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    1. POUVOIR DU PAPE##


POUVOIR DU PAPE. LES THÉOLOGIENS DU XVI* SIÈCLE 2756

Hœc etiam est Turrecremata ; et est omnium doctorum.

— Papa nullam potestatem habei in barbaros istos (les ludions) neque in alios infidèles. « Celle dernière proposition, ajoute notre théologien, résulte des deux précédentes. Le pape n’a, en effet, de pouvoir temporel qu’en vue du spirituel. Or, il n’a pas de pouvoir spirituel sur les Indiens, doue, pas de pouvoir temporel. » Cette doctrine, toute thomiste, reconnaît la légitimité et l’inviolabilité du domaine publie comme du domaine privé chez les infidèles ; elle s’oppose aux abus que les conquistadors justifiaient par les thèses de l’école de Gilles de Rome : mais, comme Cajétan, Vittoria revendique pour l’Église et pour le pape le droit imprescriptible de faire annoncer l’Évangile aux païens et de protéger les convertis.

Néanmoins, si Vittoria, après Cajétan, nous entraîne fort loin, pour ces vues de principes, de Gilles de Rome, il nous y ramène, lorsque, fidèle à une tradition à la vérité plus fournie, il affirme que le pape peut aliquando reges deponere et etiam novos constituere, sicut aliquando factum est. Et certe nullus légitime christiaruis deberet negare hanc potestatem. De Indis recenter inventis. sect. i. 7. p. 226, 240-243 ; cf. De potestate Ecclesiæ, i. 6, 12. 13. Lyon, 1586, p. 44-45.

L’école dominicaine n’expose de vues bien nouvelles qu’avec Dominique Soto († 1560). Comme ses devanciers, celui-ci affirme la distinction des deux pouvoirs, la primauté du spirituel, avec cette réserve, visant la propriété, que le pape n’est pas pour autant le maître (dominus) de toute la terre in temparalibus. Mais il va plus loin peut-être dans cette voie des restrictions, et jusqu’à dire, à rencontre de Vittoria, que non solum papa non est dominus temporalium regnorum, imo née sic superior, ut reges possit instituere. De même, il se sépare de Torquemada et autres, lorsqu’il attribue

« non pas au pape », mais « à la république », le droit

de renverser le souverain qui deviendrait tyran sans attenter à la foi. II reste pourtant attaché à une dernière conclusion qui, pour lui est « catholique », contra eorum hæresim qui abdicant pontifici temporalem potestatem : si le bien de la foi et de la religion l’exige, le pape, en vertu de sa puissance spirituelle, peut non seulement agir contre les rois pour les contraindre par des censures ecclésiastiques, mais il peut toujours, en vertu de son pouvoir spirituel qui utilise comme instrument le pouvoir temporel, priver n’importe quel prince chrétien de ses biens temporels et procéder contre lui jusqu’à la déposition ; et Soto précise bien que le pape, ce faisant, n’use encore que de sa propre puissance, qui n’est pas purement temporelle, mais qui. en l’occurrence, se sert de la puissance temporelle comme « servante » de la spirituelle. Par ces atténuations (eodem moderamine), par des formules comme in ordine ad spiritualia, Soto croit pouvoir expliquer, dans la bulle Unam sanctam le texte de Boniface VIII, ubi ait in potestate romani pontifieis duos esse gladios, spiritualem videlicei et temporalem. Par là aussi il veut justifier les faits exploités contre le Saint-Siège par ses ennemis : Jamais les royaumes n’ont été changés par les papes qu’en raison de la foi (rti’si causa fidei). C’est pour une raison de cet ordre que le pape Etienne a transféré l’empire des Grecs aux Germains ( 1)… et qu’Innocent IV a interdit au roi de Portugal l’administration de son royaume. In 1’um Sent., dist. XXV, q. ii, Venise, 1581, p. 66-74.

La théologie de liellarmin.

Ce n’est plus au

regard des Indes nouvelles, mais en face d’une Kurope bouleversée par la Réforme, que Bellarmin († 1621) eut à traiter cette irritante question du pouvoir du pape en matière temporelle.

En 1571, à Louvain, Saunders (Sanderus) avait publié un De visibili monarchia Ecclesiæ ; c’est ce théologien plutôt que ceux de l’école dominicaine que

suivra le savant jésuite. La substance de sa doctrine, quant au point qui nous occupe, se trouve principalement dans la troisième de ses controverses générales, De Tomano pontifi.ee, 1. V. De temporali dominio ejusdem pontifieis (1588), Opéra, t. ii, p. 145 sq. ; il faut y ajouter quelques œuvres de polémique particulière : De translatione imperii romani a Grœcis ad Francos adv. Flaccitun Illgricum (1599), t. vi. p. 561 sq., les écrits qui se rapportent à la controverse anglaise et à l’apologie de Jacques I er concernant le serment d’allégeance et les catholiques (1608-1609), enfin le Trælutus de potestate summi pontifieis in rébus temporalibus adversus G. Barclaium (1611), t.xii, p. 1 sq. (Il s’agit de Guillaume Barclay, voir son article, t. ii, col. 389.)

1. Bellarmin ne prétend pas inventer une théorie nouvelle, pas même de nouvelles formules. Voir ici, art. Bellarmin, t. ii, col. 591-593. Il se réclame d’une série impressionnante de théologiens et de canonistes ; il invoque aussi les divers actes pontificaux ou conciliaires, surtout ceux qui furent portés de Grégoire VII à Boniface VIII ; il rappelle et commente les faits historiques si amèrement reprochés au Saint-Siège dans ce débat. A vrai dire, le célèbre controversiste ne fait pas toujours le départ entre les écrits nettement théocratiques et ceux qui sont plus modérés ; les documents, la bulle Unam sanctam elle-même, il s’efforce de les expliquer dans le sens de ses vues propres et en arrive ainsi parfois à prêter le flanc aux mêmes critiques que les auteurs dont il prétend atténuer les doctrines.

2. Ayant mis hors de conteste le double principe de la distinction des deux pouvoirs et de la prééminence elïective du spirituel, Bellarmin énonce catégoriquement ses conclusions : Directement, de droit divin, le pape n’a aucun dominium temporel, ni de possédant ni de gouvernant, et non pas même sur les terres et biens des fidèles. Mais « indirectement le pape a la souveraine puissance temporelle », c’est-à-dire « un souverain pouvoir de disposer, en vue des fins spirituelles, des biens temporels de tous les chrétiens », comme l’âme dispose du corps dans le composé humain. Cette comparaison traditionnelle, notre docteur, oubliant un peu que comparaison n’est pas raison, l’exploite et la développe, non sans raideur, jusqu’au point le plus épineux de sa thèse. Si l’esprit ne s’immisce pas dans les activités propres de la chair, cependant, il lui commande en maître et, si elle contrarie les fins supérieures de l’esprit, il la châtie, la mortifie, lui impose même la mort ( ?). De même, le pouvoir spirituel n’a pas à s’ingérer dans les affaires temporelles ; mais si les actions du pouvoir civil nuisaient à la fin spirituelle ou négligeaient de la bien servir, le pouvoir spirituel pourrait user de contrainte à son égard, qu’il s’agisse de la personne des juges et des princes séculiers, des lois civiles ou du for judiciaire. « Quant aux personnes, le pape, comme tel, eii qualité de juge ordinaire etiam justa de causa, ne peut déposer un prince de la même manière qu’il dépose un évêque ; mais il peut transférer les États et enlever le pouvoir à l’un pour le conférer à un autre, si ce changement est nécessaire au salut des âmes, agissant en tanl que chef souverain du spirituel… En ce qui concerne les lois, le pape, comme tel, ne peut faire lui-même des lois civiles, à l’ordinaire du moins, non plus que confirmer ou infirmer les lois des princes, parce qu’il n’est pas lui-même prince politique de l’Église. Pourtant, tout cela il peut le faire, si quelque loi civile est nécessaire au salut des âmes et si les rois ne veulent pas l’établir, ou si telle autre est pernicieuse au salut des âmes et que les princes relusent de l’abroger… Quant aux jugements, le pape, comme tel, ne peut non plus, en tant que juge ordinaire, connaître des affaires temporelles ; néanmoins, dans le cas ou c’est nécessaire