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2747 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XVe SIÈCLE 2748

nisle français, Bernard de Rousergue, plus tard archevêque de Toulouse, compose un mémoire où il insiste, mais après Innocent IV et tant d’autres, sur ce fait que le Christ n’a pas dit à Pierre de jeter son glaive, mais de le garder. Liber intitulatus etc. cité dans Reeh. de science rcl.. art. cit., t. xxii, p. 167, n. 38. Vers la même époque, réfutant le juriste Antoine de Rosellis, le dominicain allemand Henri Institor (t vers 1500), rétablit la teneur du célèbre argument scripturaire. Opusc. in errores Monarchies, part. II, c. iii, n. 3, Venise. Il ! » ’. ».

Le franciscain saint Jean de Capistran († 1456) revient sur l’absurdité du salis entendu littéralement et fait observer que le gladium tuum désigne une véritable propriété. De papa et concilii sive Ecclesia’auctoritate. Il » part., éd. Venise. 1580, fol. 76-77.

Du reste, ce qui justifie aux yeux de tous ces auteurs la valeur de la preuve, c’est l’emploi qu’en ont fait saint Bernard et Boniface VIII. C’est à l’abbé de Clairvaux que le dominicain saint Antonin († 1469) fait appel pour étayer sa thèse quod potestas imperalorum, regum et principum sit in ministerium data a Deo mediante papa. La thèse, d’ailleurs, est théocratique à souhait : le saint explique clairement ce qu’il entend par in ministerium dare : Illa potestas est in ministerium aliis data qme est restringenda, amplianda et exsecutioni mandanda ad imperium ejus a quo data est in ministerium. Sum. theol., III a p., tit. xxii, c. ni, 7, éd. Vérone, 174(1. t. iii, p. 1195-1196. C’est le même son que rendent les propositions du théologien bolonais Isidore de Milan († 1522), selon que le pape est empereur, sinon formaliter. du moins eminenter, de par ses fonctions de pasteur suprême. Et, bien entendu, c’est le texte de Luc, éclairé par la bulle Unam sanctam. qui fournit l’un des principaux arguments d’autorité. De imperio mililanlis ecclesise, ii, 8, Milan, 1516.

2. Pénétration des idées theocratiques chez les civitistes.

— Mais ce qui est plus étonnant et plus remarquable, c’est la pénétration de ces idées theocratiques jusque chez les légistes et les romanistes. Alors qu’aux siècles précédents, ils sont à peu près unanimes pour soutenir la distinction et la coordination des deux pouvoirs, à partir du xive siècle ils subissent décidément l’influence des canonistes et des théologiens pontificaux, jusqu’à se rallier même aux conceptions qui voyaient dans la dignité impériale une simple émanation de l’autorité pontificale. Les Décrétâtes et leurs commentaires ont envahi le monde des juristes ; docteurs in utroque, ils se sont laissé dominer peu à peu par les expressions familières aux canonistes.

En France, citons comme particulièrement typique le cas de Pierre Jacobi († 1350), professeur à Montpellier. Dans sa Practica aurea, il explique, sans doute, que l’empereur reçoit son pouvoir a populo romano ; mais c’est du pape qu’il reçoit sa confirmation, son sacre et, par conséquent, habet illius gladii (materialis ) executiunem a papa. En effet, pour lui, papa habet ulrumque gladium, ce qu’il prouve par les textes et par les raisonnements habituels aux glossateurs. Avec eux, il ne craint pas d’affirmer que le pape a le pouvoir d’user du glaive temporel : sinon, le Christ n’aurait pas dit à Pierre : pone gladium in uaginam, mais remove vel redde gladium. rubr. 63, Cologne, 1575, p. 290. Pourtant, concède notre auteur, le pape doit user très rarement de ce glaive.

En Italie, jusqu’au xvie siècle, toute une lignée de remarquables juristes se montre acquise ou ralliée aux mêmes théories. Oldrade († 1335), professeur à Pologne et à Padoue, fait écho à Gilles de Rome : pour lui. l’empire vient de Dieu, non immédiate, sed per débitant et subaltrrnam emanationem a vicario Jesu Christi. Consilium, 180, n. 12 et 15, éd. Lyon, 1550, fol. 67 v°. Son disciple Bartolo de Sassoferato († 1357) professe

la même doctrine en des termes dont la magnificence rappelle ceux d’Honorius d’Autun : « Il y eut d’abord, dit-il, l’empire de Babylone, puis celui des Mèdes et des Perses, en troisième lieu celui des Grecs, en quatrième celui des Romains : enfin, après la venue du Christ, l’empire des Romains a commencé d’être l’empire du Christ : c’est pourquoi, aux mains du vicaire du Christ, se trouve l’un et l’autre glaive, le spirituel et le temporel. Le Christ, en effet, est la pierre détachée sans l’action d’une main humaine, dont le règne ne sera pas brisé, selon la prophétie de Daniel. Ainsi, avant le Christ, l’empire romain ne dépendait que de lui-même, on pouvait dire en vérité que l’empereur était le maître du monde et que tout lui appartenait. Après le Christ, toute la puissance impériale est passée au Christ et à son vicaire, pour être transférée par le pape au prince séculier. » In const. Henrici VII « ad reprimendum » n. 9, dans Consilia et tractalus, éd. Lyon, 1563, fol. 127. Dans son commentaire du Digeste, il ne craint pas d’affirmer que « Dante, après sa mort, a été condamné comme hérétique pour avoir nié cette vérité ». In Dig., xxviii, 17, Lyon, 1537, fol. 348 r°. Son contemporain, le feudiste André d’Isernia († 1353), enseigne, lui aussi, que « l’empereur tient son pouvoir du pape », qui succedil in jurisdiclione imperii quando vacat. In usus feudorum, c. De prohibita alienatione jeudi, n. 87, Francfort, 1598, p. 723.

Si Balde de Ubaldis, disciple de Bartolo, est moins asservi aux formules des canonistes, il n’en professe pas moins que quiecumque potestas est sub cœlo est in summo pontiftee et que le pape, à l’exclusion du peuple, peut déposer un empereur fou ou ivrogne. In Décrétai., procemium, n. 16, Venise, 1571, p. 4 v°, et In Dig., i, 3, dans Opéra, Venise, t. vii, p. 18.

Paolo de Castro (| 1492), professeur à Padoue, pour célébrer le pouvoir de l’Église et de son chef, reprend le dithyrambe de Bartolo. In Dig., Lyon, 1545, fol. 10. Vers la même époque, le jurisconsulte Alexandre Tartagni en appelle au texte de Luc et à la bulle Unam sanctam, pour prouver que l’empire procéda a Deo et ab Ecclesia. Consilia, v, 24, Venise, 1610, p. 34 v°. Le fameux juriste d’Arezzo, François Accolti semble moins affirmatif lorsqu’il écrit : …dicunt ecclesiastici viri quod uterque gladius fundaliir in papa… quam opinionem dicunt quod quilibet christianus débet tenere. In II Inst., De rerum divisione, § sacra, n. 2, Lyon, 1523, fol. 1Il v°. Hippolito de Marsigli l’invoque avec Bartolo à l’appui de sa thèse : Imperium dependel ab Ecclesia. Repetitio legis fin. in Dig. II, I, n. 148, Lyon, 1532, fol. 72.

Au début du xvie siècle, le feudiste Matteo d’Afflitto déclare tout uniment : omnes reges subjiciuntur papte in spiritualibus et temporalibus, sed in lemporalibus médiate… et ideo non possunt præscribere reges hujus mundi quod non subsunt papse. In Ium lib. feudorum, pra-f., n. 26-27, Lyon, 1548, fol. 3 V. Même doctrine enfin chez Restauras Castaldus, jurisconsulte italien du temps de Charles-Quint, qui, dans son De imperatore, déclare sans sourciller : « C’est l’opinion commune que le pape a juridiction même sur le temporel de droit divin et, de l’aveu du Christ lui-même, principalement par ce texte : Ecce duo gladii hic, comme le prouve la bulle Unam sanctam. » Q. v, n. 2, dans les Tract, universi juris, t. xvi. Venise, 1584-1586, fol. 33 v°. Et l’on n’en est pas moins déconcerté de trouver chez un légiste français de cette même époque, Jean de Montaigne, en son De parlamentis, cette assertion catégorique : « Juridiquement parlant, nous pouvons dire à juste titre que l’Église est propriétaire, c’est-à-dire qu’elle a la nue propriété de la juridiction séculière, l’empereur et les autres princes n’en sont que les usufruitiers. P. II. n. l.">. ibid., t. xvi. fol. 177 v°.