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    1. PRÉDESTINATION##


PRÉDESTINATION. APRÈS LE CONCILE DE TRENTE

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Luther commence par dire que la concupiscence est Invincible, que certains préceptes sont, par suite du péché originel, impraticables. Bien plus, sans le secours de la grâce divine, le libre arbitre ne peut que pécher. La grâce de soi efficace, qui n’était pas nécessaire pour persévérer dans l’état d’innocence, l’est devenue, titulo thflrmitatis, et L’homme ne peu ! lui résister quand il la reçoit. Cette conception pessimiste de la nature humaine, telle qu’elle est dans l’état présent, a conduit ensuite à penser que l’intégrité originelle était due à la nature, et que la grâce, participation à la nature divine, était due à l’intégrité naturelle. C’était arriver par la voie du pessimisme à la confusion de l’ordre de la nature et de la grâce, confusion à laquelle les pélagiens étaient arrivés par la voie inverse. Le pélagianisme est une forme de naturalisme qui n’a donné aucune importance au péché originel ; le baïanisme en est une autre forme qui a donné une très grande importance à la chute du premier homme.

Enfin, .lansénius renouvela au sujet de la justice originelle les erreurs de Baïus ; d’où sa fausse doctrine sur le péché originel, la grâce, la prédestination et la réprobation.

Par le péché du premier homme, selon lui, la nature humaine fut corrompue tout entière, de sorte qu’elle n’est plus capable de rien de bon. En même temps, il niait la liberté de la volonté humaine, qui est complètement passive et déterminée par la delectalio victrix : si cette délectation est terrestre, elle engendre le péché ; si elle est céleste, elle produit la vertu et le mérite, pour lequel il suffit d’avoir une liberté exempte de contrainte, mais non pas de nécessité intérieure.

Les cinq propositions tirées de VAugustinus et condamnées par Rome montrent que cette doctrine diffère de celle de saint Augustin et de celle de saint < Thomas, avec lesquelles on l’a parfois confondue. Tandis que saint Augustin et saint Thomas ont toujours très fermement affirmé que Dieu ne commande jamais l’impossible, mais qu’il rend l’accomplissement des préceptes réellement possible à tous, ces propositions jansénistes le nient : Aliqua Dci pnvcepla heminibus juslis volenlibus et conaniibus, secundum présentes quas habent vires, sunt impossibilia : deest quoque Mis gratia, qua possibilia fiant (Denz., n. 1092). — Interiori gratin’in statu nalum’lapsiv nunquum resistitur (n. Î093). — Ad merendum et demerendum in statu naturse lapsæ non requiritur in homine libertas a necessilate, sufficit libertas a eoactione (n. 1094). — Semipelagianurn est dicerc Christum pro omnibus omnino hominibus mortuum esse aut sanguinem fudisse (n. 109(5). Pour entendre d’ailleurs le sens exact dans lequel la dernière proposition est condamnée, il est indispensable d’ajouter le texte de cette condamnation : Declurala et damnala ulifalsa, lemeraria, scandalosa et intellecta eo sensu, ul’Christus pro salute dumtaxat pr.edestinatorum mortuus sit, impia. blasphéma, contumeliosa, divinæ pielali deroyuns et hivrrlica.

Le jansénisme est ainsi arrivé à une doctrine de la grâce et de la prédestination qui exclut la volonté salvifique universelle. Pour maintenir un des aspects du mystère qui nous occupe, l’autre aspect a été complètement rejeté. Le mystère révélé est ainsi remplacé par une doctrine cruelle et absurde : le péché est inévitable, il n’est plus dès lors un péché, et ne peut être puni, éternellement surtout, sans une manifeste cruauté. Dieu qui commande l’impossible n’est plus Dieu, on chercherait en vain en lui non seulement la miséricorde, mais la justice. Pour le détail, se reporter à l’art. Jansénisme.

VII. LA PRÉDESTINATION SELON LES THÉO-LOGIENS POSTÉRIEURS AU CONCILE DE

TRENTE. — Après le concile de Trente, préoccupé surtout de réagir contre le protestantisme, L. Molina,

DICT. DE THEOL. CATIIOL.

dans sa Concordia liberi arbilrii cum gratin : donis, dipina prsescientia, providentia, prsedestinatione et reprobatione, 1595, proposa une théorie de la prescience et de la prédestination, qui provoqua sur ces sujets de longues controverses, assez vives encore aujourd’hui.

— Nous examinerons successivement les positions suivantes : I. l.e molinisme. II. Le congruisme de Bellarmin et de Suarez. III. Le congruisme de Sorbonne. IV. La doctrine des augustiniens. V. Celle des thomistes, en notant après l’exposé de chaque système les difficultés qu’il présente.

I. La prédestination selon Molina et les molinistes. — Cettethéorie a été exposée ici à l’article Molinisme, col. 2100-2141 ; pour bien montrer ce qu’elle a d’essentiel, nous la synthétiserons dan* les termes mêmes dont s’est servi Molina, à la fin de sa Concordia, q. xxiii, a. 4 et 5, disp. I, membr. ult. (éd. de Paris, 1876, p. 545-550), là où il résume lui-même sa doctrine sur ce point, en soulignant les principes sur lesquels elle repose, et en la comparant à l’enseignement de saint Augustin et à celui de saint Thomas.

Affirmation du molinisme.

Molina, loc. cil.,

p. 546, rapporte que saint Augustin a justement montré contre les pélagiens et les semi-pélagiens que Vinitium salulis vient de la grâce prévenante et excitante, qui nous est donnée par le Christ, selon le bon plaisir de Dieu et non selon l’effort de notre libre arbitre. Puis il ajoute :

Credens autem Augustinus cum iis.qiurde gratia adversus hæresim pelagianam ex Scripturis rectissime docuerat, conjunctum esse, pra-destinationem Dei a-ternam non fuisse secundum mérita qualitatemque usas liberi arbitrii a Deo prsevisi, sed solum secundum Dei electionem et bencplacitum (quod in quo sensu verissimum sit, niembro xii explicatum est) juxta eam sententiam Paulum ad Rom. îx muftis in suorilm operum locis interpretatus est, restrinxitque illud prima’ad Tim. n : « Vult omnes homines salvos fieri » ; ut non de omnibus universim hominibus, sed de solis prsedestinatis intelligeretur (saint Augustin le dit en effet s’il s’agit de la volonté salvifique efficace). Qua 1 doctrina plurimos ex fidelibus, pra’sertim ex iis qui in Gallia morabantur, non solum indoctos, sed etiam doctos, mirum in modum turbavit, ne dicam illius occasione salutem eorum fuisse periclitatam… Sententiam vero Augustin] secutus est divus Thomas et post eum plerique scholasticorum.

Molina reconnaît ainsi, au moment de résumer toute sa doctrine, que saint Augustin, saint Thomas et la plupart des scolastiques ont enseigné au sujet de la vraie prédestination, c’est-à-dire de la prédestination à la gloire, la seule qui ne puisse être commune aux élus et aux réprouvés, cette proposition prædestinationem Dei seternam non fuisse secundum mérita qualitatemque usus liberi arbitrii a Deo prsevisi, sed solum secundum Dci electionem et beneplacitum. En d’autres termes, il reconnaît que saint Augustin, saint Thomas et la plupart des scolastiques ont enseigné la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, non ex prsevisis meritis, ce qui paraît à Molina très difficilement conciliable avec notre liberté.

Puis il ajoute, loc. cit., p. 548 :

Nos, pro nostra tenuitate, rationem tolam conciliandi libertatem arbilrii cum divina gratia, prsescientia et prsedestinatione, quam toto articulo 13 q. xiv.et art. 6 quæst. xix, qua’st. xxii et tota bac quæst. tradidimus, sequentibus prineipils inniti judicamus quæ si data txplanitsqu : semper fuissent, forte neque pelagiana bæresis fuisset exorta, neque Lutherani tam impudenter arbilrii nostri libertatem fuissent ausi negare, … neque ex Augustin) opinione. .. toi fidèles fuissent lurhali.

Cette page de Molina a été souvent citée dans la suite par tes thomistes, [mur montrer que l’auteur de la Concordia avait conscience de proposer une théorie nouvelle, qu’il estimait bien supérieure à la doctrine

T. — XII — 9 1.