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2 737 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XlVe SIÈCLE 2738

Le 31 juillet 1297, en suspendant les privilèges précédemment consentis, là bulle Salvator mundi rappelle que le pouvoir du Saint-Siège peut toujours révoquer

les lois qu’il a portées et qu’il ne saurait être limité par les initiatives qu’il a prises par ailleurs ; mais, en même temps, la bulle Ausculta jili entreprend de morigéner Philippe le Bel. Le pape fait valoir les droits de sa primauté, il invite, le roi à s’amender et à venir témoigner de son bon propos devant le eoncile des prélats français convoqués à Rome pour le 1 er novembre 1302 par une troisième bulle, qui, entre autres buts assignés à cette assemblée, mentionne reformaiionem régis el regni, correclioncm prætcrilorum excessuum, el bonum regimen regni. Registre, n. 4420, col. 335-337. Ces intentions et ces vis, ées, la réponse Verba deliranlis filiæ aux observations du clergé de France, le discours du cardinal Mathieu d’Aquasparta et l’allocution pontificale au consistoire du 24 juin 1302 les maintiennent et les défendent catégoriquement ; Boniface conclut : Prœdecessores noslri deposucriint 1res reges Franciœ… Cum rex commisit omniu qux illi commiserunt et majora, nos deponeremus regem ila sieul unum garcionem, licet cum dolore et tristilia magna. Dupuy, Hist. du différend. .., Paris, 1055, p. 79.

C’est bien la suprématie que le pontifo revendiquait en matière de juridiction temporelle, de jure ; personne ne s’y trompait. Si le concile français de Rome se tient sans juger le roi, la bulle Unam sanctam va condenser ex professo toute la doctrine jusque-là seulement indiquée ou supposée (18 nov. 1302).

Après avoir insisté sur l’unité de l’Église, corps mystique du Christ, le célèbre document proclame la nécessaire unité de son chef ; et, parce que les pouvoirs de l’Église sont conformes à sa fin, à laquelle tout s’ordonne, tous les arguments classiques que nous connaissons, et d’abord celui des deux glaives, viennent immédiatement appuyer la revendication d’une juridiction suprême dans le double domaine spirituel et temporel. Sans doute, interviennent les distinctions connues sur la possession et l’exercice de l’un et l’autre glaive ; mais la loi de subordination est fortement énoncée, nam verilale lestante, spirilualis potestas terrenam potestatem insliluere habet et judicare, si bona non fueril… Ergo, si déviai lerrena potestas, judicabitur a potestate spiriluali. Sed si déviai spirilualis minor, a suo superiori ; si vero suprema, a solo Deo non ab homine polerit judicari. On reconnaît la source de ce passage, le texte d’Hugues de Saint-Victor, col. 2719 ; on a essayé de l’atténuer, en interprétant insliluere (comme s’il y avait ul sit bona) dans le sens d’instruire ; le contexte de la bulle, celui d’Hugues et d’Alexandre de Halès qui l’a citée, tout porte à préférer le sens d’instituer, établir.

On reconnaît de même, dans la formule célèbre qui clôt le document, un texte de saint Thomas, Contra errores Grœcorum, ir, 27 : Porro subesse romano pontifici omni humanæ creaturas declaramus, dicimus et definimus omnino esse de necessitate salulis. Rien n’oblige à comprendre cette proposition autrement que le Docteur angélique auquel elle est empruntée ; et c’est précisément ce qui caractérise cette bulle : du point de vue théologique, elle manque d’homogénéité. On a tenté de la ramener et de la maintenir dans les limites du système bellarminien dit du « pouvoir indirect » ou de l’intervention ralione peccali ; cela peut se soutenir, si l’on s’en tient à certaines expressions ; mais il en est d’autres, qui sont plus que des < hyperboles fameuses » et qui, manifestement, débordent cette théorie.

Sans doute, Boniface "VIII distingue les deux pou-voirs, les deux glaives, mais c’est pour en revendiquer la possession ; sans doute encore, il note une différence dans l’exercice de ce double pouvoir ; mais il revendique pour l’Église le plein droit d’institution du pou voir temporel, d’où il résulte que le pouvoir temporel est radicalement subordonné au spirituel (oportet gladium esse sub gladio), ce qui entraîne pratiquement qu’il s’exerce « .7 nuluiii et patienliam sacerdolis. Toutes ces affirmations implacables, sans nuances, nous I s avons rencontrées déjà dans Innocent IV, dans Alexandre de Halès, dans nombre d’auteurs ; elles sont l’expression achevée do la doctrine du pouvoir direct la plus avérée. Du reste, il paraît démontré que le rédacteur de la bulle s’est notablement servi du traité de Gilles de Rome.

Il a utilisé aussi saint Thomas et, s’il a prétendu juger de feudo, il a affirmé son droit primordial de juger de la moralité : spiritualis potestas… habet… judicare, si bona non fueril, et donc des actes de la puissance séculière ralione peccali. Mais ce n’est là, semble-t-il, que la moindre des revendications du célèbre document.

Les actes postérieurs du pontificat ne démentiront pas ce jugement. En avril 1303, Boniface VIII prétend procéder contre Philippe le Bel spirilualiter et temporaliler ; et, dans le discours de la même époque où il va reconnaître Albert d’Autriche comme légitime empereur, après avoir glosé sur l’allégorie des deux glaives, il poursuit en ces termes : sicut luna nullum lumen habet nisi quod recipil a sole, sic nec aliqua lerrena potestas aliquid habet nisi quod recipil ab ecclesiastica potestate ; et il ajoute : ita communiter consueverit intelligi, en concluant sans ambages : omnes (potestates) sunt a Christo et a Noms lanquam a vicario Jesu Christi. Cité par Rivière, op. cit., p. 91. Jusqu’à la fin, Boniface VIII, avec aussi peu de bonheur que d’opportunité, persiste, en tant que successeur de Pierre, qui ipsius Pclri voce omnibus præesl, à vouloir exercer son autorité suprême et circa alicujus principis vel poteniis. .. correclionem intendere et immittere manus ad fortia. Registre, n. 5383, col. 893 ; n. 5384, col. 894-895 ; cf. Dupuy, op. cit., p. 161, 167. La bulle Super Pétri solio, qui devait entreprendre cette « correction » du roi de France et la pousser jusqu’aux sanctions extrêmes, allait être lancée le 8 septembre 1303 ; le 7, se perpétrait l’attentat d’Anagni, et le Il octobre suivant, le vieux. pontife mourait de douleur avant d’avoir pu frapper.

/II. PÉRIODE DE DÉCLIN (XIV-XV 3 siècle). —

A vrai dire, la formule suivant laquelle Boniface VIII revendiquait la suprématie du Siège apostolique en brandissant des textes fort divers et en négligeant délibérément toutes les contingences, cette formule qu’il considérait comme immuable, pâtissait déjà du contrôle des faits et subissait les coups redoublés de la critique doctrinale. Le déclin commençait, en dépit des actes solennels de la curie romaine et des synthèses des canonistes et des théologiens pontificaux.

Le maintien des anciennes positions.

Dans une

société croyante, organisée suivant le type féodal d’une hiérarchie qui avait (théoriquement) à sa tête un empereur tenant en quelque manière son pouvoir du Saint-Siège, les droits souverains de Dieu avaient un sens et l’on considérait le vicaire du Christ comme leur dépositaire suprême.

Mais avec le xiv c siècle, tandis que la féodalité commence à se lézarder, sous les coups de la bourgeoisie d’affaires et de finances, la chrétienté même tend à se dissocier de plus en plus sous la poussée des nationalités naissantes et le droit romain, remis définitivement en honneur par les légistes, fournit aux souverains et à leurs conseillers des principes politiques et sociaux qui s’éloignent progressivement du droit chrétien.

1. Les partisans du pape.

Le conflit qui mit aux prises Boniface VIII et Philippe le Bel fut pour la France l’occasion de résistances et de controverses dans le détail desquelles nous n’avons pas à entrer.