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POUVOIR DU PAPE. LES PREMIERS SIÈCLES

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à l’ihite : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’En-Haut. » Joa., xix, 9-11. De ces principes évangéliques, quelles applications vont faire l’Église et son chef ?

L’âge apostolique.

Saint Paul fait écho à la

parole du Maître. Dans l’épître aux Romains, en particulier, il professe (xiii, 1-7) > qu’il n’est d’autorité, si ce n’est de Dieu » et que ceux qui en sont investis sont les o ministres » de l’œuvre divine. « Que toute âme se soumette aux autorités supérieures… Rendez à chacun ce qui lui est dû (à César ce qui est à César) : à qui l’impôt, l’impôt, à qui le tribut, le tribut, à qui la crainte, la crainte, à qui l’honneur, l’honneur. »

Si ces paroles renferment la plus forte leçon de civisme et de loyalisme, elles contiennent pour l’autorité une déclaration formelle de son caractère radicalement ministériel, de sa mission sacrée, essentiellement morale et ordonnée au service de celui qui est le Rien absolu. Car, au-dessus des lois promulguées par les hommes, il y a, dit encore saint Paul, une loi naturelle inscrite par le Créateur dans la conscience de tout homme. Là est la règle d’un pouvoir qui, jamais, ne doit ériger en lois ses caprices, non pas même ses lins politiques les plus hautes. « Au moment où le Docteur des nations écrivait ces lignes, dit le P. Prat, l’autorité impériale apparaissait partout sous son jour le plus favorable ; le fameux quinquennium de Néron durait encore, le monde était gouverné par des sages et par des philosophes ; malgré les abus, les vexations, les exactions de quelques-uns de ses délégués, Rome symbolisait, dans les provinces, l’ordre, la justice et la liberté ; Paul n’avait guère qu’à se louer des magistrats romains rencontrés sur sa route. Mais, lorsque les dispositions du pouvoir envers l’Église changèrent, l’enseignement de l’Église ne changea pas. C’est alors que Paul enjoignait à Timothée de faire prier « pour les rois et pour tous les détenteurs du pouvoir », I Tim., ii, 1-2, qu’il prescrivait à Tite de prêcher la soumission et l’obéissance aux pouvoirs établis. Tit., iii, 1. C’est alors que Pierre écrivait : « Soyez soumis à toute institution humaine, à cause du Seigneur, soit au roi comme à celui qui possède l’autorité suprême, soit aux gouverneurs, comme à ceux qu’il a délégués pour punir les méchants et louer les bons. Car telle est la volonté de Dieu… » L’obéissance à la loi civile a pour limite la loi divine, mais il ne convenait pas d’envisager l’hypothèse d’un conflit entre la loi de Dieu et la loi de l’homme. Le cas échéant, les fidèles avaient pour guide le précepte évangélique, Matth., xxii, 1 ; Marc, xii, 17, Luc, xx, 25 ; leur raison leur disait que l’autorité supérieure doit l’emporter ; la conduite des apôtres devant le sanhédrin leur dictait la réponse à faire, Act., v, 29. » F. Prat, La théologie de saint Paul, 1° éd., t. ii, Paris, 1912, p. 460-461.

2° L’ère des persécutions (i er -me siècle). — En définitive ce qui demeure à jamais de l’époque apostolique et dis deux siècles qui la suivirent, " ce sont les deux leçons données au monde de si héroïque façon que le souvenir n’en a jamais pu être etïacé, même quand l’Évangile était le plus combattu ou le plus dénaturé : la leçon d’un loyalisme toujours maintenu envers les empereurs persécuteurs et celle des droits de la conscience affirmés en face d’un État-Dieu >-. E. Magnin, L’Étal, conception païenne, conception chrétienne, Paris, 1931, p. 34-35.

1. Sous la plume de saint Clément Romain, à la fin du i er siècle, nous trouvons une belle oraison pour César qui exprime fidèlement la tradition héritée de saint Pierre et de saint Paul : « C’est toi, Maitre, qui leur as donné le pouvoir de la royauté. Par ta magnifique et indicible puissance, afin que, connaissant la gloire et l’honneur que tu leur as départis, nous leur soyons soumis. Et ne contredisions pas ta volonté.

Accorde-leur, Seigneur, 1m santé, la paix, la concorde, la stabilité. Pour qu’ils exercent sans heurt la sou veraineléque tu leur as remise. Car c’est toi, Maître, céleste roi des siècles, qui lionnes aux lils des hommes gloire, honneur, pouvoir sur les choses de la terre. Dirige, Seigneur, leur conseil suivant ce qui est bien, suivant ce qui est agréable n te, yeux (Dent., xiii, 18), afin qu’en exerçant avec piété, dans la paix et la mansuétude, le pouvoir que tu leur as donné, ils te trouvent propice. Toi seul as la puissance de faire cela et de nous procurer de plus grands biens encore. Nous te remercions pour le grand prêtre et le patron de no, âmes, Jésus-Christ, par qui soit à toi la gloire et la grandeur, et maintenant, et de génération en génération, et dans les siècles des siècles. Amen. Ep. aux Corinthiens, c. lxi.

2. C’est dans le même esprit que saint Polycarpc († 155) écrit aux Philippiens (xii, 13) : « Priez pour tous les saints (Eph., vi, 18). Priez aussi pour les rois (I Tim., ii, 1-2), les magistrats et les princes, pour ceux qui vous persécutent et vous haïssent et pour les ennemis de la croix. » Cf. Matth., v, 44 ; Luc, vi, 27.

La même doctrine inspire les déclarations de saint Justin († 167) : « Nous prions pour nos ennemis, nous cherchons à gagner nos injustes persécuteurs… Nous sommes les premiers à payer les tributs et les impôts à ceux que vous préposez à cet office ; c’est là un précepte du Christ… Nous n’adorons donc que Dieu seul, mais, pour le reste, nous vous obéissons volontiers, vous reconnaissant pour les maîtres et les chefs des peuples, et nous demandons à Dieu qu’avec la puissance souveraine, on voie en vous la sagesse et la raison. » I Apol., xiv, 3 ; xvii, 1, 3.

Théophile (t vers 185) ne parle pas autrement, Ad Aulol., i, 11, non plus que Tertullien († 230). Mais le rude Africain insiste sur la condition humaine de César et sur sa subordination à Dieu : « … L’empereur n’est grand qu’autant qu’il est inférieur au ciel ; il est, en effet, la chose de celui à qui le ciel et toute créature appartiennent. Il est empereur par celui qui l’a fait homme avant de le faire empereur ; son pouvoir a la même source que le soufilj qui l’anime… Je n’appellerai pas l’empereur Dieu, ou parce que je ne sais pas mentir, ou parce que je ne voudrais pas me moquer de lui, ou.parce qu’il ne voudrait pas lui-même être appelé Dieu. S’il est homme, il est de son intérêt de le céder à Dieu. II lui suffit d’être appelé empereur ; c’est aussi un grand nom que celui-là, car il est donné par Dieu. Dire qu’il est Dieu, c’est lui refuser le titre d’empereur ; sans être homme il ne peut être empereur… » Apol., xxx ; xxxiii, 3. Cf. Ad Scapulam, 2.

A Celse qui reproche aux chrétiens de manquer de civisme et de fuir le métier des armes, Origène († 254) se plaît à répondre que, jusque dans l’exercice de leurs devoirs sociaux, les vrais disciples du Christ sont exemplaires. « Les chrétiens, dit-il, sont plus utiles à la patrie que le reste des hommes ; ils forment des citoyens ; ils enseignent la piété à l’égard de Dieu gardien des cités ; ils font monter jusqu’à une cité divine et céleste ceux qui vivent bien dans les petites cités de la terre. » Conl. Cels., VIII, 73-74, P. G., t. xi, col. 1625 sq.

Mais c’est précisément cette doctrine et cette conduite des chrétiens qui furent la cause des persécutions des premiers siècles ; en se refusant à l’adoration de la divinité impériale, ils s’opposaient directement, et efficacement d’ailleurs, à la conception païenne d’un État-Dieu, maître absolu des âmes comme des corps.

3° L’empire conslantinien (ive -vie siècle). — Cette conception païenne du vieux droit romain, il faut remarquer d’abord qu’elle survit opiniâtrement dans l’empire constantinien en face de l’idée chrétienne du pouvoir. Rien plus, elle s’y mêle subtilement, pour produire un césaro-papisme qui sévira avec virulence dans l’empire byzantin.

1. Les défenseurs de l’orthodoxie contre l’hérésie affir-