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PRÉDESTINATION. LES PÈRES APOLOGISTES


esl en nous, wi, 9, p. 128. il faut noter cette mention de Dieu qui connaît les pensées et les cœurs ; pour les Grecs, le Dieu qui sauve et qui punit est avant tout le Dieu qui rend à chacun selon ses œuvres, le Dieu omniscient. Ailleurs Clément met spécialement en relief, et dans un langage tout paulinien, le caractère gratuit de l’œuvre divine : « Tous donc (il s’agitdes saints de l’Ancienne Alliance) ont obtenu gloire et grandeur non par eux-mêmes, non par leurs œuvres, non par les actions justes qu’ils ont faites, mais par la volonté (de Dieu). Et nous donc, appelés par sa volonté dans le Christ Jésus, nous ne sommes justifiés ni par notre sagesse ou notre intelligence ou notre piété, ni par les œuvres que nous avons faites dans la sainteté de nos cœurs, mais par la foi par laquelle Je Dieu tout-puissant les a tous justifiés dès l’origine. » xxxii, 3-4, p. 138-140. Le dessein de Dieu est unique, tous ceux qui sont justifiés le sont par la foi et non par les œuvres. Quelques nuances d’expression, propres à Clément, accentuent plutôt la doctrine de saint Paul ; aussi le pontife, qui semble pressentir une objection, se hàte-t-il d’ajouter : « Que ferons-nous donc, frères ? Allons-nous cesser de faire le bien et abandonner la charité ? Pas du tout, Dieu ne nous le permet pas ; mais efforçons-nous avec ardeur et promptitude de parfaire toute œuvre bonne. » xxxiii, 1, p. 140. L’exemple nous est donné par le Maître de toutes choses qui ne cesse d’exulter dans ses œuvres. Ibid., 2. « Ayant un tel modèle, marchons à sa volonté, et, de toute notre force, accomplissons l’œuvre de la justice. » xxxiii, 8, p. 140.

On pourrait énumérer, dans ce même esprit, tous les conseils moraux que donne Clément touchant la paix à rétablir dans l’Église de Corinthe ; il suffit ici de faire état de deux passages d’une portée plus générale. Celui qui accomplira les jugements et les préceptes donnés par Dieu, « celui-là sera placé et compté parmi le nombre de ceux qui sont sauvés par Jésus-Christ ». lviii, 2, p. 174. Dieu a des entrailles de Père envers ceux qui le craignent, « il donne ses faveurs, en toute suavité et douceur, à ceux qui vont à lui dans la simplicité de leur cœur ». xxiii, 1, p. 130. L’idée qui domine la pensée de Clément en ces matières paraît bien être exprimée par la formule suivante : « Il nous faut être prompts à faire le bien, tout en effet nous est donné par Dieu. » xxxiv, 12, p. 140.

Clément se plaît, quelques lignes plus loin, à énumérer ces dons de Dieu : « la vie dans l’immortalité, la splendeur dans la justice, la vérité dans la liberté, la foi dans l’assurance, la maîtrise de nous-mêmes dans la pureté ». xxxv, 1-2, p. 142. La chasteté ne doit point donner lieu à la vaine gloire, < un autre nous accorde la maîtrise de nous-mêmes ». xxxviii, 2, p. 148.

Une autre expression peut nous aider à résumer la doctrine de l’épître. A la fin de la prière pour les princes, Clément s’adresse à Dieu qui est « seul capable de faire avec nous ces biens et des biens meilleurs ». lxi, 3, p. 180. Dieu seul capable, ô u.ôvoç S’jvxtoç, de réaliser le bien, mais le réalisant avec nous, uxO’Y)u.cov, cette formule marque déjà la voie dans laquelle va peu à peu s’engager la théologie grecque de l’ordre du salut.

2° Saint Ignace et saint Pohjcarpe se présentent eux-mêmes comme d’insignes prédestinés plutôt que comme des docteurs soucieux d’un exposé didactique. Leur attitude religieuse, leur humilité devant les grâces qui leur sont faites et la gloire qui les attend, leur constant souci de se recommander aux prières des communautés chrétiennes, voilà le véritable enseignement qu’ils nous donnent. On peut cependant signaler qu’Ignace, comme le faisait saint Paul au début de ses lettres, fait mention de la prédestination dans l’adresse de son épître aux Éphésiens. « A l’Église prédestinée

avant les siècles (t/J 77 po<jjp’.a|j.év7] rrpô oclûvedv) dans la volonté du Père et de Jésus-Christ. - Punk, op. cit., t. 1, j). 213. Saint Polycarpe, s’adressanl aux Rhilippiens, reproduit, de façon presque littérale, les paroles mêmes de saint Paul, dans Eph., i 1, 5-8-9 : /âp’.TtÈaT£G£iToj|j.Évo’., oôx èÇ spywv, àXXà 0sXy ; |j.xti 0eoû Stà’I7JOOÛ Xp’.o-ro’j. « Vous êtes sauvés par grâce non par les œuvres, mais par la volonté de Dieu par Jésus-Christ, l’tiit.. 1,.{, p. 296.

II. Les prédécesseurs d’Orioène. — 1° Les Pères apologistes de la fin du iie siècle sont des philosophes plus que des théologiens ; les nécessités de la controverse avec les païens les inclinaient à demeurer sur le terrain des vérités naturelles. Tatien, Athénagore, Théophile d’Alexandrie, dans ceux de leurs ouvrages qui sont parvenus jusqu’à nous, ne parlent pour ainsi dire pas des mystères de la grâce et de la prédestination. Tatien cependant peut être invoqué en faveur du réalisme de la grâce et de la nécessité constante de l’action du Saint-Esprit dans la vie chrétienne. Oralio, 13, P. G., t. vi, col. 836 A. Les uns et les autres font grand état de la prescience divine et de son universalité, mais il s’agit surtout pour eux d’établir l’ordre général de la providence et d’asseoir l’argument prophétique qui joue un si grand rôle dans leurs apologies.

2° L’œuvre de saint Justin, quoique dominée, elle aussi, par des besoins apologétiques, présente un caractère doctrinal plus nettement marqué. On peut y glaner certains éléments d’une théologie de l’ordre du salut.

La notion de la science divine est mise, de façon spéciale, en relief. « C’est l’œuvre de Dieu de dire d’avance ce qui arrivera et de le montrer s’accomplissant comme il a été prédit. » Apol., 1, 12, P. G., t. vi, col. 345 A. Lien plus, « l’Esprit prophétique annonce les choses futures comme si elles étaient déjà faites ». Apol., 1, 42, col. 392 B. Tout ceci a directement pour but de fonder la valeur de l’argument prophétique auquel Justin accorde un large crédit. Mais l’œuvre du salut est, elle aussi, l’objet de la science universelle de Dieu. Celui-ci prévoit (7rpoyi.va>a>ce0 que certains hommes, qui ne sont pas encore nés, feront leur salut par la pénitence. Apol. ; 1, 28, col. 372 C. Ailleurs Justin nous montre Dieu retardant la punition de ses ennemis et des démons et différant la fin du monde jusqu’à ce que le nombre des préconnus (ô àp(.60_o< ; twv TrpoEYvwafjtivœv) soit complet. Apol., 1, 45, col. 396 D. Cette dernière expression : le nombre des préconnus, est significative des tendances de la théologie grecque ; dès les débuts de la formation de son vocabulaire technique, elle préfère nettement le mot prescience, 7TpÔYvcoote ;, au mot prédestination, 7rpoopi<7u.6< ;. Le philosophe martyr témoigne déjà d’un usage qui recevra de saint Jean Damascène sa consécration définitive.

La science universelle de Dieu n’exclut pas la liberté humaine. « Si nous disons que les choses futures sont prédites, nous ne disons pas, pour autant, qu’elles se réalisent par la nécessité du destin. » Apol., 1, 44, col. 396 B. Mais cette prescience des actions humaines permet à Dieu de récompenser chacun selon ses mérites, ainsi qu’il l’a lui-même établi. Ibid. Ceci est explicitement dirigé contre la doctrine stoïcienne du fatum et contre l’absence de toute rémunération transcendante enseignée par les philosophes du Portique. Le fatum n’est pas la cause responsable, aWa, des actes pervers. Apol., 1, 43, col. 393 B. Le vrai fatum inéluctable est le suivant : ceux qui choisissent le bien obtiendront les récompenses qu’ils méritent, ceux qui adoptent une attitude contraire recevront des châtiments également mérités. Ibid. Ceux qui demeurent dans l’injustice n’échapperont pas au juste jugement de Dieu, « que cela soit qui plaît à Dieu ! » : ô çîXov tû Qew toOto yevÉcOco. Apol., 1, 68, col. 432 B.