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2735 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE. Xllie SIÈCLE 2736

des deux glaives, mais aussi l’argument métaphysique et théologique fondé sur la distinction des deux ordres de la nature et île la grâce. A son Eglise, le Sauveur a transmis sa double dignité royale et sacerdotale : le pouvoir civil, à peine de demeurer informe, inchoatif, devra recevoir confirmation, information du pouvoir spirituel, qui joue ainsi le rôle de cause finale, voire même de cause efficiente. Le spirituel, qui a la primauté, représente la fin par excellence ; le temporel, qui n’est que l’accessoire, fournit les moyens.

En somme, la papauté contient logiquement la puissance temporelle, non seulement parce que la donation de Constantin n’a fait que traduire en droit humain positif les droits antérieurs de l’Église, mais encore quia virilités in/eriorum continental in superioribus, et quæ siint causalorum pnvinsunt causatis. Ibid., ii, 7, p. 236. Il n’y a donc qu’un pouvoir unique, celui de l’Église, qui ne se diversifie que dans la manière d’agir ; car le pape a tout pouvoir secundnm primam et suminam auctoritalem, non autem secundnm immediatam execulioncm generalilcr et regidariler. Ibid., ii, 7, p. 237. Grâce au concours de l’État, l’Église est libre de s’adonner au ministère des âmes et la protection du bras séculier lui permet d’accomplir bien des choses dont elle serait, par elle-même, pratiquement incapable. Si donc le pape n’exerce pas, par lui-même, le pouvoir temporel, ce n’est pas propter déesse potentix, sed propter dignitatem ejus et vilitalem jurisdictionis temporalis. Telle est toute la raison d’être du pouvoir civil.

Pratiquement, l’Église, n’interviendra dans les affaires séculières, que dans des cas spéciaux, que Jacques de Viterbe énumère, à la suite des docteurs qui l’ont précédé. Par contre, l’État se gardera bien de s’immiscer dans le domaine spirituel. Toujours soumis au pape, suprême interprète du droit divin, le prince chrétien honorera l’Église, protégera ses pasteurs et ordonnera en toutes choses son gouvernement temporel aux fins éternelles de ses sujets.

L’attitude des légistes.

 Les légistes, on peut s’en

douter, ne se livrèrent pas sans résistance à la poussée théocratique qui avait eu raison des théologiens et des canonistes.

Tandis que Guillaume d’Auxerre et Jean le Teutonique faisaient prévaloir dans leurs milieux respectifs la thèse papa habet ulrumque gladium, François Accurse († 1260), l’illustre maître bolonais en droit romain, à propos du texte de la Vie novelle que nous avons cité, col. 2710, invoque la distinction des deux glaives et ajoute : « Le pape ne doit se mêler en rien du temporel ; l’empereur, à son tour, ne doit pas intervenir dans le spirituel. » Inauthenticum, i, 6, éd. Lyon, 1558, p. 41. C’était d’ailleurs faire écho à Pillio de Medicina, qui, après avoir consenti au pape la pleniludo potestatis, avait soin de la restreindre in divinis. Ordo de civilium atque criminalium causarum judiciis, Râle, 1543, p. 57. Le Miroir de Saxe ( Sachsenspiegel), coutumier germanique des environs de 1225, le De regimine civitatum de Jean de Viterbe (vers 1260), le De tegibus et consuetudinibus Angliœdu juriste anglais Henri de Bracton († 1268), les Coutumes du Beauuoisis du feudiste français Philippe de Beaumanoir (( vers 1295) expriment, en quatre nations différentes, la même conception de la concorde et de la simple coordination des pouvoirs, mais aussi de leur dualité radicale et de l’inviolabilité de la puissance impériale ou royale.

Ce n’est pas a dire toutefois que les thèses lhéo ; ratiques ne se soient pas infiltrées dans le droit civil. C’est ainsi que, vers la fin du xille siècle, le Miroir de Souabe (Schwabenspiegel), dès le préambule, dont la forme générale est analogue à celle du Miroir de Saxe, s’en distingue clairement par cette rédaction significative : « Le glaive de la justice est confié par le pape à l’empereur ; le pape retient l’autre pour exercer la

justice spirituelle » Landrechtbuch, Yorwort, é 1. Lassberg, Tubingue, 1840, p. 1-5. Mais cette Influence du droit canon sur le droit séculier semble avoir élé exceptionnelle ; les légistes vont résister longtemps encore avant de se laisser sérieusement entamer.

5° Apogée de la théorie : Boniface VIII. — Le pape Boniface VIII (1294 1303) incarnait dans un tempérament, fougueux les plus intransigeantes doctrines sur la suprématie pontificale. Canoniste, « il avait hérité d’une certaine tradition de forme, celle des puissants et vigoureux pontifes qu’il avait admirés au temps de sa jeunesse : … il s’était nourri du style même, combien véhément, de leurs lettres aux princes ». Alf. Baudrillart, La vocation catholique, de la France et sa fidélité au Saint-Siège à travers les âges, Paris, 1928, p. 99. Ce pontife, qui ne dépassa aucune des formules d’Innocent IV, ne sut ou ne voulut pas adapter les principes à une époque où déjà prenait corps une tradition radicalement et délibérément hostile aux ingérences du pouvoir spirituel. Voir l’art. Boniface VIII, t. ii, col. 992-1003.

Nous nous bornerons ici à souligner les principales déclarations de Boniface VIII dans la question qui nous occupe. Ce sont d’abord ses revendications auprès de Philippe le Bel en matière d’immunités ecclésiastiques qui lui en fournissent l’occasion dans la bulle Clericis laicos (24 févr. 1296). Sans doute, il y interdit, soit aux clercs, sous les peines les plus sévères, de payer ou seulement de promettre des taxes extraordinaires, soit aux autorités civiles de les demander ou seulement de les recevoir sans l’autorisation expresse du Saint-Siège ; mais encore il proclame le droit, pour le pontife romain, de se prononcer sur les conflits entre les princes. Si plus tard, dans la bulle Ineff ilnlis (20 sept. 1296), il adoucit ses défenses, il ne se prive pas de faire remarquer que c’est là une faveur (sub quadam tolérant ia) et de rappeler que son souverain pouvoir s’étend sur les rois aussi bien que sur les simples fidèles et qu’il comporte un droit de regard sur leur politique extérieure ou intérieure, lequel se traduit par des monitions, des censures canoniquîs, des mesures diplomatiques aboutissant à la plus effective des sanctions. C’est bien ce pape qui, au dire de ses ennemis, super reges et régna in lemi>oralibus eliam possidere se clorions, omnia per se solum posse pro libitu de pleniladine potestatis… asserere non formidal. Cité, d’après Ehrle, dans Rivière, op. cit., p. 69. De nouveau, la bulle Elsi de statu (31 juillet 1297) consent des atténuations pratiques, mais ce n’est pas sans réitérer expressément les mêmes affirmations.

Les droits de sa charge, Boniface VIII entend les maintenir envers et contre tous les détenteurs du pouvoir temporel. Le 13 mai 1300, il rappelle aux princes allemands qui avaient déposé Adolphe de Nassau pour élire à sa place Albert d’Autriche qu’ils ne sont électeurs que par la grâce du Saint-Siège, à qui il appartierrt de procéder à la « promotion de l’élu » : quicquid honoris, præeminentiæ, dignilalis et status imperiuin seu regnum romanum habet ab ipsius Sedis gralia, benignitile et concessione manavil, a qua R >manorum imperatorcs et reges… receperunt gladii potestatem. Mon. Germ. hi ; l., Conslit. elacla, t.ia, p. 80. C’est la mêmedoctrine de prééminence saper reges elregna que contiennent les lettres comminatoires aux Florentins révoltés ou au duc de Bohême. Ibid., p. 84. C’est la même rigueur qui ressort de la sommation adressée au roi des Bomains, Albert, qu’il traduit à sa barre ad faciendum… quæ juslilia suadebii <ï expedire videbimus sibique duxerimus injuhgenda ; et, à défaut d’une pénitence acceptée, les plus graves sanctions seront fulminées : districlius injungemus’quod nullus sibi utRomcuiorum rtgi ob’elUnt. .. et omnes et singulos ab homagiis… et fidelilatis prseslitis juramentis absolvemus. Ibid., p. 87.