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2841 PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN, ÉTAT DE LA QUESTION 2842

D’ailleurs, en dehors de ces traités, les ouvrages antérieurs ne laissent pas d’être précieux, même pour une étude particulière de la prédestination, carie saint docteur, dans une atmosphère de sérénité doctrinale parfaite, affranchi des préoccupations qui se retrouvent toujours dans les écrits de controverse, y formule déjà des principes qui sont comme l’infrastructure de son enseignement et qu’il ne rétractera jamais.

2. État de la question du point de vue doctrinal. — Par l’exposé qui précède, on a déjà pu voir et les dillicultés qui se présentaient à Augustin, successivement et de divers côtés, et aussi dans quel sens il entendait les résoudre.

En face de lui, Augustin rencontrait un ensemble d’idées qui prenaient l’aspect d’un corps de doctrines. En faisant intervenir, pour plus de clarté, la distinction, aujourd’hui si familière et si clarifiante, des deux ordres d’intention et d’exécution, on peut le ramener aux points suivants : Dans l’ordie d’exécution, ce principe : indépendance absolue de la liberté humaine, et comme conséquences : 1. initiative de l’homme à l’égard de la foi ; 2. indifférence de l’homme à l’égard du don de persévérance. — Dans l’ordre d’intention, ce principe : indétermination foncière de l’élection divine et négation d’un discernement ab œterno ; et comme conséquence : c’est la prescience des mérites futurs ou futuribles qui règle le décret divin. Corollaire : la grâce est prévenante à cause de la prescience ainsi entendue, mais c’est le concours de la volonté qui assure son efficacité.

N’est-ce pas le principe d’une indépendance absolue à revendiquer pour la liberté humaine qui fait, au dire de Prosper, regimber les moines de Marseille contre la pensée d’être abandonnés aux caprices divins : Nec ad incertum voluntatis Dei deduci se volunl. Epist., ccxxvi, 4, t. xxxiii, col. 1009. C’est au nom du même principe que Julien d’Éclane réclame pour la liberté le pouvoir de rendre stériles les secours de la grâce, qu’il prétend être nécessitante, dans la doctrine d’Augustin. Op. imp. contra Jul., III, cxx, t. xlv, col. 1299. Nous avons vu comment les semi-pélagiens limitaient la portée du quid liabes quod non accepisti, à seule fin de réserver l’initiative humaine à l’égard de la foi, allant jusqu’à faire de celle-ci une prérogative essentielle à la nature, que la déchéance de la justice originelle n’a pu qu’amoindrir. En outre, pour affirmer l’indifférence radicale de l’homme à l’égard du don de persévérance, que son acceptation conditionne, ils vont jusqu’à en donner une notion contradictoire, ce qu’Augustin souligne à plaisir : Nolunt, ut scribitis, isti fratres ita hanc perseverantiam pnedicari, ut non vel suppliciter emereri, vel amitti contumaciter possil. Ubi quid dicanl parum attendunt. De illa enim perseverantia loquimur quæ si data est, perseveralum est usque in finem, si autem non est perseveralum usque in finem, non est data. De dono pers., vi, 10, t. xlv, col. 999.

Quant à l’indétermination de l’élection divine dans l’ordre d’intention, elle inspire leur exégèse, leur prédication, leur argumentation. Il n’est que de se rappeler comment ils entendent le passage de I Tim., ii, 4, sur la volonté salvifique universelle de Dieu, qui n’est inefficace que parce qu’elle se révèle telle, dans la vocaiio secundum propositum. Il n’est que de se rappeler encore l’objection à laquelle Augustin répondit par le De correptione et gratia, et que les moines d’Hadrumète fondaient sur tes prétendus inconvénients de prêcher l’élection ab œterno. Enfin, c’estàl’appui du même principe que les moines de Marseille se prévalaient des premiers ouvrages d’Augustin, où celui-ci, luttant alors contre les manichéens, avait, de son propre aveu, moins étudié la vocaiio secundum propositum.

C’est pour donner, néanmoins, une raison de ce propositum, du décret divin, qu’ils mettaient en avant

leur conception de la prescience par laquelle, selon eux, le décret divin est réglé. L’objet de relie prescience, très logiquement dans leur système, n’est autre que l’initiative des hommes à l’égard de la foi : Illam pnpscientiam sir aceipiunt ut propler fidem futuram intelligendi sint prsesciti. Epist.. ccxxvi, 4, t. xxxiii, col. 160&. Que si l’initiative est impossible, comme il arrive aux petits enfants, la prescience des mérites devient, comme nous l’avons vii, la prescience des mérites futuribles, et la difficulté est tournée avec élégance, sinon sans absurdité.

Il est indéniable que le système dit semi-pélagien est soucieux de sauvegarder le rôle prévenant de la grâce. Dieu appelle à la foi ceux qui accepteront cette foi, comme il offre le don de la persévérance, dont l’homme sera libre de faire ce que bon lui semble. Mais le caractère gratuit de la grâce, qui cependant lui est essentiel, alioquin gratia non est gratia, est étrangement compromis, le mérite de la liberté humaine, dans ses initiatives, entrant en ligne de compte. Et quant à l’efficacité de ladite grâce, il n’en est même pas question, tenue en échec qu’elle est par cette même liberté qui est au-dessus de tous les secours.

Par où l’on voit la tâche qui restait à Augustin en face d’une pareille doctrine, glorificatrice de la liberté humaine, et à laquelle il ne pouvait qu’opposer une doctrine exaltant la puissance de la grâce de Dieu. Il lui fallait, avant tout, défendre, voire même venger celle-ci. De là l’aspect unilatéral que délibérément il donna à son enseignement dans ses dernières années. Sans doute, des considérations étrangères à la gratuité de la grâce eussent heureusement complété pour nous sa pensée sur la prédestination, mais les circonstances ne les motivèrent pas. C’est à ses lecteurs d’à travers les siècles qu’il laissa le soin de faire la synthèse de toutes ses données.

3. État de la question du point de vue moral.

Il a son importance. D’une part, les objections d’ordre moral qui s’élevèrent contre l’exposé augustinien mettaient en pleine lumière la pensée adverse et, d’autre part, Augustin était amené, pour les réfuter, à descendre dans le détail de ses propres conceptions. Nous résumerons cependant ces objections en les ramenant aux suivantes :

a) La doctrine de l’élection ou de la vocaiio secundum propositum, c’est-à-dire en vertu d’un décret antécédent, stérilise d’avance et décourage tout ascétisme. Epist., ccxxv, 3, t. xxxiii, col. 1003. C’est la porte ouverte à la tiédeur et aux pires habitudes.

b) L’efficacité de cette vocation rend vaines et superflues toute prédication et exhortation morales. De corr. et grat., ii, 3, t. xliv, col. 917-918. Seule. la prière garde quelque raison d’être. Ibid., iv, 6, col. 919.

c) La gratuité absolue de la grâce légitime toutes les protestations et tous les murmures de la part du pécheur qui ne l’a point reçue. Ibid.

d) Pour tout dire, les inconvénients de la doctrine augustinienne sont tels que, fût-elle vraie, il ne faudrait pas la prêcher aux fidèles, mais la tenir comme strictement ésotérique. De dono pers., xx, 51, t. xlv, col. 1025.

Notons que Prosper et Hilaire, Prosper surtout, avec une précision et une compétence surprenantes chez ce « simple laïque qui se piquait de théologie », avaient indiqué à l’évêque d’Hippone le sens dans lequel celui-ci devait exposer sa réfutation du système semi-pélagien. Ils lui demandaient en effet de montrer : le danger que cette doctrine faisait courir à la foi chrétienne ; comment la grâce divine préopérante et coopérante ne gêne aucunement l’exercice du libre arbitre ; les relations aussi de la prescience et du décret divin. Epist., ccxxv, 8, t. xxxiii, col. 1006. Et Prosper avance trois hypothèses : a. La prescience est-elle réglée par le décret divin,