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2837 PRÉDESTINATION. S. AUGUSTIN, ÉTAT DE LA QUESTION 2838

b) Le « De gralia et libero arbilrio ». — Étant ainsi le premier traité sur la question délicate de la prédestination, il était inévitable que la lettre fît sensation. Ceux qui s’en émurent le plus ouvertement furent les moines d’Hadrumète, qui arrachèrent à leur abbé Valentin la permission d’aller trouver Augustin, afin de recevoir de lui l’interprétation authentique de la lettre à Sixte, celle donnée par un des leurs, le moine Florus étant, prétendaient-ils, erronée. Augustin reçut les délégués Cresconius et Félix, les garda quelque temps avec lui, et s’enquit auprès d’eux de la gravité de l’affaire. Enfin, il les congédia en leur remettant deux lettres (ccxiv et ccxv) pour Valentin et un livre, De gratia et libero arbitrio, destiné à pacifier le monastère (426). En même temps, il mandait Florus, le perturbateur p’résumé, que Valentin lui envoya, mais en le blanchissant de toute accusation, car, en réalité, il avait été le premier à signaler le péril couru par les esprits.

Dans sa première lettre à Valentin, Augustin donne comme règle d’interprétation de la lettre à Sixte de ne pas nier l’efficacité de la grâce pour en exalter d’autant le libre arbitre et de ne pas défendre l’indépendance de ce dernier, tamquam sine illa (la grâce) vel cogitare aliquid vel agere secundum Deum ulla ratione possimus, quod omnino non possumus. Episl., ccxiv, 2, col. 969. Il explique comment son livre De gratia et libero arbitrio vient au secours de ceux qui défendent la grâce de si maladroite façon qu’ils nient la liberté humaine, et de ceux qui, lorsqu’on défend cette même grâce, comme il convient, se figurent que la liberté humaine est sacrifiée. De gral. et lib. arb., i, 1, t. xiiv, col. 88t.

S’il est un ouvrage où saint Augustin garde le « sens du mystère », c’est bien celui-là. Sachant la difficulté des questions qu’il y traite, il en conditionne la compréhension par l’exercice des dons de sagesse et d’intelligence. Il affirme la coexistence du libre arbitre et de la grâce. De celle-ci, il montre, par l’Écriture, et la nécessité et l’efficacité, sans que celui-là en soit aucunement atteint. C’est qu’il y a entre eux des rapports de subordination, du moins lorsque la liberté opère des œuvres bonnes. Pour Augustin, en effet, la liberté s’exerce d’autant plus qu’elle s’applique à faire davantage le bien. Laissée à elle-même, elle ne peut que déchoir et elle déchoit en fait, si Dieu le permet. Le mystère de la prédestination se réduit à ceci : 1. Par sa grâce toute-puissante, Dieu rend la liberté de l’homme, qui, à cause du péché, est mauvaise de fait, capable d’oeuvres méritoires ; 2. par une permission que lui suggèrent de secrets jugements, Dieu, en certains cas, laisse mauvaise de fait la liberté de l’homme. Le mystère est donc celui de l’élection divine : ex massa perditionis. C’est un mystère de justice et de bonté.

Mais le De gralia et libero arbitrio ne parvint pas à apaiser totalement les cénobites d’Hadrumète. Florus, mandé par Augustin, comme nous l’avons dit, et ceux qui l’accompagnèrent, rapportèrent au saint docteur l’impression qu’il avait produite. Une conséquence de la doctrine même du De gratia et libero arbitrio restait en litige. Elle fut présentée sous forme d’objection : celui qui a manqué de la grâce sans laquelle il ne pouvait bien agir, en quoi est-il répréhensible d’avoir mal agi ? Il ne faut donc pas corriger les pécheurs, mais prier pour eux. Des prédicateurs, les fidèles doivent non pas recevoir des avertissements, mais solliciter de pieux suffrages.

c) Le "De correptione et gratia ». — La réponse à cette objection, que déjà saint Paul avait mis sur les lèvres d’un interlocuteur fictif (cf. Lagrange, Épilre aux Romains, p. 327) fut le De correptione et gratia. Augustin y prend la difficulté des moines d’Hadru mète, la complique à plaisir de considérations tirées de la non-persévérance d’Adam, en prend occasion de développer sa pensée sur tout ce qui ressortit au mystère de la prédestination, et conclut que la grâce n’est en aucune manière un obstacle à la correction des pécheurs, ni le bien-fondé de celle-ci, une raison de nier l’efficacité de la grâce. Florus et ses compagnons emportèrent l’ouvrage en 426 ou 427, quelques jours après Pâques. Il n’allait pas tarder à déborder le monastère africain, et Prosper, écrivant peu après à Augustin, remarquait, en même temps que sa grande valeur, l’opportunité de son apparition dans les Gaules.

d) La lettre à Vitalis de Carthage. — Cependant, le zèle d’Augustin se trouvait sollicité d’un autre côté. On lui avait rapporté qu’un certain Vitalis de Carthage enseignait la non-gratuité de Yinitium fidei : Quomodo dicis quod te audio dicere : « Ut recte credamus in Deum et Evangelio consentiamus, non esse donum Dei, sed hoc nobis esse a nobis, id est ex propria voluntate, quam nobis in nostro corde non operatus est ipse. » Epist., ccxvii, 1, t. xxxiii, col. 978. Plus encore, il revendiquait le pouvoir, pour la liberté, de rendre efficace la grâce divine : Per legem suam, per Scripturas suas, Deum operari ut velimus, quas vel legimus vel audimus : sed eis consentire vel non consentire ita nostrum est, ut si velimus fiai, si autem nolimus, nihil in nobis operationem Dei valere jaciamus. Ibid.

Augustin lui écrit en 427. Bien que sa lettre ait surtout un caractère apologétique, il y traite encore les points principaux de sa doctrine sur la prédestination : entre autres, la gratuité totale de celle-ci. L’argument auquel il recourt de préférence est celui qui se tire de la prière de l’Église et qui, dans la thèse de Vitalis, perd toute sa raison d’être : il doit suffire de prêcher. Ibid., 2, col. 978. Voyant le danger d’une pareille position, qui est celle des pélagiens, et pour établir clairement la position orthodoxe, le saint docteur condense celle-ci en douze sentences qui vont toutes, en fin de compte, à affirmer la souveraine efficacité de la grâce divine.

e) Le « De prædestinatione sanctorum » (428). — a. Occasion. — Dans les Gaules, à la même époque, et à Marseille principalement, plusieurs, dont JeanCassien. l’auteur des Collationes, et Vincent de Lérins, l’auteur du Commonitorium, enseignaient une doctrine qui pouvait paraître incliner vers le pélagianisme. Attentifs aux ouvrages d’Augustin contre les pélagiens, ils avaient été surpris de la doctrine intransigeante qu’il y enseignait. L’apparition du De correptione et gratia, plus formel encore que les autres, vint mettre le comble à cette surprise. Tant et si bien que l’enseignement de l’évêque d’Hippone fut réputé par beaucoup contraire à la tradition et au sentiment de l’Église, tandis que les fidèles partisans d’Augustin eux-mêmes, troublés par la crainte, modifiaient leur avis ou n’osaient plus l’exprimer publiquement. Cependant, quelques-uns, plus avertis, comprirent qu’une telle attitude ouvrait la voie au pélagianisme. De ce nombre furent Prosper et Hilaire qui se mirent en devoir de renseigner Augustin. Prosper lui fait savoir ce que professent les Marseillais : la croyance au péché d’Adam et à la nécessité de la régénération par la grâce de Dieu, la rédemption proposée à tous sans exception, mais conditionnée par la volonté d’accéder à la foi et au baptême : ut quicumque ad fidem et ad baptismum accedere voluerint salvi esse possint. Episl., ccxxv, 3. t. xxxiii, col. 1003. Dieu connaît de toute éternité ceux qui croiront et persévéreront dans leur foi, au secours de laquelle sera venue la grâce..Sont l’objet de la prédestination à la gloire ceux qui, rappelés sans aucun mérite de leur part, se seront rendus dignes d’être choisis et auront heureusement terminé cette vie. La vie éternelle est la récompense d’un généreux