique.

Le principe qui domine toute la question reste celui-ci : l’amour de Dieu est cause de tout bien. 1* q. xx, a. 2. Il en résulte premièrement que Dieu, par amour, veut rendre réellement possible à tous l’obéissance à ses préceptes et le salut ; cette réelle possibilité est un bien qui dérive de l’amour de Dieu ou de la volonté salvifique universelle, qui pourtant n’est pas efficace pour tous et qui s’accompagne pour plusieurs d’une permission divine du mal en vue d’un bien supérieur, qui souvent nous échappe et que nous ne verrons clairement qu’au ciel. C’est là un très grand mystère.

De ce que l’amour de Dieu est cause de tout bien, il suit aussi que nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu ; et de ce principe de prédilection dérivent toutes les conclusions de saint Thomas relatives à la prédestination. Pour terminer cet article, nous allons les rappeler brièvement en montrant comment elles procèdent de ce principe qui, à la manière d’une clef de voûte, les soutient et les réunit.

IV. Notions et conclusions principales relatives a la prédestination. — Nous les formulerons en suivant la terminologie de saint Thomas, I a, q. xxiii, et en considérant comme lui : 1° la définition de la prédestination ; 2° sa cause ; 3° sa certitude.

Pour la réprobation, nous suivrons aussi son exemple. Avec un grand sens, il en traite non pas dans une question distincte, comme on l’a fait souvent après lui, mais dans la question même de la prédestination ; on détruirait en effet l’harmonie d’un tableau et le tableau lui-même en voulant séparer le blanc et le noir, les rayons et les ombres.

1° Comment définir la prédestination ? — Destiner signifie ordonner une chose ou une personne à quelque chose de déterminé ; en ce sens, on dit que tel objet est destiné au service de l’autel et que des soldats qui vont être sacrifiés pour le salut d’une armée sont destinés à la mort. En ce sens, le concile de Valence de 855, dans son can. 3, a pu parler de la prédestination des impies à la mort, fulenler fatemur prædestinationerh electorum ad vilam, et prædestinationem impiorum ad mortem, en ajoutant aussitôt : Deum in malis vero ipsorum maliliam præscivisse, quia ex ipsis est, non prédestinasse, quia ex Mo non est. Pœnam sane malum meritum eorum sequentem… præscivisse et prædeslinasse. Denzinger, n. 322. C’est-à-dire Dieu a décidé éternellement d’infliger aux impies la peine de la damnation pour leurs péchés, dont il n’est nullement cause.

Mais l’Écriture, les Pères et les théologiens entendent généralement, par prédestination, la préordination divine îles élus à la gloire et aux moyens par lesquels ils l’obtiendront infailliblement.

C’est ainsi que saint Augustin a défini la prédestination : l’nrsi irntia et ]irœparalio beneficiorum quibus cer lissime liberantur quicumque liberantur. C’est la prescience et la préparation des bienfaits par lesquels sont certainement sauvés tous ceux qui sont sauvés. De dono pers., xiv, 34. Le premier mot de cette définition prwscientia est expliqué un peu plus haut dans le De prædesiinatione sanctorum, x, 19, écrit à la même époque : Prædestinatione sua Dcus ea prsescivii quæ fuerat ipse facturas. Par sa prédestination, Dieu a prévu ce qu’il devait faire pour conduire infailliblement les élus au ciel. Il s’agit non pas d’une science purement spéculative antérieure au décret divin, mais d’une science pratique postérieure à ce décret.

D’où il suit que la certitude dont parle saint Augustin dans sa définition est une certitude non seulement de prescience, mais de Causalité : ea priescivit quæ fuerat ipse facturus. Augustin avait déjà dit dans le De correplione et gratia, c.xii, 38 : Subventum est inf’irmilali voluntatis humante, ut divina gratia indeclinabiliter et insuperabililer ageretur. Et il a appliqué cette définition à la prédestination des bons anges, plus aidés que les autres, mugis adjuli. De civ. Dei, XII, ix.

Saint Thomas définit de même la prédestination, I a, q. xxiii, a. 2 : Ratio ordinis aliquorum in salutem ivternam in mente divina existens, « l’ordination divine de certains au salut éternel ou à la gloire. » Et il précise aussi, ibid., a. 7, que la certitude de cette préordination est une certitude non seulement de prescience, mais de causalité. Cerius est Deo numerus prsedeslinatorum, non solum per modum cognitionis, sed etiam per modum cujusdam principalis præfinilionis. Saint Thomas développe ce point dans le De veritale, q. vi, a. 3.

Il suit de là que la prédestination, comme ordination efficace des moyens de salut à la fin, est un acte de l’intelligence divine, qui présuppose un acte de volonté. C’est, selon saint Thomas et les thomistes, un imperiiim, qui suppose la dilection et l’élection divines.’Cf. I a, q. xxiii, a. 4, et De veritale, q. vi, a. 1. Dieu, en effet, ordonne pour Pierre plutôt que pour Judas les moyens efficaces de salut, parce qu’il veut efficacement le sauver, parce qu’il l’aime d’un amour de prédilection et l’a choisi. Saint Thomas dit expressément :

Prœdestinatio secundum rationem prasupponit electionem et electio dilectionem. Cujus ratio est, quia pnedestinatio est pars providentioe. Providentia autem, sicut et pnidentia, est ratio in intellectu existens pra>ceptiva ordinationis aliquorum in finem, ut supra dictum est. Non autem proecipitur aliquid ordinandum in finem, nisi præexistente voluntate finis, l’nde pra-destinatio aliquorum in salutem aeternam prsesupponit secundum rationem, quod Dens illorum velit salutem, ad quod pertinet electio et dilectio. Difcctio quidem, in quantum vult eis hoc bonum salutis aeternae… electio autem, in quantum hoc bonum aliquibus prse aliis vult, cum quosdam reprobet. ut supra dictum est, electio tamen et dilectio aliter ordinantur in nobis et in Deo, eo quod in nobis, voluntas diligendo non causât bonum, sed ex bono pneexistente incitamur ad dili-Rendum, et ideo eligimus aliquem, quem diligamus ; et sic electio dilectionem pra-cedit in nobis ; in Deo autem este converso : nam voluntas ejus, qua vult bonum alicui diligendo, est causa quod illud bonum ab co præ aliis habeatur. Et sic patet quod dilectio præsupponitur electioni secundum rationem et electio prsedestinationi. Unde omnes prædestinati sunt electi et dilecti. I a, q. xxiii, a. 4.

Ce texte des plus importants de saint Thomas montre surtout trois choses : 1. Une prédestination à la grâce seulement n’a de la véritable prédestination que le nom, car elle est commune aux élus et à bien des réprouvés, qui ont été justifiés et se sont ensuite éloignés de Dieu pour toujours. 2. Parler d’une prédestination à la grâce qui ne présupposerait pas la prédestination à la gloire, c’est oublier que Dieu ne veut les moyens que pour la fin, bien qu’il n’y ait pas en lui deux actes successifs, l’un relatif à la fin, l’autre aux moyens. 3. Si, en nous, la dilection suit l’élection, en ce sens que nous chérissons ceux que nous avons choisis