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2931 PRÉDESTINATION. ÉPILOGUE DE L’AFFAIRE GOTESCALC 2932

l’économie du plan divin primitif et de la rédemption

par le Christ : Si l’homme avait persévéré dans la volonté de son Créateur et n’avait pas péché, il ne mourrait pas et n’engendrerait pas des lils de la mort et de la géhenne. Par le mérite de sa fidélité et par

juste récompense, il eût reçu en présent, comme les anges saints l’ont reçu, le privilège que son Créateur. à l’image de qui il fut créé, possède par essence, de ne pas vouloir pécher, de ne plus tomber : ut nec peccare vellet, nec jam cadere posset. Mais le démon lui porta envie parce que, homme de la terre, il devait monter, par l’obéissance due à Dieu, au ciel, d’où lui-même, esprit angélique, était tombé par orgueil. Ajoutant foi a ses mensonges, plutôt que d’observer la volonté de sou Créateur, abusant de sa liberté, l’homme abandonna Dieu ; justement abandonné de Dieu par un équitable retour, il pécha et tomba et, par son mauvais vouloir, perdit son bon pouvoir, et per maltini velle perdidit bonum posse, qui per posse bonum vincere potuit velle malum. (".’est ainsi que le genre humain est devenu la massa perdilionis que Dieu, sans injustice, pouvait abandonner tout entière à son sort, mais dont il sauve plusieurs par une grâce ineffable : Qua de re fæla est massa perdilionis totius generis humani, de qua, si nullus ad salutem eriperetur, irreprehensibilis esset Dei justifia ; quia vero multi salvantur inefjabilis est Dei gralia.

FA la lettre expose l’incarnation et la passion, les débuts de la vie de l’Église, qui doit durer jusqu’à ce que soient sauvés tous ceux qui doivent être sauvés, c’est-à-dire tous les prédestinés ou, comme il est écrit, les lils de Dieu qui étaient dispersés, c’est-à-dire qui se trouvaient justement dans la masse de perdition et qui en furent tirés par choix, avant que le monde fût, par la prédestination de Dieu, pour qui rien d’accompli n’est passé, rien n’est futur ; jusqu’à ce qu’ils soient rassemblés en un, en la plénitude de l’Église éternelle du ciel, d’où le diable est tombé avec sa suite et où doivent monter pour y être associés à eux autant d’hommes sauvés qu’il y est resté d’anges élus : Donec omnes qui salvandi sunt, la est omnes pr/edestinati, » elul srriplum est filii Dei, qui >.ranl dispersi, id est in massæ generaliler perdilie ex debito relictione einspersi, et ex ea antequam mundus fieret, prædestinalione Dei, cui ni lut prælerilum transiit aecedilque fulurim, electi, scilicel gralia Dei, congregentur in ununi : in plenitudinem videlicel aelestis ac sempiternel’Ecclesi ; r ad quant lanti ex hominibus salvatis et eidem sociandis sunt ascensuri, unde diabolus cum suis sequacibus eecidil, quanti illic elerti angeli remanserunt. Le même Dieu a fondé par ses saints l’Église sur la terre, il la gouverne et les fidèles doivent maintenir l’Église et ses serviteurs. Ainsi s’achève, sans aucune mention de la prédestination ad mortem qui faisait la principale difficulté, la partie dogmatique de cette lettre synodale, dont la suite traite la question des usurpateurs des biens ecclésiastiques, lesquels sont menacés de toutes les foudres des Fausses Décrétâtes. On aura remarqué les principes invoqués dès le début du document :

1° Au ciel et sur terre, Dieu fait tout ce qu’il veut, et rien n’arrive sinon ce qu’il fait par bonté ou permet par justice ; 2° Dieu veut le salut de tous les hommes. Hincmar n’abandonne pas ce principe, mais il a d’abord formulé l’autre, le grand principe augustinien de la toute-puissance, qui a comme corollaire inévitable l’efficacité intrinsèque de la grâce, et qui entraîne aussi cette conséquence que nul ne saurait être meilleur qu’un autre s’il n’est plus aimé de Dieu, car rien n’arrive de bien en tel homme plutôt qu’en tel autre, en Pierre plutôt qu’en Judas, et non pas inversement, sinon ce que Dieu a fait en celui-ci et non en celui-là. Le second principe relatif à la volonté salvifique uni DICT. DE THÉOL. CATHOL.

verselle ne peut viser une volonté efficace, puisque Dieu fait tout ce qu’il veut d’une volonté efficace. Il y avait de quoi satisfaire les augustiniens. Ils n’exigèrent rien de plus et c’est pourquoi dès lors la controverse cessa.

Épilogue de l’affaire Gotescatc. — Que devenait pendant ce temps le malheureux moine, première cause de tout ce tumulte ? Nous ne saurions dire si, comme certains l’ont prétendu, on l’engagea à souscrire la lettre synodale de Thuzey. Hincmar avait d’ailleurs contre lui d’autres griefs, au sujet de la formule Te Irina Deiias unaque, que l’archevêque avait interdite, que Gotescale avait défendue. A quoi Hincmar avait riposté en 860-861 par un énorme traité, Ad filios Ecclesise suæ, P. L., t. cxxv, col. 473-618, qu’il envoya d’ailleurs à Gotescale sans réussir à le faire changer d’avis.

Dans le monde ecclésiastique, toutefois, on finissait par s’émouvoir du sort de Gotescalc. A Rome, le pape Nicolas I er s’en inquiétait. Aussi, au concile réuni à Metz en juin 863 pour ventiler la cause du divorce de Lothaire II, les légats pontificaux convoquèrent Hincmar et Gotescalc, pour que l’affaire fût tirée au clair. Hincmar prétendra plus tard qu’il ne fut pas touché à temps par la citation. Epist., ii, ad Nicolaum, t. cxxvi, col. 43 A. fl dut être dès lors question de faire venir à Rome le malheureux moine. A quoi Hincmar repartit (fin 863-début de 864) que, si un ordre exprès du pape lui en venait, il enverrait son prisonnier à Rome ou à toute personne que le pape aurait désignée pour l’examiner ; mais il entourait cette concession de toutes sortes de restrictions. Ibid., col. 45 CD.

Les choses n’allèrent pas plus loin pour le moment. Mais l’idée d’un recours à Rome faisait son chemin. En 866, Guntbert, un moine de Hautvillers, réussissait à s’enfuir du couvent, chargé sans doute de porter au pape l’appel de Gotescalc. Très ennuyé de cette affaire, Hincmar, qui avait pour lors les plus graves difficultés avec Nicolas I er (alïaire de Wulfade), instruisit Égilon de Sens, son représentant à Rome, de toute l’affaire Gotescalc, lui demandant d’agir auprès du pape, mais sans trop insister. Hincmar, Epist., ix, ad Egilonem, t. cxxvi, col. 68-71. C’est dans cette lettre que se trouve le passage relatif à ce que Prudence de Troyes avait inséré dans ses Annales au sujet de l’approbation par le pape des capitula de Savonnière. Ci-dessus, col. 2927.

On ne sait quelle suite eut l’affaire sur ce point précis et si le pape fut renseigné sur le sort de Gotescalc. Les reproches que l’archevêque reçut du pape, en mai 867 (cf. Epist., xi, ad Nicolaum, t. cxxvi, col. 78), ne se rapportent certainement pas à notre point. Hincmar, dans les années qui suivirent, s’efforça d’amener le malheureux moine, dont on disait la mort prochaine, à une rétractation qui aurait permis de le réconcilier à l’Église et de lui donner les sacrements. Voir le mil des tentatives d’Hincmar dans l’appendice au traité Ad filios Ecclesise suæ, t. cxxv, col. 615 sq. H n’y a pas lieu de douter de la charité sacerdotale de l’archevêque. Mais les procédés dont il avait usé à l’égard de= Gotescale avaient définitivement buté celui-ci. Il mourut sans s’être réconcilié avec l’archevêque, à une date que nous ne saurions préciser, entre 866 et 870.

Conclusion générale. — Pour l’historien des doctrines, le cas personnel de Gotescale n’a. en définitive, qu’une importance secondaire. Qu’il ait, comme le lui ont reproché Rhaban Maur et Hincmar, enseigné la réprobation positive des damnés, leur destination, antérieure à toute prévision de démérite, au péché e1 à la peine, ou qu’il ait simplement urgé, comme l’ont pensé ses amis, un Ratramnè, un Serval Loup, el même un Prudence, l’enseignement d’Augustin sur la prédestination positive des élus anle prævisa mérita, cl

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