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PRÉDESTINATION. LA CONTROVERSE DU IXe SIÈCLE


sur sa conséquence en apparence inéluctable, l’abandon dans la massa damnala de ceux qui n’en ont pas été discernés par un choix de Dieu, juste et bon tout à la fois, on peut encore en discuter aujourd’hui. Demain peut-être la publication d’un Corpus de Gotescalc, annoncé par dom Morin, préparé par dom Lambot, permettra de donner plus de corps aux hypothèses qui ont été faites.’Mais l’intérêt vrai de l’alfaire Gotescale n’est pas là. Il est dans les conséquences que les propos plus ou moins sages de ce moine ont pu avoir. La plus claire a été de montrer que l’unanimité était loin d’être faite sur ces pro/undiores quæstioncs. On vit, en quelques années, se dresser théologiens contre théologiens, synodes contre synodes. Et que l’on ne pense pas qu’il y -eût ici pure logomachie. C’est bien l’éternelle lutte entre les deux tendances qui se sont partagé les esprits. Pour les uns, partisans d’Augustin, i) s’agit d’affirmer avant tout le primat do la volonté divine ; pour les autres, qui prétendent eux aussi se réclamer du grand docteur, l’essentiel est de sauvegarder le libre jeu de l’action humaine dans l’atïairedu salut. Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils se réclament d’Augustin (en reléguant au second plan son très fidèle disciple Fulgence), ou que, timidement, ils risquent contre lui un essai d’émancipation, les hommes d’action comme Rhaban Maur, comme Hincmar, sont amenés à voir dans la prédestination une prescience des mérites, à faire de Dieu le simple témoin d’une lutte dont il couronne les vainqueurs. Les autres, hommes de science, comme Ratramne, comme Loup, comme Rémi ou Florus, se sont tenus fidèlement, faut-il dire trop fidèlement, à la doctrine augustinienne : Dieu d’abord. Dans la massa damnationis, sa providence, pour des raisons inscrutables, mais où la justice a sa part comme la bonté, décide par un libre choix de séparer un certain nombre (disons, si l’on veut, un nombre immense) d’élus que, par des moyens infaillibles, il conduira au salut. Quant à ceux que ce choix ne distingue pas, demeurés dans la massa damnationis, comment pourrait-on imaginer qu’ils en puissent sortir ? Comment même pourrait-on dire que s’étende à eux la volonté salvifique ? Comment pourrait-on dire que le sang du Christ ait été versé pour eux ? Devant cette dernière conséquence, à la vérité, nos augustiniens du ixe siècle ont été pris d’inquiétude. Ni Prudence, ni le Liber de tribus epislolis, ni les canons de Valence ne voudraient affirmer que le Christ n’est mort que pour le salut des prédestinés. La logique cède, chez eux, à d’autres considérations qui ont leur force et leur valeur.

En résumé, l’épisode du ixe siècle contient en germe tous les débats ultérieurs. Deux conceptions étaient aux prises, elles le restent encore aujourd’hui, exprimant chacune à sa manière quelque chose de l’incompréhensible mystère.

Voir, outre l’art. Gotescalc, l’excellente bibliographie de Hefele-Leclercq, t. iv, l r » part., p. 138-139. L’ouvrage capital est celui de H. Schrôrs, Hinkmar Erzbischof non Reims. Fribourg, 1881, p. 88-174. Il convient de signaler, entre autres, les études de A. Freystedt, Sliidieit zu Goltschalks Leben une Lettre, dans Zeitschr. fur Kirchengesch., t. xviii, 1898, p. 1-23 ; p. 161-182 ; p. 529-54.3. J’ai utilise surtout l’étude même de Hefele-Leclercq. Je l’ai même suivie pas à pas, en Vérifiant ses source- ;. Il convient toujours de se reporter a’.' x travaux des érudits du xvir 2 siècle : J. Usher, Gotteschalci et j rœdeslinalianæ controversieé histnria, Dublin, 1631 ; J. Sirmond, cf. ci-dessus, col. 2804 ; L. Cellot, S. J., Historia Gotteschalci, 1655 ; H. Noris, Synopsis historiés gotthesçalcianæ, posthume, dans Opéra, t. iv.col. 682-718.

On se bornera à indiquer ici la liste alphabétique des principaux auteurs qui jouèrent un rôle dans la controverse, et les titres de leurs œuvres. Ce sont ces sources qu’il laut avant tout consulter.

Amolon, Epislula ad Gothescalcum, P. L., t. cxvi, col. 811)6 ; Responsio ad interrogationem cujusdam de præscientitt et

priedestinalione divina et libero arbitrio, col. 97-100 ; De gratta et præscientia Uei, deque prædestinatione et libero arbitrio. de spe item ac fidueia salutis et de sententia sancti Aunusliiii. col. 101-106 ; B. Augustini sententiæ de pricdestinationc et gratia bei et libero Itominis arbitrio, col. 105-140. — Florus, Sermo de prædestinatione, P. L., t. exix, col. 95-102 ; (sub nomine Ecclesùe Lugdunensis) Adversm Joannis Scoti Erigenm erroneas definiliones liber, col. 101-250. — Gotescalc, Profession de foi, au concile de Mayence, fragment conservé par Hincmar, P. L., t. cxxv, col. 98 et 90, cf. t. CXXI, col. 368 ; lettre à Rliaban Maur, écrite pour sa défense après le concile de Mayence (848), perdue, fragments conservés par Hincmar, groupés dans P. L., t. cxxi, col. 366-368 ; les deux professions de foi, Confessio brevior, Confessio protixior, dans J. Usher (Historia Gottesealci, Dublin, 1631, Haguenau, 1662), dans Mauguin, Scriplores noni sœculi qui de prædestinatione et gratia scripserunt, Paris, 1650, t. I, p. 7-25, dans Lebeuf, Dissertations sur l’histoire ecclésiastique et civile de Paris, 1739, t. i, p. 493 sq., dans Migne, P. L., t. cxxi, col. 347-366, dans Perusi, Gotleschalc, Rome, 1911. p. 85-114 ; le Pitlacium, dont l’authenticité est contestée sans preuve par Mauguin, perdu, cité par Hincmar. P. L., t. cxxv, col. 275, 365, 370, 371-372 ; lettre à Armlon, perdue. Dom Morin a retrouvé, en ms., une collection importante d’opuscules inédits de Gotescalc, cf. R : vue bénédictine, 1931, p. 303-312 ; dom Lambot en prépare actuellement la publication. — Hincmar de Reims, Epislula ad reclusos et simpliees in Remensi parochia, publiée par Wilhelm Gundlach, d’après le ms. 141 de la bibliothèque de l’université de Leyde, dans Zeitschr. fur Kirchetgach., t. x, 1889, p. 258-309 ; Epislula ad Carolum regem, préface du traité perdu sur la prédestination, P.L., t. cxxv, col. 50-56 ; Capitula Carisiaca, De prædestinatione Dei et libero arbitrio, posterior dissertatio adversus Golheskalcum elcœteros prædestinatianos, col. 65-474 ; Epistola Tusiacensis ad rerum ecclesiasticarum pervasores et ad pauperum prædatores, P. L.. t. cxxvi, col. 122-132 ; Epistola ad Nicolaum papam, P. I… t. cxxvi, col. 25-46 ; la fin de cette lettre, col. 43-46, traite de la question de Gotescale ; Epistola ad Eqilonem (de Golhescalco ejttsque assertionibus, elde Prudenlioepisropo, utsuggerat Ponlifici), col. 68-71 ; Epistola ad Egitonemf Gothescalci ejusdem doelrinæ uberior expositio), col. 71-76. — Loup de Ferrière (Servatus Lupus), Epistola ad Carolumregem, P. L., t. exix, col. 601-605 ; Epistola ad Hincmarum, col. 606-608 ; Liber de Iribus quæslionibus, col. 622-648 ; Collectaneamde tribus quæslionibus, col. 647-666. — Pardulus, évêquede Laon, Lettre à l’Église de Lyon pour lui demander de combattre les théories de Gotescalc, l’une des trois lettres auxquelles répondit l’Église de Lyon par la plume de Remi(ou d’Ébon), et connue par cette réponse, cf. P. L., t. cxxi, col. 1052. — Prudence, évêque de Troyes, Epistola ad Hincmarum et Pardttlum, P. L., t. cxv, col. 971-1008 ; De prædestinatione contra Joannem Scotum, cognomento Erigenam, P. L., t. cxv, col. 1011-1366 ; Epistola ad Wenilonem, col. 1365-1368. — Ratramne de Corbie, De prædestinatione libri duo ad regem Carolum, P. L., t. cxxi, col. 13-80. — Rémi de Lyon (ou Ébon de Grenoble), Liber de tribus epistolis (réponse à Hincmar et Pardulus qui avaient joint à leur lettreàl’Église de Lyon une copie de la lettre de Rhaban Maur à Notingl, P. L., t. cxxi, col. 985-1068 ; De generali per Adam damnatione omnium et speciali per Christum ex eadem ereptione electorum, P. L., t. cxxi, col. 1067-1084 ; Libellas de tenenda immobililer Scripturæ veritate et ss. ortltodoxorum Palrum auctorilale fideliter sectanda, P. L., t. CXXI, col. 1083-1134.

— Rhaban Maur, archevêque de Mayence, Epistola ad Notingum, cum libro de prædestinatione Dei, P. L., t. cxii, col. 1530-1553 ; Epistola ad Heberardum comitem, col. 15531562 ; Epistola ad Hincmarum Rhemensem. col. 1518-1530.

— Scot Érigène, De prædestinatione liber, P. L., t. cxxii, col. 355-440.

La plus grande partie des pièces du procès ont été rassemblées par Mauguin dans son grand ouvrage : Velerum auctorum qui a IX sœculo de prædestinatione et gratia scripserunt opéra et fragm"nta plurima nunc primum in lucem édita, cura et studio Gilberti Mauguini, Régis a consiliis et in snprcma monelarum curia præsidis, cum ejusdem cltronica et historié* sgnopsi, gemina dissertatione et paciftea operis coronide, 2 vol., Paris, 1650 ; dans le tome i", on trouve les œuvres cl fragments relatifs à la prédestination ; à la’fin du tome n (après l’histoire et les dissertations en faveur de Gotescalc), on trouve les œuvres et fragments concernant la prédestination, la grâce du Christ, la volonté salvifique de Dieu et les fins de la mort de Jésus.