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2749 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XVe SIÈCLE 2750

3. Les théoriciens du pouvoir royal.

Mais si la thèse de la subordination du pouvoir temporel à l’Église avait fini par pénétrer chez les maîtres les plus fameux des universités, il s’en faut qu’elle ait prévalu parmi les légistes de l’entourage du roi de France ou de l’empereur.

a) En France, les conseillers de Philippe le Bel curent des successeurs, qui revendiquèrent âprement l’indépendance de leur souverain. Qu’il suffise de citer quelques noms plus représentatifs.

C’est Pierre de Cugnières, qui, à l’assemblée de Vincennes de 1329, ne manque pas, à rencontre de Pierre Roger et de Pierre Bertrand, de reprendre à son profit l’exégèse ancienne du texte des deux glaives, pour en tirer la distinction radicale des deux pouvoirs. « Le temporel, disait-il, doit appartenir aux (chefs) temporels, et le spirituel aux spirituels, car Dieu a institué deux glaives, selon la parole : Ecce duo gladii hic. » Dans Durand de Maillane, Les libertés de l’Église gallicane, Lyon, 1771, t. iii, p. 480.

Peu après, Charles V fit traiter par écrit la brûlante question. C’est, en effet, sous son règne et, vraisemblablement, sous son inspiration, qu’un légiste resté inconnu — peut-être Philippe de Maizières — reprit le thème du Rex paci ficus et du Dialogue entre un clerc et un chevalier dans un livre au titre poétique, Le songe du vergier (1376). En dépit du titre, c’est un ouvrage ardu, une sorte de discussion contradictoire entre un clerc encore et un chevalier, sur la juridiction ecclésiastique et la juridiction séculière. Le clerc soutient la suprématie du sacerdoce en des termes souvent exagérés à dessein ; le chevalier défend, au contraire, avec une apparente modération, l’indépendance du pouvoir civil et, conformément à la politique royale, c’est lui qui a le beau rôle. Bien entendu, il s’en prend à tous les arguments favoris des canonistes pontificaux. A propos du couverte gladium tuum in vaginam, sur lequel on insistait en faisant valoir le tuum, pour prouver que le pape avait en propriété la juridiction temporelle, il fait observer, d’abord, qu’il ne s’agit, dans l’espèce, que d’une arme offensive et, en outre, que le possessif n’est pas à prendre toujours au sens le plus strict : « Les bouviers et les pâtres parlent aussi de leurs troupeaux et de leurs brebis, et, pourtant, ils n’en sont pas les propriétaires, ils en ont seulement la garde. » Et que l’on n’invoque pas ici l’exégèse de saint Bernard : « Salva reverentia, dit notre chevalier, saint Bernard n’a pas l’autorité des Écritures ; il a pu se tromper ; saint Augustin lui-même n’a-t-il pas écrit des rétractations ? » Somnium viridarii, c. lxiii, lxviiilxix, lxxxiv, dans Goldast, op. cit., 1. 1, p. 80-82, 88 ; en traduction française de l’époque, dans Brunet, Traité des droits et libertés de l’Église gallicane, t. ii, Paris, 1731. Le parlement de Paris fit réimprimer plusieurs fois cet ouvrage aux réparties habiles et pénétrantes, qui exerça en France une grande influence et devint une mine inépuisable d’arguments contre une certaine conception de l’Église jusqu’au xix c siècle même.

Moins caustique peut-être que l’auteur du Songe du vergier, mais dans le même esprit et vers la même époque, Guy Pape, conseiller au parlement de Grenoble, argumente en suivant, lui aussi, les canonistes sur leur terrain. Il utilise le symbole des deux luminaires, l’analogue de celui des deux glaives, pour démontrer la mutuelle indépendance du pape et de l’empereur dans leurs domaines respectifs, et il va jusqu’à cette formule que l’empereur dicitur quoad temporalia Deus in terris. Consilium, 65, n. 7-9, Francfort, 1574, p. 133.

b) Non moins résolu, le jurisconsulte italien Antoine de Rosellis († 1467), qui fut cependant délégué par Eugène IV au concile de Bâle, écrivit un grand traité De monarchia, où il professe explicitement l’autonomie du pouvoir temporel. Les deux glaives, au sens mys tique, ne peuvent, selon lui, que désigner les deux Testaments ; l’autorité de la bulle Unam sanctam, qui consacre l’exégèse symbolique des deux pouvoirs, est bien faible, puisqu’elle est rejetée parmi les Extravagantes communes. Du reste, le Christ, qui a donné à l’Apôtre les clés du royaume des cieux et laissé à César ce qui fui revient, n’a pu se contredire en donnant à Pierre les deux glaives. Suit une discussion serrée du texte, où les possessifs jouent leur rôle et qui se clôt par cette sentence qui donne la note dominante de l’ouvrage : « De même que le fils ne tient pas de son père les biens adventices, mais en dispose néanmoins d’après l’avis de son père, ainsi le prince doit s’inspirer des conseils du pape pour l’exercice du glaive temporel, qu’il ne tient pas cependant du Saint-Siège. » De mon., i, 49, dans Goldast, op. cit., t. i, p. 279-280.

c) Au xvi c siècle, le juriste espagnol Michel Ulcurruno, de Pampelune, en combattant la thèse théocratique, éprouvera encore le besoin de réfuter l’argument des deux glaives, mais, pour lui, le mitte gladium tuum in vaginam signifie, sur les lèvres du Sauveur, une défense irrévocable et rigoureuse ; à partir de la passion, le glaive temporel est formellement interdit aux apôtres qui, dès lors, ne peuvent s’autoriser de l’exemple antérieur, souvent allégué, de leur Maître chassant les vendeurs du Temple. De regim. mundi, part. III, q. ii, n. 57-58, dans Traclalus juris, t. xvi, fol. 114.

4. Les modérés.

Tandis que Wiclef et Jean Huss sapaient par la base non seulement la juridiction de l’Église sur le temporel, mais encore son droit de propriété et sa constitution essentielle, les théories conciliaires de Pierre d’Ailly († 1420), en faisant de l’Église une aristocratie, n’accordaient pas même au pape la primauté dans l’ordre spirituel. Jean Gerson († 1429), avec une tendance plus démocratique, reconnaît au Siège romain une certaine influence, une sorte de « pouvoir directif ». Tous les hommes, princes ou autres, disait-il, sont soumis au pape, en tant qu’ils voudraient abuser de leur souverain domaine contre la loi divine et naturelle. Sermo de pace et unione Grsecorum, consid. v, Opéra, éd. Ellies du Pin, Anvers, 1706, t. ii, col. 225-226. Mais, cette application du ratione peccati, c’est par le dedans, sur les consciences, que la conçoit le chancelier de Paris ; à l’écart des thèses extrêmes, les doctrines moyennes ont fait des progrès notables.

De ces progrès nous avons un intéressant témoin dans Thierry de Niem († 1418), un théologien, longtemps attaché à la cour d’Avignon, qui ne fait pas difficulté de déclarer que c’est de Dieu immédiatement que vient la dignité impériale. De schismate univ., ni, 7, dans Goldast, op. cit., t. ii, p. 1476.

Le dominicain Jean de Torquemada († 1468) est souvent rangé parmi les tenants du pouvoir direct : c’est qu’il en a gardé la formule, papa habet ulrumque gladium, par déférence pour les textes. Mais, dans sa Summa de Ecclesia, il apporte à la thèse théocratique de sérieuses réserves. A la manière de Jean de Paris, il mentionne d’abord les deux opinions extrêmes, celle qui prétend que la juridiction du pontife romain, considéré comme vicaire du Christ et chef de l’Église, est limitée aux seules choses spirituelles, sans pouvoir jamais s’étendre aux temporelles, et celle qui déclare, au contraire, que le pape, en vertu de sa primauté apostolique, possède, tant au temporel qu’au spirituel, une pleine juridiction sur l’univers, en sorte que le pouvoir de juridiction des rois, des princes séculiers est dérivé du pape. Ces deux théories, qui lui semblent minus probabiles, le célèbre cardinal se propose de les éviter pour choisir une -via média, qui peut se résumer en deux propositions : Quod romanus ponti/ex, jure principatus sui, habeat jurisdictionem aliquam in temporalibus in toto orbe christiano. Quod, licet papa habeat