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PRÉDESTINATION. LES ERREURS PROTESTANTES


dist. VIII, q. v. et II. dist. 5CXXVII, q. ii, n. 1 sq., n. 11.

A cela, les thomistes répondent : cette sympathie, qui subordonne à Dieu la volonté créée, consiste soit dans une suite naturelle de la subordination nécessaire de la créai ure à Dieu, et alors elle ne laisse pas place à la liberté, soit dans une motion morale, d’ordre objectif, par manière d’attrait, et alors elle n’attire pas infailliblement notre volonté, que Dieu seul vu face à face peut captiver de la sorte. Cf. Jean de Saint-Thomas, Cursus philos., Phil. naturalis, q.xii, a. 3.

Mais, redisons-le. cette divergence est secondaire, dans la question qui nous occupe, puisque Scot admet, comme saint Thomas et ses disciples, la gratuité absolue de la prédestination à la gloire ainsi que l’efficacité intrinsèque des décrets divins relatifs à nos actes salutaires et de la grâce qui nous porte à les accomplir.

IX. Conxiatsions.

Sur ces points capitaux, presque tous les anciens théologiens, augustiniens, thomistes, scotistes, sont d’accord ; presque tous admettent le principe de prédilection : nul homme ne serait meilleur qu’un autre (par un acte soit facile, soit difficile, soit initial, soit final) s’il n’était plus aimé et plus aidé par Dieu. Or, ce principe, nous l’avons vii, suppose que les décrets divins relatifs à nos actes salutaires sont efficaces par eux-mêmes, et non par notre consentement prévu. En même temps, ce principe contient virtuellement la doctrine de la gratuité absolue de la prédestination à la gloire, ante prsevisa mérita.

Ainsi parle par exemple l’augustinien qui a écrit le livre de V Imitation, t. III, c. lviii : Ego (c’est le Christ qui parle) laudandus sum in omnibus sanctis meis ; ego super omnia benedicendus sum et honorandus in singulis, quos sic gtoriose m ignificavi et prædestinavi sine ullis prsecedentibus propriis mcrilis… Non gloriantur de propriis meritis, quippe qui sibi nihil bonitatis adscribunl, sed totum mini, quoniam ipsis cuncta ex infinilate caritate mea donavi. Et c. lix : In le ergo, Domine Deus (répond l’âme), pono lotam spem meam et refugium. Saint Thomas avait dit de même : « Comme l’amour de Dieu est la cause de toute bonté créée, nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé par Dieu. »

A ce principe doit s’ajouter l’autre principe non moins certain : < Dieu ne commande jamais l’impossible et il veut rendre le salut réellement possible à tous. » Nous avons dit plus haut, col. 2955, comment il nous était impossible, dans les conditions de notre actuelle connaissance, d’en voir la parfaite conciliation. En attendant les lumières de l’au-delà, la foi vive, éclairée par les dons du Saint-Esprit, doit maintenir l’équilibre des deux principes susdits, et par eux elle pressent où se trouve le sommet vers lequel elle tend et que nul ici-bas ne peut voir. Ainsi les deux aspects extrêmes du mystère sont maintenus, sans que l’élévation de celui-ci soit compromise.

Cette admirable harmonie a été méconnue par le protestantisme, qui en niant un des deux aspects du mystère, a faussé complètement les données de la révélation.

VI. LA PRÉDESTINATION SELON LE PROTES-TANTISME ET LE JANSÉNISME. - Le protestantisme, s’est fait de la prédestination une conception absolument inconciliable avec)a volonté salvifique universelle. Sur ce point, le jansénisme s’est rapproché de lui. I. Le protestantisme. II. Le baïanisme et le jansénisme.

I. Le pbotestantisme.

Luther.

Le protestantisme

est arrivé à cette conception par l’idée qu’il s’est faite des suites du péché origine). Selon lui, l’homme dans l’état de nature déchue n’a plus la force, même après la justification, de résister à la tentation.

On sait que Luther s’engagea ainsi sur la voie de l’erreur. L’observation de la loi divine, la résistance aux passions déréglées, lui contèrent de grands efforts et, comme la prière humble lui était inconnue, il vint a conclure que la concupiscence, depuis la faute du premier homme, est invincible, que le précepte Non COncupisces est impraticable, que Dieu a commandé l’impossible. C’est ainsi que, faute d’une justice intérieure, qui lui paraissait impossible, Luther se mit à la recherche d’une justice extérieure ; et, sans reconnaître la nécessité de la contrition et du bon propos, il en appela au Christ et en vint à dire : l’homme lui-même est toujours infirme, toujours dans le péché, mais la justice du Christ couvre les fautes des pécheurs. Christi justilia eos tegit, et eis imi>ulatur.

Sur cette voie, Luther rejeta le libre arbitre : Libcrum arbilrium es/ morluum. La foi du chrétien est par suite l’œuvre de Dieu seul, « il l’opère en nous sans notre concours », et cetto foi est la justification formelle : Fides jam est gratta justi/icans. Fides est formalis justilia, propter quam jusli/icamur. La robe nuptiale, c’est la foi sans les œuvres. Pour se sauver, il ne faut rien de plus que la foi. C’est ainsi que Luther arrive à l’un des principes fondamentaux de sa doctrine et enseigne que non seulement la prédestination est éternelle ante prsevisa mérita, mais que dans le temps les bonnes œuvres ou les mérites ne sont pas nécessaires au salut. Pour prouver cette doctrine, il fit appel aux épîtres de saint Paul, qu’il interprétait faussement, et à la doctrine de saint Augustin, qu’il entendait mal.

Ce serait pourtant une erreur de croire que tous les luthériens gardèrent intacte cette doctrine de Luther. Déjà en 1535, Mélanchthon déclarait J< s bonnes œuvres nécessaires au salut ; quelque chose de semblable fut enseigné par ]’Intérim d’Augsbourg et celui de Leipzig. Voir ici l’art. Mérite, t. x, col. 716 sq.

2° Zwingle, comme le montre Haur, Zwinglis Théologie, ihr Werden und ihr System, Halle, 1885-1888, en vient à une sorte de panthéisme et de fatalisme. Les créatures, selon lui, dérivent de Dieu par voie d’émanation. L’homme n’est pas libre, mais se trouve être dans la main de Dieu ce que l’instrument est dans la main de l’artiste. Dieu est la cause de tout, même du mal, du péché. Le péché est bien une transgression de la loi, mais l’homme l’accomplit nécessairement. Dieu lui-même ne pèche point en forçant l’homme à pécher, parce que, pour Dieu, il n’existe pas de loi. Le péché originel est le penchant au mal, à l’amour-propre, maladie de nature que n’enlève pas le baptême, comme l’avait dit Luther. L’Église est remplacée par une organisation démocratique, qui ne comprend que les élus. 3° Calvin, dans son Institution chrétienne (l re éd., mars 1536 ; rédaction définitive, 1559), dépasse Luther et Zwingle par sa force de déduction logique. Sa doctrine a pour thèse fondamentale la prédestination gratuite des uns et la réprobation positive et gratuite des autres.

Selon lui, Dieu excite l’homme au péché, qui est pourtant librement commis en ce sens que l’homme n’y est pas extérieurement contraint. Il y a là non pas du fatalisme, selon Calvin, mais une volonté mystérieuse de Dieu, qui est juste, bien que l’homme ne puisse le comprendre. « Nous disons donc, comme l’Escriture le monstre évidemment, que Dieu a une fois décrété par son conseil éternel et immuable, lesquels il vouloit prendre à salut et lesquels il voulait dévouer à perdition. Nous (lisons que ce conseil, quant aux esteus, est fondé en sa miséricorde, sans aucun regard de dignité humaine. Au contraire, que l’entrée de vie est forclose à tous ceux qu’il veut livrer en damnation : et que cela se fail par son iugemenl occulte et incompréhensible, combien qu’il soit ïuste et équitable. > Inst. clirél., I. III, c. XXI, n. 7, éd. lîaum.