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2867 PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN, L’ACTION LIBRE DE L’HOMME 2868

Pour en finir, disons que du terme de l’action divine ainsi considéré, de cette préparation à la fois radicale et universelle, à l’efficacité intrinsèque et infaillible de la grâce, il n’y a qu’un pas qu’Augustin reprochait à Julien d’Éclane de ne point se décider à franchir : Parum de re tanta cogitant, vel ei excogitandæ non sufjlciunt qui pillant Deum omnipotentem aliquid velle et homine in/irmo impedienle non posse. Op. imp. contra Jul., i, xciii, t. xlv, col. 1100. Et encore : Absit ut impeciiatur ab homine Omnipotentis et cuncta præscienlis inlentio. Ibid. Et le saint docteur d’avancer un exemple typique : Sicut certum est Jérusalem filios suos ab illo colligi noluisse, ila certum est eum, etiam ipsa nolente, quoscumque eorum voluit, collegisse. Ibid.

3° L’action de l’homme dans la réalisation de la prédestination. Sa liberté. — Il est à peine besoin de remarquer que l’action dont il va être question est l’action spécifiquement humaine, celle de la liberté. C’est, en effet, avant tout en tant qu’agent libre que l’homme figure dans le plan divin. De plus, c’est l’exercice salutaire de sa volonté libre qui est, nous venons de l’établir, le terme de la grâce ; et, parce qu’il nous faut apprendre d’Augustin comment se concilient ces deux activités de Dieu et de l’homme, en vue du même effet, il importe de les connaître l’une et l’autre dans leur nature et leurs conditions.

Par le fait de son élévation à l’ordre surnaturel, élévation qui a transposé aussi bien son opération que son être, l’homme n’a point cessé d’être le maître de ses actions tant bonnes que mauvaises : Sibi imputet quisque cum peccat, neque cum aliquid sccundum Deum operatur, alienet hoc a propria voluntate. De gral. et lib. arb., ii, 4, t. xliv, col. 884. Bien au contraire, ses œuvres ne sont bonnes et méritoires, dans cet ordre-là précisément, que dans la mesure où il les accomplit librement. Ibid.

Aussi, lorsque dans ses derniers ouvrages, traitant de la prédestination, Augustin parle de la liberté humaine, c’est bien de la liberté ainsi élevée qu’il entend parler, soit pour en revendiquer les droits, soit pour eu limiter le pouvoir, soit pour en mesurer la déchéance : Cum autem de libéra voluntate recle faciendi loquimur, de Ma scilicet in qua homo factus est loquimur. Relract., i, ix, 5, t. xxxii, col. 598.

L’existence de cette liberté ne fait aucun doute. Le saint docteur en apporte comme preuve familière les commandements divins qui n’ont de raison d’être que parce qu’ils s’adressent, en requérant son exercice, à la volonté libre de l’homme. De grat. et lib. arb., ii, 4, t. xliv, col. 884. Si efficace et si infaillible que soit l’action de Dieu renouvelant les cœurs et justifiant l’impie, si mystérieuse que soit la permission du péché et l’endurcissement du pécheur, la liberté humaine garde ses droits et remplit son rôle. : Se autem puletur, nihil ibi facere, ipsos homines per liberum arbilrium, ideo in psalmo dicitur : « Solite obdurare corda veslra. » Meminerimus eum dicere « et convertimini et vivelis », cui dicitur : « Couverte nos Deus » (Ps., lxxix, 4, et lxxxv, 5). Meminerimus eum dicere « Projicite a vobis impietates vestras » (Ez., xviii, 31), cum ipse « justificet impium » (Rom., iv, 5). Meminerimus ipsum dicere : « Facile vobis cor novum et spiritum novum dabo in vobis (Ez., xviii, 31). Ibid., xv, 31, col. 800. Ainsi, jusque sous les plus formelles interventions de Dieu, la liberté humaine reste intacte et opérante.

Hâtons-nous d’ajouter que cet argument, tiré des préceptes divins, n’établit aucunement que la liberté de l’homme se suffise à elle-même pour leur accomplissement. Au fond, ce que le précepte divin enjoint d’abord à la liberté, c’est d’implorer la grâce d’accomplir ce précepte, ce qui suppose déjà une avance de Dieu : Cur ergo dictum est, « Diligamus invicem, quia dilectio ex Deo est », nisi quia præceplo udmonitum est

DICT. DE TIIEOL. CATHOL.

liberum arbilrium, ut quæreret Deidonum ? Quod quidem sine sua fruclu prorsus admoneretur, nisi prius acciperet aliquid dilectionis, ut addi sibi quæreret unde quod jubebatur implerel. De grat. et lib. arb., xviii, 37, t. xliv, col. 004. Et, pas plus que sans la liberté, le précepte n’a de raison d’être sans la grâce : Homo ergo gratin juvatur, ne sine causa voluntati ejus jubeatur. Ibid., iv, 0, col. 887.

C’est une preuve du même genre qu’Augustin déduit de la justice des châtiments divins, en faveur de l’existence de la liberté humaine. Il parle des crimes dont Dieu tire une juste vengeance parce qu’ils ont été perpétrés librement : Non enim juste vindicarentur nisi fièrent voluntate. Retract., i, ix, 3, t. xxxii, col. 505. Ainsi donc, qu’il soit soumis ou rebelle à la loi de Dieu, l’homme demeure libre et c’est en toute liberté qu’il réalise le plan divin.

Mais, comment saint Augustin entend-il cette liberté ? Il nous en parle à deux titres, comme philosophe et comme théologien, en toute cohérence d’ailleurs. Écoutons d’abord le philosophe. La liberté inhérente à la nature de l’homme et que celui-ci ne peut en aucune manière abdiquer est celle en vertu de laquelle les hommes veulent être heureux, même ceux qui ne prennent pas les moyens de l’être : Hominis vero liberum arbilrium congenilum et omnino inamissibile, si quærimus, illud est quo beati omnes esse volunl, etiam hi qui eu nolunt quæ ab beatiludinem ducunt. Op. imp. contra Jul., VI, xi, t. xlv, col. 1521. Par quoi le saint docteur réfute la théorie de Julien d’Éclane, pour qui la liberté consiste radicalement dans la possibilité de vouloir indifféremment le bien ou le mal : Boni malique voluntarii possibililas sola liberlas est. Ibid. Augustin assigne donc comme objet spécifique à la liberté foncière de l’homme, le bien qui rend ce dernier heureux.

Mais cette liberté foncière, immuablement spécifiée par le bien réel ou apparent que tout homme cherche, ne suffit pas, nous dit le saint évêque, à la possession de ce bonheur. Il faut en considérer une autre quia pour objet le bien sans doute, mais en tant que moyen de parvenir à ce bonheur. Celle-ci n’est pas aussi foncière ni aussi immuable : Immutabilis autem, cum qua homo creatus est et creatur Ma liberlas est voluntatis qua beati esse omnes volumus et nolle non possumus. Sed hœc ut bealus sit quisque non sufficil, nec ut vivat recle per quod bealus sit : quia non ila est homini congenita liberlas immutabilis voluntatis qua velit possitque bene agere, sicut congenita est qua velit bealus esse ; quod omnes volunl, el qui recle agere nolunt. Ibid., VI, xii, col. 1524. Ainsi, dans la volonté humaine, Augustin distingue deux manifestations de la liberté, dont l’une est ordonnée à la fin : Illud… quo beati omnes esse volunl, et l’autre est ordonnée aux moyens : Qua velit possitque bene agere… per quod bealus sit.

Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est qu’il évalue la perfection de la liberté d’après la tendance positive de la volonté vers le bien. Dans la mesure où cette tendance se relâche, la liberté déchoit et abdique sa propre nature. Voilà comment la définition que Julien d’Éclane donne de la liberté est à l’opposé de la vérité, pour autant qu’il attribue comme objet à cette liberté la possibilité du mal : boni malique voluntarii possibililas sola libertas est.

Chez Augustin, le théologien ne contredit pas le philosophe. Il y a toujours en nous, dit-il, une volonté libre, une volonté qui tend au bonheur ; mais l’objet prochain de cette volonté libre n’est pas toujours bon moralement (il peut être en opposition avec fa loi divine), et cette liberté devient alors un esclavage : a juslilia libéra est quando servit peccalo et tune est mala. De grat. el lib. arb., xv, 31, t. xi.iv, col. ! 00. S’affranchir de la justice, s’asservir au péché, n’être plus que la corruption d’elle-même, c’est tout un pour la libelle,

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