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2 72 : 1 POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE. XII le SIÈCLE 2724

Alexandre 1 11. Géroch, prévôt de Reichersberg (] 1 L69)

croit pouvoir s’en tenir encore à la formule du pape Gélase et met en garde le Saint-Siège contre la confusion des deux glaives, recommencement, en sens inverse, des empiétements impériaux… hoc autan quid est aHud quam potestatem a Dca constitutam desiruere et ordinalioni Dei resislere ?… Ubi criuil duo illi tvangelici gladii, si i<cl omnia apostolicus, vel omnia Cœsar erit ? Il est préférable que chaque puissance demi ure dans ses limites, de peur qu’en accaparant un bien étranger, elle ne s’expose à perdre du sien. De investig. Antichristi, i. 72, Lib. de lite, t. iii, p. 392. Ailleurs, il s’indigne de voir brandir un troisième glaive, résultat de la confusion des deux pouvoirs. quiddam tercium ex duaruin poiestatum permixtione confection. Ibid.. i, 35, p. 344. Et, pourtant, Géroch est loin d’être un régalien, il se garde de soustraire entièrement les souverains à la juridiction de l’Église : Judiccm spirilualem vacare oporterc divinis et lamen… per doctrinajn rcr/erc ipsos quoque reges et imperalores. Comment, in ps. LXIV, ibid., p. 466. Encore un précurseur de la théorie du « pouvoir directif ».

Même à la fin du xiie siècle, Pierre le Chantre (t vers 1196) hésite encore sur l’exégèse qu’il convient de faire du texte de Luc, qu’il rapproche de celui du glaive à deux tranchants qui sort de la bouche de l’ange de l’Apocalypse. Summa dicta Abel, dans Pitra, Spicileg., t. ii, p. 303. Et il ne se pose pas la question : habetnc papa utrumque gladium ?

8° L’achèvement définitif. Innocent III. — De plus en plus, la doctrine allait se poser dans les faits et, de même que l’action de Grégoire VII avait déterminé une évolution des idées sur la prédominance politique du pape dans la chrétienté, de même le pontificat d’Innocent III allait donner à ces conceptions une ambiance propice pour s’épanouir dans toute leur ampleur.

Innocent III (1198-1216) ne fut pas seulement un chef énergique et avisé, dont la prodigieuse activité se multiplia en se diversifiant parmi le monde catholique ; il eut un système doctrinal, qu’il entendait bien mettre en pratique, sur l’étendue du pouvoir de la papauté en matière temporelle. Voir ici, art. Innocent III, t. vii, col. 1961-1981.

Il ne fait nulle difficulté pour reconnaître que les rois « tiennent de Dieu l’usage du glaive matériel ». Lettre au roi de Hongrie, P. L., t. ccxiv, col. 871. Il proclame la nécessité d’une entente des glaives ; il soutient même explicitement beaucoup plus que la dualité, une indépendance réciproque, semble-t-il, des deux puissances ; « l’autorité papale et le pouvoir royal, que nous possédons tous les deux dans leur plénitude », dit-il expressément à l’empereur élu, Othon IV, le 16 janvier 1209. P. L., t. ccxvi, col. 1162.

Mais il est d’autres paroles d’Innocent III qui donnent à penser qu’il adoptait une conception plus extensive sur la « plénitude » de sa juridiction. Il se sait et il aime à se nommer « vicaire de Dieu » ; de sa primauté spirituelle, qu’il a définie si pertinemment, il ne manque pas de déduire, en conséquence logique, un pouvoir illimité. Melchisédech, figure prophétique du pouvoir des deux glaives, Jérémie, préposé super génies cl régna, toutes les images en cours, il les reprend pour exalter son autorité de successeur de Pierre. La comparaison tirée de l’âme et du corps, l’allégorie des deux luminaires ont aussi ses faveurs ; cf. P. L., t. ccxvi, col. 1012, 1013 ; t. c.r.xiv, col. 377.

Du reste. l’Écriture n’enseigne-t-elle pas, sous laLoi ancienne, la haute prééminence du sacerdoce ? Et à présent, sous la Loi nouvelle, le sacre ne nous la révèlet-il pas clairement : dignior est ungens quam iinclus ? T. r.cxvi, col. 1012-1013.

Si, malgré une décrétale consacrée à l’établir juridi quement (ibid., col. 1182 1185), une telle revendication

demeure lettre morte pour l’empereur byzantin, dans la chrétienté occidentale il en va autrement, innocent considère comme un fait acquis à l’actif de la papauté le transfert de la dignité impériale du basileus grec au césar germain. Le résultat est d’importance : le pape a le droit strict de confirmer l’élection, d’examiner l’élu, de choisir librement le plus digne, s’il y a contestation, en un mot, d’investir authentiquement l’empereur. Ibid., col. 1065-1067. Somme toute, principaliler et flnalitcr, l’empire relève et dépend du sacerdoce. Ibid., col. 1025. ("est là, d’ailleurs, une dépendance historique, particulière à l’empire en tant que tel, sans préjudice de la subordination générale de tout pouvoir temporel à l’égard du spirituel.

Maître des rois et des empereurs, le pape est évidemment leur juge : A’os supra principes sedere volait et de principibus judicarc. Epist, ii, 197, t. ccxiv, col. 746. Non solum cum principibus, sed de principibus eliam judicamus. Ibid., i, 171, col. 148.

Innocent III est-il allé plus loin et jusqu’à professer nettement, avec les canonistes et les théologiens les plus hardis, que le pouvoir civil est une délégation du pouvoir ecclésiastique ? Une seule expression pourrait le faire supposer, dans ce message du 7 lévrier 1205 à Philippe Auguste, où il demande au roi de sévir contre les hérétiques qui « délirent avec d’autant plus de liberté dans la bergerie du Christ qu’ils savent que, puisqu’ils ne comptent plus parmi les brebis du Seigneur, ils n’ont pas à craindre que, par le glaive que Pierre manie lui-même, l’oreille droite leur soit coupé ; ’». Ce per seipsum exercel semble appeler le corrélatif per principis manum de Jeairde Salisbury. Il n’en est rien ; le pape conjure le roi de « montrer que ce n’est pas en vain que du Soigneur, source de loule autorité, lui aussi a reçu un glaive ». Epist., vii, 212, t. ccxv, col. 527. Ces derniers mots, ut igitur gladium, quem Dominus Ubi tradidit, a quo est omnis potestas ne sont pas à négliger et nous interdisent d’attribuer à Innocent III la thèse de saint Bernard.

Certes, ce grand pape, qui fut aussi un grand féodal, s’est efforcé de ranger de nombreux états vassaux sous la suzeraineté du Saint-Siège ; mais, sans ignorer, sans doute, les doctrines les plus compréhensives des théologiens et des canonistes de son temps, il semble en être demeuré à la conviction fondamentale de Grégoire VII, pour qui l’autorité du vicaire de Jésus-Christ est essentiellement religieuse. Même en tenant compte de ce qu’Innocent III dit des Romains qui tanquam pcculiaris populus noster nobis tam in spirilualibus quam lemporalibus nullo subjacent mediante (Epist., vii, 8, t. ccxv, col. 293), il n’est pas possible d’affirmer de manière certaine que, dans sa pensée profonde, c’est de tous points et à tous égards, au temporel comme au spirituel, que la même autorité s’étend sur les autres peuples, mais par intermédiaires.

Dans la correspondance d’Innocent il se trouve, au surplus, antérieures ou postérieures aux précédentes, des formules autrement nuancées qui permettent d’en préciser la portée. Sans doute, le pape revendique une large juridiction sur le temporel ; mais il sait faire une distinction entre le principat civil qu’il exerce et le pouvoir occasionnel qu’il exerce par ailleurs. A’on solum in Ecclesise patrimonio, super quo plenam in lemporulibus gerimus potestatem, verum eliam in aliis regionibus, certis cousis inspeciis, lemporalem jurisdiclionem casualiler exercemus. Epist., v, 128, t. ccxiv, col. 1132. Bien plus, ce pouvoir accidentel ne saurait avoir l’étendue de l.i puissance spirituelle dévolue au successeur de Pierre, lequel in spirilualibus habet summam, verum eliam in temporalibus magnam, nl> ipso Domino potestatem. Epist., viii, 190, t. ccxv, col. 767.