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I’HE DESTINATION. LE MOLINISME

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pas efficace par elle-même, mais seulement par notre consentement prévu. La nature de cette grâce est telle que Dieu aurait pu prévoir non pas le bon consentement, mais la résistance de fait. Cette définition du libre arbitre est liée en effet aux deux propositions relatives à la science moyenne citées plus haut : 1. In potestate Dei non fuit scire per eam scienlicun (mediam) aliud quum reipsa sciverit ; 2. (sed) si Uberum arbilrium creatum arturum effet opposilum, ut rêvera potest, idipsum scivissel (I)eus) per eamdem scienliam, non autem quod reipsa scit. Concordia, p. 318. Il n’était pas au pouvoir de Dieu de prévoir autre chose ; mais cependant la prévision divine eût été autre si le choix de la liberté créée eût été différent. La prévision divine dépend ainsi du choix que ferait et fera l’homme supposé placé en telles circonstances.

C’est là l’origine de toutes les controverses sur ce point depuis le concile de Trente. Mais on ne peut bien saisir le sens complet de cette définition de la liberté sans la comparer avec celle à laquelle elle s’oppose. Par là la controverse s’éclaire et se simplifie, en remontant à ce qui est sa racine même.

Aux yeux des thomistes, la définition moliniste de la liberté n’est pas méthodiquement établie, parce qu’elle fait abstraction de l’objet qui spécifie l’acte libre ; elle néglige le principe fondamental : « les facultés, les habitus et les actes sont spécifiés par leur objet ». Si au contraire on considère cet objet spécificateur, on dira avec les thomistes : Libertas est indifferentia dominatiix voluntatis erga objectum a ratione propositum ut non ex omni parte bonum. L’essence de la liberté est dans l’indifférence dominatrice de la volonté à l’égard de tout objet proposé par la raison comme bon hic et nunc.sous un aspect, et non bon sous un autre ; c’est proprement l’indifférence à le vouloir ou à ne pas le vouloir, indifférence potentielle dans la faculté, et actuelle dans l’acte libre. Car, même lorsque la volonté veut actuellement cet objet, lorsqu’elle est déjà déterminée à le vouloir, elle se porte encore librement vers lui avec une indifférence dominatrice non plus potentielle, mais actuelle. La liberté provient donc de la disproportion qui existe entre la volonté spécifiée par le bien universel et tel bien fini, bon sous un aspect, non bon sous un autre. C’est ce que dit saint Thomas D-II*, q. x, a. 2 : Si proponatur voluntati aliquod objectum, quod non secundum quamlibet considerationem sit bonum, non ex necessitate voluntas fertur in illud. Et, contre Suarez, les thomistes ajoutent : « Même de puissance absolue, Dieu par sa motion ne peut nécessiter la volonté à vouloir un tel objet, stante indifferentia judicii. » Pourquoi ? Parce qu’il implique contradiction que la volonté veuille nécessairement l’objet que l’intelligence lui propose comme indifférent, ou absolument disproportionné à son amplitude. Cf. De veritate, q. xxii, a. 5.

Que suit-il de là au sujet de la question qui nous occupe ?

Nous avons vu plus haut chez les théologiens du xiie et du xine siècle toujours la même formule : Si Dieu veut efficacement tel acte salutaire, comme la conversion du bon larron ou celle de saint Paul, cet acte s’accomplit infailliblement mais librement, selon une nécessité, non de conséquent, mais de conséquence, sicut necesse est Socratem sedere dum sedel, sed sedel contingenter. Nous avons noté en particulier ce texte important de saint Thomas, D-II*, q. x, a. 4, ad 3um : Si Deus movet voluntatem ad aliquid, incompossibile est huic posilioni, quod voluntas ad illud non moveatur. Non tamen est impossibile simpliciter. Unde non sequitur, quod voluntas a Deo ex necessitate moveatur. Cf. I a, q. cv, a. 4 ; D-JI 33, q. cxii, a. 3 ; De veritate, q. xxii, a. 8 et 9 ; De malo, q. vi, a. 1, ad 3um. De même, dit ailleurs saint Thomas : Incom possibile est quod uliquis sedeal et slel, sed, dum sedet, potest slare. On ne peut en même temps être assis et debout, mais celui qui est assis peut se lever. Le nier c’est dire que celui qui dort est aveugle ; il ne voit pas, mais il peut voir.

En d’autres termes, selon saint Thomas, sous la grâce efficace, la liberté ne veut jamais de fait résister et poser l’acte contraire (la grâce ne serait plus efficace), mais elle conserve le pouvoir de poser cet acte contraire. Suit-il de là que la grâce efficace est nécessitante, comme l’ont pensé les protestants et les jansénistes, et que la liberté proprement dite est détruite, elle qui consiste dans l’indifférence à l’égard de deux partis opposés, liberlas non solum a coactione sed a necessitate ? Nullement : pour saint Thomas, la grâce efficace touche la liberté par un contact en quelque sorte virginal, sans la violer ; sous la grâce efficace, à l’instant indivisible où l’acte salutaire se produit, en notre volonté qui déjà se détermine et est déterminée (fieri et factum esse simul sunt in his quæ flunt in instanti), il n’y a plus sans doute l’indifférence passive ou potentielle à se déterminer à l’un ou l’autre des deux partis contraires ; mais il y a l’indifférence dominatrice actuelle et active dans l’acte libre lui-même déjà déterminé, qui, procédant d’une faculté dont l’amplitude est universelle, se porte non ex necessitate ou librement vers le bien choisi, avec le pouvoir réel de ne pas le vouloir. On ne peut certes, en voulant ceci, ne pas le vouloir de fait, ce serait contradictoire ; mais, en le voulant, on conserve la puissance réelle de ne pas le vouloir, tout comme, selon l’exemple classique, on ne peut en même temps être debout et assis, mais, lorsqu’on est assis, on conserve la puissance réelle de se lever. Saint Thomas ajoutait que l’indifférence potentielle n’est pas de l’essence de la liberté, car elle n’existe pas en Dieu, qui est à la fois acte pur, nullement en puissance, et souverainement libre, libre non seulement avant d’avoir choisi, mais en choisissant et après avoir déterminé de toute éternité son choix, que rien de créé ne saurait infailliblement attirer ou déterminer. Sous la motion divine efficace, selon saint Thomas, reste en nous cette indifférence dominatrice, non potentielle, mais actuelle, image de celle de Dieu.

Pour Molina, au contraire, il faut que, sous la grâce, là liberté ne conserve pas seulement l’indifférence dominatrice actuelle, propre à l’acte libre déjà déterminé, qui se porte encore librement vers son objet ; il faut qu’elle conserve sous la grâce Y indifférence potentielle et qu’il se puisse qu’elle résiste de fait.

Aussi bien, pour saint Thomas, il y a dans la production de l’acte salutaire deux causes totales subordonnées, la cause seconde ne se détermine au bien que sous l’influx de la cause première ; pour Molina, il semblerait y avoir à s’en tenir trop strictement à la fameuse comparaison des deux hommes attelés à un chaland, deux causes partielles coordonnées ; la liberté sollicitée par la grâce a une causalité qui lui est exclusivement propre. On voit que le point de départ des deux doctrines en présence est très différent.

Saint Thomas et les grands théologiens qui l’ont précédé partent de ce principe suprême : Amor Dei est causa bonilads rerum ; ils en déduisent que l’amour divin est cause de ce qu’il y a de meilleur dans notre acte salutaire, de sa détermination libre, qui ne peut être soustraite à la causalité divine ; ils disent que cette détermination libre n’est pas exclusivement nôtre, mais qu’elle est tout entière de Dieu comme de sa cause première, et tout entière de nous, comme de la cause seconde promue. Non est distinctum quod est ex causa secunda et ex causa prima, I », q. xxiii, a. 5. C’est