Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/726

Cette page n’a pas encore été corrigée

287 !)

    1. PRÉDESTINATION##


PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN. L’AUXILIUM QUO

2880

entendre non pas l’impénitence Bnale de notre premier père et la non-réception par lui d’une grâce très spéciale que nous considérerons plus loin, niais plutôt sa non-permanence dans l’excellence de sa première condition, et la déchéance de son opération originelle. Il est à croire que ladite objection avait successivement revêtu plusieurs formes. Augustin, en effet, prend la peine de la préciser pour réserver là-propos de sa réponse. Il ne s’agit pas d’expliquer comment, n’ayant pas reçu la grâce indispensable à la permanence dans le bien. Adam ne laissa pas de demeurer quelque temps sans péché. Ce qui advint, de fait, correspond à cette non-réception, la grâce de la permanence n’étant pas ordonnée à une fidélité momentanée, mais à une fidélité de tous les instants.

Mais voici une difficulté plus sérieuse. Selon la propre doctrine d’Augustin touchant la nécessité et l’efficacité de la grâce, si Adam avait reçu le don de persévérer dans sa rectitude originelle, nul doute qu’il n’y eût persévéré et. partant, qu’il n’eût point déchu de son excellence originelle. Or, il pécha et s’éloigna du bien moral. Donc, Adam n’eut pas ce don de persévérance, et s’il ne l’eut pas, c’est qu’il ne le reçut pas de Dieu. Mais s’il ne l’eut pas, faute de l’avoir reçu, comment peut-on lui imputera péché de n’avoir point persévéré, ce don étant indispensable à la persévérance ? Qu’on ne nous réponde pas, disaient les sernipélagiens, qu’Adam ne reçut point le don de persévérer dans le bien, parce que l’action divine ne l’avait pas discerné, distingué, séparé d’avec la masse vouée à la perdition. Car, avant son péché qui fut corrupteur de tout ce qui devait prendre origine de lui, cette masse n’existait pas encore.

Il est difficile, assurément, de formuler une objection plus forte contre la responsabilité de l’homme dans le mal. A la base du premier péché, source unique de tous les désordres ultérieurs, il y a la non-dispensation par Dieu d’une grâce, la grâce efficace de la permanence dans le bien. Aussi longtemps que l’on n’a point précisé les rapports qui existent entre le péché et cette non-dispensation, n’est-ce pas là l’équivalent d’une réprobation positive antécédente, posée en germe dans cette non-dispensation ?

C’est à cette grave difficulté qu’Augustin opposa sa distinction, soigneusement expliquée, entre l’auxilium sinequo et l’auxilium quo. Distinction vraiment géniale et dont le mérite nous échappe uniquement parce que des siècles de labeur théologique l’ont mise à notre portée avec beaucoup d’autres, far elle, comme on va le voir, le saint docteur concilie à merveille l’efficacité de l’action divine, la dignité de la liberté humaine et l’entière responsabilité d’Adam prévaricateur.

Le fondement de cette distinction se prend de la différence qui existe entre les conditions d’exercice de la liberté d’Adam, avant la chute, et les conditions d’exercice de la liberté de ses descendants, atteinte par sa prévarication. A ces conditions si diverses dans l’un et l’autre cas, correspond une grâce différente. Le principe augustinien de la permission divine du péché en vue d’un plus grand bien domine évidemment la question présente. C’est même à propos de celle-ci que le saint évêque le formula dans les termes solennels rapportés plus haut. Avant sa chute, objet de cette divine permission, le premier homme était étranger au mil. sans aucune lutte intérieure ; ignorant de toute rivalité possible entre l’esprit et la chair, il jouissait au paradis d’une profonde paix avec lui-même : Ule vero, nulla tali rixa de seipso adversus seipsum tentatus, ulque turbatus, in illo beatitudinis loco, sua secum pace fruebatur. De corr. et (jral., xi, 29, t. xliv. col. 933. Sa volonté était bonne, rectifiée de par les conditions mêmes de sa création dans un état de justie : Tune ergo dederat homin. Deus bpnam volup tatem : in Illa quippe eum fecerat qui fecerat rectum^ Ibid., 3’J. col. 935.

Tout autre, après la chute, allait être la condition des descendants d’Adam. Nous avons vu comment la liberté de l’homme était asservie par le péché et sa volonté affaiblie par la tendance au mal. Cette différence rappelée entre la situation du premier homme et celle de ses descendants, quelle est, d’après Augustin, la différence des secours correspondants et quels sont leurs efïets respectifs ?

D’une façon générale, tandis que la grâce accordée à Adam avant sa chute n’était pas une grâce de libération, de victoire, car il n’était pas encore déchu de sa justice, la grâce accordée à ses descendants est une grâce rédemptrice, plus puissante, non certes du côté de Dieu, mais quant à l’effet auquel elle est ordonnée. Cette dernière n’est autre que la grâce méritée par le Christ. L’incarnation en est la source.

D’une façon plus spéciale, la première fut donnée au premier homme afin qu’il persévérât dans le bien, la seconde nous donne le vouloir effectif de cette persévérance. Celle-là venait au secours de la volonté impuissante vis-à-vis du bien surnaturel : Nec ipsum (Adam) ergo Deus esse voluil sine sua gratia… quoniam liberum arbitrium ad malum sufflcit, ad bonum autem parum est, nisi adjuvetur ab omnipotenti bono. Ibid., 31. Celle-ci fortifie la volonté, déficiente après la chute, et lui fait produire son acte en vertu d’une nouvelle énergie : Secunda ergo plus potest, qua etiam fil ut (homo) velit et tantum velit, tantoque ardore diligal ut carnis voluntatem contraria concupiscentem voluntatc spirilus vincat. Ibid. L’une ne porte pas encore à vouloir effectivement, l’autre a pour terme premier et direct l’acte de la volonté.

C’est du reste la différence des rapports qu’elles ont avec la volonté qui les distingue l’une de l’autre. Vis-à-vis de la première, la volonté humaine joue un rôle conditionnel (nous verrons plus loin dans quel sens) : (Gratiam primus homo) habuit in qua si permanere vellet, nunquam malus esset… Taie quippe erat adjulorium in quo permaneret si vellet. Prima enim et qua fit ut ha beat’homo justiliam si velit… Acceperat (primus homo) passe si vellet, posset enim perseverure si vellet. Ibid. Vis-à-vis de la seconde, la volonté humaine déchue et affaiblie a une attitude d’obéissance salutaire et d’abandon. Sous l’action de cette grâce, la liberté se laisse rendre à elle-même ; après la honteuse abdication de sa dignité, elle se répand en de généreux vouloirs : Nunc autem… quibus datur tanto amplius datur per Jesum Christum Dominum nostrum… ut non solum adsit sine quo permancre non possumus, etiam si velimus, verum etiam tantum ac laie sil ut velimus. Ibid., 32, col. 936.

Comment faut-il comprendre cependant l’efficacité de l’une et de l’autre grâces, étant donnée cette diversité de leurs objets respectifs et de leurs rapports avec la liberté humaine ? Rappelons que nous avons déjà considéré longuement avec Augustin l’efficacité de la grâce qui prépare et répare la volonté. C’est donc surtout l’efficacité de la grâce accordée au premier homme qui est en question.

Pour saisir la pensée exacte d’Augustin sur ce point délicat de sa doctrine, il faut distinguer une double efficacité de cette grâce, à savoir son efficacité de droit et son efficacité de fait.

Efficacité de droit. Nous entendons par là que cette grâce ne tient que d’elle-même la vertu de produire son effet qui est, nous l’avons dit, la permanence dans la justice originelle. Celle permanence lui revient tout entière, car la liberté du premier homme laissée à elle-même est à cet égard d’une impuissance totale : Sine qua (primus homo) etiam cum libéra arbitrio bonus esse non posset… : sir iliberium arbitrium) adjuuatatur, ul