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2941 PRÉDESTINATION. S. THOMAS, PRINCIPES FONDAMENTAUX 2942

q. vi, et enfin dans la Somme théologique, I a, q. xxiii, où, à la fin de sa vie, il a exposé sa pensée définitive.

C’est cette penséo que nous exposerons ici en insistant sur le principe de cette synthèse, sur ce qui en dérive relativement à la volonté salvilique universelle et relativement au principe de prédilection dont tous les articles de la q. xxiii de la I a pars de la Somme sont autant de corollaires. Quant au fondement scripturaire de cette doctrine, pour éviter les redites, nous l’examinerons à propos de l’article central I a, q. xxiii, a. 5 : la prédestination dépend-elle de la prévision de nos mérites ? Nous verrons que saint Thomas, comme saint Augustin, estime que la gratuité absolue de la prédestination à la gloire est affirmée par saint Paul. Cette exégèse sera conservée dans la suite par saint Robert Bellarmin et -par Suarez.

Nous exposerons ici assez longuement la doctrine de saint Thomas sur le point qui nous occupe, cela pour trois raisons : 1° parce qu’il la propose lui-même comme l’explication de la doctrine révélée transmise par saint Paul, telle que l’a comprise saint Augustin ; 2° parce que, étant donnée l’autorité de saint Thomas, presque tous les théologiens postérieurs, même les molinistes de nos jours, prétendent ne pas s’écarter de lui ; 3° parce que, dans la partie théorique de cet article, nous pourrons ainsi être bref ; il nous suffira de revenir aux principes de cette doctrine de saint Thomas en en montrant la supériorité sur les essais de synthèse proposés dans la suite.

Le principe de la synthèse thomiste.

Plus qu’Albert

le Grand et les théologiens antérieurs, saint Thomas a vu l’élévation et la virtualité sans limites du principe : amor Dei est causa bonitatis rerum, l’amour de Dieu est cause de la bonté des choses créées. Il l’a exprimé avec beaucoup de force, I a, q. xx, a. 2 : « La volonté de Dieu est cause de toutes les choses, comme il a été montré q. xix, a. 4, et donc nul être n’a l’existence et quelque bien que ce soit que si Dieu l’a voulu, et dans la mesure où il l’a voulu. A tout être existant Dieu veut donc quelque bien. Et comme aimer c’est vouloir du bien à un être, il est manifeste que Dieu aime tous les êtres qui existent, mais non pas comme nous aimons. Notre volonté n’est pas cause de la bonté des choses, mais elle la présuppose, de même notre amour… Au contraire, l’amour de Dieu produit et crée la bonté dans les choses, amor Dei est in/undens elereans bonilalem in rébus. » En substance, cela était déjà dit dans les deux articles fondamentaux, I 11, q. xiv, a. 8 : Ulrum scienlia sit causa rerum, et q. xix, a. 4 : Ulrum volunlas Dei sit causa rerum, articles d’où dérivent tous ceux dont nous allons parler.

La volonté salvifique universelle.

A la lumière de

ce principe, amor Dei est causa bonitatis rerum, saint Thomas éclaire les deux aspects extrêmes et en apparence contradictoires du mystère qui nous occupe, d’une part, la volonté salvifique universelle, sur laquelle insistait saint Jean Damascène, d’autre part, le dogme de la prédestination, sur lequel insistait saint Augustin.

Tout d’abord, la volonté salvifique universelle se conçoit non seulement comme une volonté de signe, à la façon d’un précepte extérieurement formulé, mais comme une volonté de bon plaisir, existant réellement en Dieu. De verilale, q. xxiii, a. 3. Si, en effet, l’amour de Dieu est cause de la bonté des choses, c’est par volonté de bon plaisir et par amour que Dieu donne à tous les hommes non seulement la nature humaine ordonnée à le connaître et à l’aimer naturellement, mais aussi la possibilité réelle d’observer les préceptes de la loi surnaturelle et, par là même, la possibilité du salut. Dieu ne peut en effet jamais commander l’impossible, ce serait l’injustice même : le péché deviendrait inévitable, dès lors il ne serait plus péché et ne pour rait plus être justement puni, ni en cette vie, ni dans l’autre. Dieu donne donc par amour à tous la réelle possibilité d’observer les préceptes, d’éviter le péché, par suite d’être sauvés, cf. I a, q. xxi, a. 1, ad 3 an > : Deus dut unicuique quod ei debetur secundum ralionem suie nalune et conditionis ; I a, q. xxiii, a. 5, ad 3um : Deus nulli sublrahil debilum ; la-IIæ, q. evi, a. 2, ad 2um : Su/Jlcicns auxilium dut ad non peccandum. Saint Thomas dit aussi que, même dans l’ordre des choses dues, Dieu donne plus que n’exige la stricte justice, car la miséricorde ou la bonté toute gratuite et surabondante est à la racine de toutes les œuvres divines de justice, lesquelles supposent que les créatures intellectuelles par un amour purement gratuit ont été créées et ordonnées à la vie surnaturelle de l’éternité. I a, q. xxr, a. 4.

C’est là le point sur lequel insistait saint Jean Damascène, mais il ne considérait guère le problème que du point de vue moral, par rapport à la bonté divine et à la malice des hommes. Dieu, disait-il, antêcédemment, par bonté, veut sauver tous les hommes ; mais, comme plusieurs pèchent et persévèrent dans le péché, conséquemment Dieu les punit éternellement parce qu’il est juste.

Il restait à approfondir cette distinction en la considérant du point de vue non pas seulement moral, mais métaphysique, par rapport à la toute-puissance ou à l’efficacité de la volonté et de l’amour de Dieu. C’est ce qu’a fait saint Thomas, à la lumière du principe qui domine, selon lui, tout le problème, et d’où dérive toute une suite de corollaires.

Si la volonté et l’amour de Dieu sont cause de la bonté des créatures, I a, q. xix, a. 4, cette volonté, en tant qu’elle est celle du Tout-Puissant, produit infailliblement le bien qu’elle veut, de façon non conditionnelle, réaliser « hic et nunc », I a, q. xix, a. 6, ad lum, même celui qui doit être réalisé par notre liberté, car Dieu est assez puissant pour la porter infailliblement vers ce bien, sans la violenter, assez puissant pour produire en elle et avec elle jusqu’au mode libre de nos actes : Cum volunlas divina sit effîcacissima, non solum sequitur quod fiant ea, quæ Deus vult fieri, sed et quod eo modo fiant, quo Deus ea fieri vult. Vult autem Deus quædam fieri necessario, quædam contingenter, ut sit ordo in rébus ad complementum universi. I a, q. xix, a. 8. Ce mode libre de nos actes est encore de l’être et tombe donc sous l’objet adéquat de la toute-puissance et de l’amour de Dieu créateur. I a, q. xxii, a. 4, ad 3um. Il n’y a que le mal qui soit en dehors de cet objet adéquat, et donc Dieu ne peut être cause du péché ni directement, ni indirectement, ex insufflcientia auxilii. Cf. Ia-II 38, q. lxxix, a. 1, 2.

Comment, dès lors, définir métaphysiquement la volonté conséquente et la volonté antécédente ? Saint Thomas répond en substance, I a, q. xix, a. 6, ad lum : L’objet de la volonté est le bien ; or, le bien, à la différence du vrai, est formellement, non pas dans l’esprit, mais dans les choses qui n’existent que hic et nunc. Et donc nous voulons simpliciter, purement et simplement, ce que nous voulons comme devant être réalisé hic et nunc, et c’est la volonté conséquente, qui, en Dieu, est toujours efficace : Volunlas comparatur ad res, secundum quod in seipsis sunt, in seipsis autem sunt in parliculari. Unde simpliciter volumus aliquid, secundum quod volumus illud, consideralis omnibus circumslantiis parlicularibus, quod est consequenler velle… El sic palet quod quidquidDeus simpliciter vult, fit. Loc. cit. C’est le fondement suprême, pour saint Thomas, de la distinction entre la grâce efficace et la grâce suffisante, comme nous allons le voir.

Si, au contraire, la volonté se porte sur ce qui est bon en soi indépendamment des circonstances, non hic et nunc, c’est la volonté antécédente, qui de soi et