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PRÉDESTINATION. LE CONGRUISME DE SUAREZ
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rejiciunt. Nolabo aliqua lova, ut si qui forte contra scntiunt, intelligant ex judicio sanctissimorum I’atrum, in quo manifesto errore versantur. Il cite surtout de saint Augustin le De dono perscrveranliæ, c. xviii et xxin, et de saint Prosper, la Prima responsio ad objectiones Gallorum. Il ajoute, c. xiv, comme saint Augustin l’avait fait, que les Pères venus avant l’hérésie pélagienne n’ont touché qu’incidemment cette question de la prédestination. Il cite pourtant ces paroles de saint Jean Chrysostome lui-même (In I Cor., iv, 7, hom. xii) sur les mots : Quis enim te discernit ? « Igitur quod aecepisti habes, neque hoc tantum, aut illud, sed quidquid habes. Non enim mérita tua hiPC sunt sed dona Dei. » Il note enfin que les Pères antérieurs à saint Augustin, surtout les grecs, ont souvent pris’la prédestination pour la volonté de donner la gloire après cette vie, et qu’ils n’ont guère parlé d’elle que par manière d’exhortation, et donc dans l’ordre d’exécution, où les mérites précèdent la glorification, tandis que l’ordre d’intention est inverse. Dieu dans l’ordre d’intention veut la fin avant les moyens, la gloire avant la grâce et les mérites, mais dans l’ordre d’exécution il donne la gloire comme récompense des mérites. Deus gratis vult dare gloriam, in ordine intentionis, sed in ordine execulionis non vult eam gratis dare. En cela Bellarmin parle tout à fait comme les thomistes et, comme eux, il remarque qu’après l’apparition de l’hérésie pélagienne il fallut considérer la prédestination non plus seulement dans l’ordre d’exécution, mais dans celui d’intention, ut in salutis negotio totum Deo detur, comme le disaient déjà les Pères antérieurs en commentant les paroles de Paul : Quis enim te discernit ?

C’est ainsi que saint Robert Bellarmin a vu dans la gratuité absolue de la prédestination à la gloire la doctrine même de l’Écriture et de ses plus grands interprètes. On s’explique dès lors qu’il ait admis la définition augustinienne de la prédestination : Est prœscientia et præparatio beneficiorum Dei, quibus certissime liberantur quicumque liberantur. Bellarmin appuie cette définition, où la prescience porte non sur les mérites, mais sur les bienfaits divins, en rappelant le texte de Jean., x, 28 : Nemo enim rapere potest electas oves de manu pastoris omnipotentis.

Suarez parle de même, cf. De auxiliis, t. III, c. xvi et xvii, et t. II, De causa prædestinationis, c. xxiii : Dico primo : Ex parte prsedestinati nullam dari causam prœdestinationis, quantum ad wlernam preedestinationem ad gloriam, vel ad perseverantiam, vel ad graliam sanctiftcanlem, vel ad bonos actus supernaturales, eliamsi lalium efjectuum, ut in tempore donantur (in executione), possit dari aliqua causa vel ratio ex parte hominis (sicut gloria datur in executione pro meritis). Hsec est sententia sancti Thomæ, I q. xxiii, a. 5, ubi Cajelanus et alii modérai thomislse. Estque sine dubio sententia Augustini. L’élection à la gloire étant antérieure à la prévision des mérites, il suit pour Suarez, comme pour les thomistes, que la non-élection, ou réprobation négative, est antérieure aussi à la prévision des démérites.

On voit qu’il y a sur ce point de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire une notable différence entre le congruisme de Suarez et de Bellarmin et le molinisme tel surtout que l’ont compris Vasquez, Lessius et la plupart des molinistes. Les thomistes ont toujours attentivement noté cette différence ; cf. Billuart, De Deo, diss. IX, a. 4, § 2, et plus récemment N. dei Prado, O. P., De gratia et libero arbilrio, t. iii, 1911, p. 347. Billuart ajoute que, parmi les théologiens de la Compagnie de Jésus, plusieurs s’accordent avec Bellarmin et Suarez sur ce point : Tolet, Henriquez, Ruiz, Typhaine et d’autres. Récemment le R. P. Billot, De Deo uno, 1926, p. 289, 291, bien qu’il se sépare de

Suarez sur la réprobation négative, admet aussi la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, la seule, dit-il à bon droit, qui mérite le nom de prédestination, car la prédestination à la grâce est commune aux élus et à beaucoup de réprouvés.

La différence qui sépare le congruisme du molinisme est moindre, nous allons le voir, quand il s’agit de la grâce congrue, et moindre encore lorsqu’il est question de la science moyenne.

2. La grâce congrue.

La nature de cette grâce est bien expliquée dans un décret resté célèbre du général des jésuites, le P. Aquaviva, par lequel, six ans après les congrégations De auxiliis, en décembre 1613, il ordonna aux théologiens de la Compagnie d’enseigner le congruisme, « qui a été exposé et défendu, disait-il, dans la controverse De auxiliis comme plus conforme à la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas ». « Que les nôtres, dit ce décret, enseignent toujours désormais que la grâce efïîcace et la suffisante ne diffèrent pas seulement in aclu secundo, parce que l’une obtient son effet par la coopération du libre arbitre, et non pas l’autre ; mais qu’elles diffèrent même in actu primo, en ce sens que, supposé la science moyenne, Dieu, dans l’intention arrêtée de produire en nous le bien, choisit lui-même à dessein ces moyens déterminés et les emploie de la manière et au moment qu’il sait que l’effet sera produit infailliblement ; de sorte que, s’il avait prévu l’inefficacité de ces moyens, Dieu en aurait employé d’autres. Voilà pourquoi, moralement parlant, et à la considérer comme bienfait, il y a quelque chose de plus dans la grâce efficace que dans la suffisante, même in actu primo. C’est ainsi que Dieu fait que nous opérons et non seulement en nous donnant la grâce avec laquelle nous pouvons agir. On doit raisonner de même pour la p ?rsévérance, qui sans nul doute est un don de Dieu. »

On voit par là la différence du molinisme et de ce congruisme : dans le molinisme, Dieu donne la grâce qu’il sait efficace ; dans ce congruisme, Dieu donne la grâce parce qu’il la sait efficace.

Il reste que la grâce congrue elle-même ne devient, infailliblement efficace que par le consentement humain, prévu par la science moyenne. Les thomistes demanderont dès lors : Le principe de prédilection est-il vraiment sauvegardé ?

3. La science moyenne selon Suarez.

Tandis que Bellarmin explique la science moyenne comme Molina par la supercompréhension des causes, cf. De gratia et libero arbilrio, t. IV, c. xv, Suarez, De scientia futurorum contingentium, c. vil, écrit à l’encontre de Molina : Quod Deus sciât futura libéra in suis causis proximis ex perfecta comprehensione nostri liberi arbitrii…, est a nobis rejiciendum… (sic enim) périt libertas… ; hoc libertati répugnât ; en d’autres termes, la science moyenne, expliquée comme le veut Molina parla supercompréhension de notre liberté supposée placée en telles circonstances, conduit, selon Suarez, comme selon les thomistes, au déterminisme des circonstances.

Mais Suarez parvient-il à mieux expliquer cette science moyenne, qu’il veut conserver en substance ?

— Dieu, dit-il, antérieurement à tout décret, prévoit infailliblement les futuribles libres dans leur vérité objective ou formelle. De deux propositions conditionnelles contradictoires telles que celles-ci : si Pierre était placé dans ces circonstances, il pécherait, ou il ne pécherait pas, l’une est déterminément vraie et l’autre déterminément fausse. Il est impossible, en effet, que l’une et l’autre soient vraies ou l’une et l’autre fausses. Donc l’intelligence infinie, qui pénètre toute vérité, voit certainement laquelle des deux est vraie, laquelle est fausse.

Suarez, répondent les thomistes, oublie qu’Aristote, dans son Perihermenias, t. I, c. ix (lect. 13 de saint