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PU ÉDESTINATION. L’A UGUSTINISME RÉCENT


que le thomisme et que le molinisme à ceux qui ne considèrent guère les choses que « lu point de vue pratique. Elle nous dit en effet que la grâce intrinsèquement efficace est requise pour les actes salut uns difficiles, mais non pas pour les plus faciles, pour la prière qui peut obtenir le secours efficace ; l’obscurité du mystère semble ainsi grandement diminuée. Mais, à considérer les choses du point de vue spéculatif, cette nouvelle théorie a, selon les thomistes, toutes les difficultés du molinisme pour les actes faciles, et, selon les molinistes, toutes les obscurités du thomisme pour les actes difficiles, lui d’autres termes, au point de vue théorique, ce congruisme accumule toutes les difficultés des autres systèmes et, de plus, les principes qu’il admet pour les actes difficiles n’ont plus aucune valeur métaphysique, puisqu’ils ne s’appliquent plus aux autres actes.

Dans la critique qu’ils en font, thomistes et molinistes s’entendent à dire que ce congruisme ne peut éviter de recourir à la science moyenne pour la prévision des actes salutaires faciles.

Parmi les thomistes les plus récents, le P. del Prado, en son ouvrage cité, De gratia et libéra arbitrio, t. iii, p. 390, écrit : Congraismus sorbonicus rejicil scientiam mediam quoad nomen, sed relinet illam quoad rem. Illttm vocal scientiam simplicis intclligentiee, sed quoad rem est idem, quia anteced.it decrelum voluntatis divinse. L’essence de la science moyenne consiste en effet dans la prévision des futurs libres conditionnels, antérieurement à tout décret divin déterminant. Or, telle est bien la position du congruisme de Sorbonne s’il s’agit des actes salutaires faciles, puisque selon lui ceux-ci n’exigent pas de décrets divins déterminants, ni de grâce infailliblement efficace de soi. De deux hommes également aidés par Dieu, il arriverait alors que celui-ci prie et l’autre pas, et celui-ci deviendrait meilleur sans avoir été plus aimé par Dieu : ce qui porte atteinte encore une fois, disent les thomistes, au principe de prédilection : nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu.

Dira-t-on que, du moins, l’homme, sans un secours de soi efficace, évite parfois de résister à la grâce. Le P. del Prado répond en notant que, pour saint Thomas, In e/>. ad Hiebr., xii, lect. 3 : Hoc ipsum quod aliquis non ponit obstaculum gratise, ex gratia procedit. Ne pas résister à la grâce est un bien, qui doit dériver de la source de tout bien, c’est-à-dire de l’amour de Dieu ; celui donc qui ne résiste pas est plus aimé de Dieu que celui qui dans les mêmes circonstances résiste ; Dieu le conserve misérieordieusement dans le bien, tandis qu’il permet justement le péché dans l’autre, en punition souvent d’un péché antérieur. Nous nous retrouvons ainsi en présence des deux mystères de grâce et d’iniquité. Cette théorie congruiste des actes salutaires faciles oublie cette parole de saint Augustin : Quia omnia bona et magna et média et minima ex Deo sunt , sequitur quod ex Deo sil etiam bonus usus liberté voluntatis. Retract., i, ix, 6. En tout acte salutaire, si petit qu’il soit, se retrouve le mystère de la grâce. N. ciel Prado, op. cit., t. iii, p. 404 sq.

Dans la critique de ce congruisme, thomistes et molinistes s’accordent à dire comme Schillini, De effleaci gratia, disp. IV, sect. vi : « L’efficacité intrinsèque et infaillible des décrets divins et de la grâce s’accorde ou non avec notre liberté. Si oui, pourquoi la restreindre aux actes difficiles ? Sinon, pourquoi l’admettre pour eux ? Il s’agit des actes salutaires, comme actes et comme actes libres surnaturels, qu’ils soient faciles ou difficiles (le plus et le moins de difficulté ne changent pas l’espèce des actes). Enfin la prière n’est pas toujours un acte facile, ni surtout la persévérance dans la prière. »

Nous pourrions parler ici d’un congruisme plus

récent, celui des cardinaux Satolli, Pecci, Lorenzelli, de Mgr Paquet et de Mgr Janssens, O. S. B., qui rejettent à la fois la science moyenne et les décrets prédéterminants, et cherchent une position intermédiaire. Ils tiennent que la science divine de simple intelligence connaît les futuribles libres avant tout décret de la volonté divine.

A cela les thomistes répondent : c’est confondre le possible et le luturible ; or ce dernier, même s’il ne doit jamais être réalisé, est plus qu’un simple possible, il comporte une détermination nouvelle qui répond à cette question : lequel des deux possibles contradictoires choisirait Pierre s’il était placé en telles circonstances ? Serait-il fidèle à son maître ou non ? Il n’est pas nécessaire d’être omniscient pour voir qu’il y aurait là pour Pierre deux choses possibles ; mais, antérieurement à tout décret déterminant, la science divine de simple intelligence ne saurait prévoir la détermination que Pierre prendrait, lequel des deux possibles il choisirait. Cf. N. del Prado, op. cit., t. iii, p. 497, 504, 506. Nous reviendrons sur la conception que se sont faite de la motion divine les cardinaux Satolli, Pecci, Lorenzelli et aussi le P. Billot, S. J., dans l’art. Prémotion.

On voit que la principale difficulté de ces différentes formes du congruisme, que ce soit celui de Suarez, ou de Tournely, ou de Satolli, est la difficulté soulevée contre la théorie de la science moyenne, qui paraît bien poser en Dieu, dans sa prescience, une dépendance ou passivité à l’égard d’une détermination qui ne vient pas de lui.

C’est surtout à cause de cela que les augustiniens et les thomistes qui ont écrit depuis le concile de Trente ont combattu la science moyenne. Il nous reste à exposer leur enseignement.

IV. La prédestination selon les auoustiniens

    1. POSTÉRIEURS AU CONCILE DE TRENTE##


POSTÉRIEURS AU CONCILE DE TRENTE. Oïl donne

particulièrement le nom d’augustinianisme à la doctrine proposée au xvii c siècle par le cardinal Noris (1631-t704) et soutenue plus tard par le théologien Laurent Berti (t696-t766), augustins l’un et l’autre. Accusés de jansénisme, ils ne furent jamais condamnés, loin de là (voir leurs articles), et de fait leur doctrine se distingue essentiellement du jansénisme par l’affirmation sincère et de la liberté (liberlas a necessitate ) et de la grâce suffisante.

Tout en admettant pour l’état présent la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace, ils diffèrent du thomisme par leur manière de concevoir l’influence divine sur le libre arbitre ; c’est pour eux une influence déterminante non pas physique, mais seulement morale. La grâce agit sur l’âme par manière de délectation. L’homme, dans son état présent, est déterminé à agir, soit par une délectation mauvaise (concupiscence), soit par une délectation bonne, spirituelle (charité). Celle-ci est une grâce suffisante quand elle donne le pouvoir de vaincre la concupiscence ; elle est une grâce efficace quand elle en est victorieuse de fait, sans nécessité, mais infailliblement.

On s’explique dès lors les conclusions relatives à la prédestination énoncées par L. Berti, De theologicis disciplinis, t. i, t. IV, c. vi, xi ; 1. VI. c. i, ii, iii, iv, v. Ces conclusions distinguent, beaucoup plus que ne le font les thomistes, l’état présent de l’état de justice originelle, et supposent que la grâce intrinsèquement et infailliblement efficace est requise aujourd’hui, non pas à raison de la dépendance du libre arbitre créé, angélique ou humain, à l’égard de Dieu, mais à raison de l’infirmité de notre libre arbitre depuis la chute.

Ces conclusions sont ainsi énoncées au début de l’ouvrage de Berti, t. i, p. xii :

Prop. lxxxviii. Deus non prédéterminât actiones libéras naturales, et consequenter neque eas pnvvidet in ellicaci suæ voluntatis pra-finitione, p. 175. — Pr. xcn. Innocens