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2727 POUVOIR Dl PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XIIIe SIÈCLE 2728

(12K-1227) lui rappelle son devoir de soumission : Vinculo fidelilatis es nobis noslrisque successoribus obligalus, Huillard-Bréholles, Hist, diplomatica Frederici II, t. I » a, p. 554. En 1236, Grégoire IX (1227-1241) éprouve ! e besoin d’insister. Ce n’est pas seulement la primauté du spirituel qu’il évoque comme un principe incontestable et comme un droit imprescriptible ; c’est encore le fait de la donation de Constantin, revêtant d’un titre positif le domaine du pape sur l’empire romain, soit, en définitive, sur le monde entier : Patrimonium B. Pétri… ditioni suse in signum universalis dominii reservavit. Ibid.. t. v b. p. 777. C’est en vertu de ce titre que le Saint-Siège a transféré l’empire aux Germains, en sorte que le pape est l’auteurf/ac/or) du pouvoir impérial et que l’empereur n’en est que le dépositaire délégué. Ibid.. t. îv b, p. 919-922.

Du reste, écrivant à saint Louis, le même pontife n’oublie pas d’attribuer à l’Église les terreni simul et cœlestis imperii jura, aussi bien que les deux glaives, ut alterum ipsa excrat et ut atter exeratur indieat. Mon. Germ. hist., Episl. sweuli xiii pontif. roman., t. i, p. 672, p. 658. Grégoire IX est tellement convaincu de ses droits sur le temporel des États qu’il adresse au patriarche de Constantinople (1233) une épître où il revendique la possession des deux glaives et conclut, comme saint Bernard : unus a sacerdole, alius ad nutum sacerdotis adminislrandus a milite. Mansi, Concil., t. xxiii, col. 60.

Innocent IV (1243-1254) ne parlera pas autrement. Voir l’art. Innocent IV, t. vii, col. 1981-1996. Canoniste, c’est dans ce sens absolu qu’il avait interprété les textes du Corpus juris ; glosant sur la concession d’Innocent III quant à l’entière indépendance du roi de France pour le temporel, non seulement il avait apporté cette distinction : de facto, nam de jure subest imperalori romano ; mais il avait ajouté ce correctif : nos contra, immo papæ.Appar. in V libros Décrétai., IV, c. Per venerabilem, fol. 173. Sur la formule non intendimus judicare de feudo. Sinibaldo Fieschi avait.il est vrai, adopté la distinction déjà fort usitée : directe, secus indirecte. Ibid., fol. 71. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce n’était pas un recul ; lorsqu’en 1245, au I er Concile de Lyon, il fulmine contre Frédéric II une sentence de déposition, il entend bien, nouveau Grégoire VII, s’établir sur le roc apostolique : Cum Jesu Christi vices immeriti teneamus in terris, nobisque in B. Pétri apostoli persona sit dictum : quæcumque ligaieris… Au nom de Dieu d’abord, il juge : memoratum principem… suis ligalum peccatis et abjectum cmnique honore et dignilale privatum a Domino ostendimus, denuntiamus ; en son propre nom ensuite, il prononce : ac nihilominus sententiando privamus, cmnes qui ei juramento fidelilatis lenentur adscripti a juramento hujufmodi perpétua absolvenles. Mansi, op. cit., t. xxiii, col. 613-619. Le fait que l’empereur a été nommé par le pape n’est produit qu’à titre de considérant juridique subsidiaire.

La riposte de Frédéric II développe tout un système de philosophie politique. On y retrouve, bien entendu, la distinction imprescriptible des deux puissances, mais aussi le droit divin et universel du césar germanique, imperialis reclor et dominus majestatis, … qui legibus omnibus est solutus. Devant l’ingratitude du donataire, la donation faite au Saint-Siège par Constantin, son successeur peut la réxoqucr ut illud Kaliamédium… ad nostræ serenitatis obsequia et imperii redeat unitalem, relevant à son tour les Romains d’un serment de fidélité prêté au pape ex permissione noslra. Et que l’on n’objecte pas la plenariam in omnibus potestatem du pontife romain : n’y a-t-il pas sacerdotalis abusio potes latis. à transférer le pouvoir à sa fantaisie, à punir les rois au temporel par la privation de leurs royaumes ou à juger les princes de la terre, puisqu’on ne lit nulle part qu’une loi divine ou humaine lui ait concédé un tel

droit ? Huillard-Bréholles, op. cit., t. v a, 348, 376378. et Albert de Beham, Conceptbuch, dans Iloefler, Bibliothek des lit. Yereins von Stuttgart, t. xvi b, p. 79-85.

Mais les encycliques impériales contiennent un autre principe qui réduit le pouvoir spirituel de l’Église au domaine intime de la conscience : Frédéric, au for interne, s’avoue sujet du pape, voire de n’importe quel prêtre ; mais, au for externe, il se déclare soustrait à la juridiction de tout pouvoir humain, même ecclésiastique. Un chef d’État moderne parlerait ainsi au nom du libéralisme le plus radical et proclamerait l’indépendance naturelle de l’État laïque ; Frédéric II parle au nom d’un impérialisme qui ne s’affranchit pas encore de tout dogme religieux et il proclame la mission divine de l’empire, méconnue, selon lui, par le pape. Il était de son temps.

Innocent répliqua en pape de son temps, lui aussi, et en reprenant par la base la synthèse esquissée par ses prédécesseurs ; c’est l’objet de la bulle Agni sponsa nobilis (1246). Il y exalte moins le pape et son pouvoir personnel que l’Église et les séculaires prérogatives qu’elle tient de sa divine constitution, l’Église universorum deminam, qui super omnem terram obtinet principatum. Mais la bulle A diebus Frederici (1248), après avoir énuméré tous les attentats de l’empereur contre la noble épouse de l’Agneau, conclut en affirmant le droit exclusif qui appartient au pontife romain de réformer l’Église, dont il est le chef. Huillard-Bréholles, op. cit., t. vi b, p. 676-681. L’Église, c’est toute la chrétienté.

Déjà dans l’encyclique JEger cui lenia (1245), avec une ampleur et une vigueur qui ne seront pas dépassées. Innocent IV, au nom du droit positif de sa primauté apostolique, revendique sur la terre une délégation générale du roi des rois, avec la plénitude du pouvoir délier et de délier, non solum quemeumque, sed… quidcumque. L’empereur ne saurait donc échapper à son jugement : Romanum pontificem posse saltem casualiter suum exercere pontificale judicium in quemlibet chrisiianum, cujuscumque condilionis exislil, maxime ratiene peccati. < Saltem… maxime ratione peccati » ; il est à remarquer que l’intervention occasionnelle, déjà prévue par Innocent III, n’est plus, chez Innocent IV, qu’un minimum. Du reste, il s’explique sur la forme de ce pontificale judicium, qui est bien, cette fois, un pouvoit « direct » : ce sera d’abord l’excommunication, mais ce sera aussi, saltem per consequens, la déposition du souverain coupable. Car le pouvoir temporel est inconcevable chez un excommunié : … procul dubio extra Ecclesiam efjerri omnino non potest, cum jolis, ubi omnia adificant ad gehennam, a Deo nulla sit ordinata potestas.

Et nous voici enfin en plein droit naturel, devant la métaphysique de l’autorité : ce n’est pas de la Donation de Constantin ou de la révocation qu’en prétend faire son successeur qu’il faut faire dépendre, pour l’Église, Vimperii principalum qui prius naturaliler et potentialiler fuisse dinoscitur apud eam. Tout au rebours, c’est du Siège apostolique, investi par le Christ, vrai roi et vrai prêtre selon l’ordre de Melchisédech, non seulement de la monarchie pontificale, mais encore de la monarchie royale, que Constantin et ses successeurs tiennent la légitimité de leur pouvoir impérial : lllam inordinatam iyrannidem, qua foris anlea illégitime utebatur, humiliter Ecclesise. resignavit… et recepit intus a Christo vicario… ordinatam divinitus imperii potestatem … ut qui prius abutebatur potestate permisse, deinde fungeretvr auctoritate roncessa. Voilà qui vaut pour tout monarque héréditaire ou élu et qui suppose clairement que l’Eglise détient l’autorité temporelle non moins que l’autorité spirituelle : hormis la tyrannie désordonnée, qui ne peut être qu’une tolérance (potestas permissa), toute potestas ordinata doit toujours, même