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27 1 : » POUVOIR DU PAPE. LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE, XII* SIÈCLE 2720

par les figures prophétiques de l’Ancien Testament et par le régime théocratique du peuple de Dieu, que par la volonté du Christ, confiant le gouvernement de l’Église, non pas aux princes, mais aux prêtres, en la

personne de Pierre. Constantin n’a fait que reconnaître ce droit divin en remettant à Sylvestre coronam regni, de sorte qu’à eelui-ci appartenaient désormais sacerdotii cura et regni summa. Et c’est parce que le pape a voulu conserver l’empereur in agricultura Dei adjutorem, en lui conférant le glaive matériel contre les méchants, cui etiam concessii gladium ad vindictam malefaclorum, c’est pour cette raison qu’il y a des rois « dans l’Eglise, c’est-à-dire dans la chrétienté. De cette thèse liai die et encore neuve, semble-t-il, Honorius ne tire que des conclusions singulièrement modérées pour son époque et, s’il se montre le champion décidé du pape contre l’empereur, si, pour lui, selon les adages traditionnels, le sacerdoce l’emporte sur l’empire comme le soleil sur la lune ou comme l’àme sur le corps, néanmoins les rois doivent être obéis in siecularibus negoliis… dum ea prwcipiuntur quæ ad jus regni pertinent ; s’ils outrepassent leurs droits, Honorius ne voit d’autre remede que de « les supporter avec patience et d’éviter leur communion ».

Du reste, c’est toujours la doctrine de la distinction des deux pouvoirs qui retient l’attention et les préférences de la plupart des auteurs. Ainsi, le théologien Geoffroy de Bath (ou Babion, f 1135) observe que Pierre, le représentant des ministres spirituels, mérita d’être réprimandé pour avoir usé du glaive matériel en coupant l’oreille du serviteur du grand prêtre. Enarr. in Malth., xxvi, parmi les œuvres d’Anselme de Laon, P. L., t. clxii, col. 1476.

Le maître intellectuel de cette génération, Hugues de Saint-Victor († 1141), incorpore franchement a la tl cologie la suprématie politique du pouvoir spirituel, et c’est avec une énergique insistance qu’il enseigne la suboidinalion de la royauté au sacerdoce. Il fait écho à Honorius d’Autun, lorsqu’il écrit : primum a Deo sacerdatium inslitulum est, postea vero per sacerdelium, jubenle Deo, regalis poiestas ordinala… ; unde in Ecclesia adhuc sacerdolalis dignitas potestatem regalem eonsecrut et sanetificans per benediclionem et formons per inslilutionem. Ces derniers mots ont une valeur particulière : dans la pensée de notre Yictorin, la puissance spirituelle est supérieure à l’autorité royale, en définitive, parce qu’elle la juge, après l’avoir instituée, nam spirilualis potestas terrenam potestatem et insliluere habet ut sit et judicare si bona non fuerit. Ipsa vero primurn inslituta est et, cum deviat, a solo Deo judieari potest. Mais la distinction des deux autorités n’est pas périmée, l’Église doit se garder des empiétements : spirilualis potestas non ideo prsesidet ut lerrenx in suo jure præjudicium facial. De sacramentis, t. II, part. II. c. ii-iv. P. L., t. clxxvi, col. 416-420.

Toutefois, le grand nom qui domine cette époque, c’est celui de saint Bernard († 1153) ; non qu’il apporte sur la question un enseignement nouveau, ni même qu’il ait une doctrine politique bien personnelle, l’homme d’action chez lui et le mystique directeur d’âmes priment le théologien spéculatif et semblent parfois s’en écarter étrangement ; mais le théologien attribue certainement la double juridiction, spirituelle et temporelle, les deux glaives de l’Évangile à celui qui est établi pour régir, et, au même titre, les évêques et les rois, ad præsidendum principibus, ad imperandum episcopis, ad régna et imperia disponenda. » Episl., ccxxxvii, P. L., t. clxxxii, col. 426. A Eugène III. réclamant son intervention en faveur des Églises d’Orient (1140), l’abbé de Clairvaux écrit expressément : II est temps de tirer les deux glaives, comme à la passion du Sauveur, car le Christ souffre de nouveau là où il a souffert jadis. Mais qui le tirera, si

ce n’est vous ? L’un et l’autre appartiennent à I ierre, l’un est tiré à sa demande (ou avec son assentiment, suo nutii), l’autre, de sa propre main, en cas de nécessité. Du premier, il a été dit à Pierre : « Remets le glaive au fourreau » ; il lui appartenait, certes, mais ce n’était pas à lui de le tirer. » Epist., cclvi, col. 463-464. Toutefois, plus que le précédent, auquel il se réfère, le passage suivant du De consideraiione est devenu classique : « Vous me direz peut-être : ceux que vous me demandez de paître ne sont rien moins que des brebis, ce sont des scorpions et des dragons. Raison de plus, vous dirai-jc, pour entreprendre de les soumettre, non avec le fer, mais par la parole. Pourquoi d’ailleurs, chercheriez-vous encore à vous servir du glaive qu’on vous a ordonné un jour de remettre au îom reaul (Quid lu denuo usurpare gladium tentes ?) Il est vrai, on ne saurait nier que ce glaive vous appartienne sans oublier les termes dont s’est servi le Seigneur quand il vous a dit : « Remets ton glaive au fourreau. » Il est donc bien à vous, ce glaive ; s’il ne peut être tiré par voire main, il ne doit pas l’être, semble-t-il, sans votre aveu (luo forsilan nulu, etsi non manu tua evaginandus). En effet, s’il ne vous appartenait pas, le Seigneur n’aurait pas répondu à ses apôtres, quand ils lui dirent : « Voici deux glaives », « C’est assez », mais « C’est trop ». L’un et l’&utre appartiennent donc à l’Église et le glaive spirituel et le glaive matériel ; l’un doit être tiré pour elle, l’autre par elle ; l’un par la main du prêtre, l’autre par la main du chevalier, mais sur la demande du prêtre et sur l’ordre de l’empereur (ad nulum sacerdolis et ad jussum imperaloris). » De consid., t. IV, c. iii, 7, P. L., t. clxxxii, col. 776. Sans doute, on l’a remarqué, il n’est ici question que du pouvoir coercitif à exercer sur des rebelles ; mais la pensée de saint Bernard dépasse clairement ce cas spécial et vise bien à aflirmer, et à prouver, que les deux glaives appartiennent réellement au pape : luus ergo et ipse…, uterque Ecclesiæ ; qu’on ne se méprenne pas sur le sens de l’expression : quid tu denuo usurpare gladium tentes. Tout le but du De eonsideralione se ramène à faire comprendre au pape que, possesseur du double pouvoir, il doit se garder cependant de l’affection aux pompes mondaines et de l’exercice constant de la juridiction temporelle, au détriment soit de sa vie intérieure, soit surtout des grandes causes spirituelles qui doivent solliciter le chef de l’Église. Son glaive temporel, saint Bernard veut que le pape le remette au fourreau, pour en être tiré par la main du chevalier, mais, sur la demande du prêtre et sur l’ordre de l’empereur (ad nulum sacerdolis elad jussum imperaloris). Cette exégèse nouvelle du fameux passage de Luc n’enlève rien, dans la pensée de Bernard, au droit substantiel du pontife romain ; mais, rappelant son disciple, devenu pape, à une meilleure hiérarchie de ses occupations, il lui veut suggérer une distinction pratique entre la possession et l’usage de l’autorité séculière. Sans doute, cette distinction fera fortune et servira à d’autres fins ; l’abbé de Clairvaux n’en est pas là : « non que vous ne soyez pas digne, proteste-t-il, de juger les choses terrestres, mais parce qu’il est indigne de vous de vous absorber dans de telles occupations, alors que de bien plus importantes vous réclament… Mais autre chose est de pénétrer incidemment en ces matières, lorsque la nature des choses le réclame, autre chose de s’y adonner comme à des choses importantes dignes de préoccuper de tels hommes. » Ibid., t. IV, c. VI et vii, col. 784-788.

Peu importe que Bernard enseigne lui aussi que Dieu est l’auteur de l’empire comme du sacerdoce, et que ces deux institutions doivent se prêter un mutuel appui ; ce qui est incontestable, c’est qu’il insiste singulièrement sur le mot de Jésus à Pierre : gladium TUUM : ce glaive appartient donc bien à Pierre ; s’il doit être maintenu dans le fourreau, c’est qu’un autre doit le manier au