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POUVOIR TEMPOREL DU PAPE. VERS UNE SOLUTION


bien ce sont des relations diplomatiques proprement dites : et c’est le cas de quelque trente-cinq États catholiques, protestants, orthodoxes, musulmans et autres, lesquels ont aujourd’hui une ambassade ou une légation auprès du Vatican et en reçoivent un nonce, un internonce ou un chargé d’affaires. Ou bien le Saint-Siège a des délégués apostoliques, qui, dépourvus du caractère diplomatique, sont officiellement agréés pour le représenter en ce qui concerne le spirituel ; c’est le cas des États-Unis de l’Amérique du Nord et de plus de vingt autres. Toutes ces puissances indistinctement admettent, en droit comme en fait, la personnalité internationale du pontife romain. Elle était proclamée en juin 1908 par la cour suprême des États-Unis dans l’affaire de l’évêque de Porto-Rico contre la municipalité dé Ponce dans un considérant formel : « L’existence de l’Église catholique romaine comme corps, aussi bien que la position occupée par la papauté ont toujours été reconnues par le gouvernement des États-Unis. »

b) En France, nous assistons à une évolution singulière. Jusqu’en 1904, on y professe, comme Guizot en 1847, que « ce qui constitue vraiment l’État pontifical, c’est la souveraineté dans l’ordre spirituel. La souveraineté d’un petit territoire n’a pour.objet que de garantir l’indépendance et la dignité visible de la souveraineté spirituelle du Saint-Père ». Le 20 novembre 1882, le président du Conseil, Duclerc, « estime qu’il n’est douteux pour personne que le Saint-Siège est encore actuellement une puissance politique, une aussi grande puissance politique qu’avant la suppression du pouvoir temporel. C’est donc au pape, à l’homme investi d’une grande puissance politique, que les autres grandes puissances politiques de l’Europe envoyaient des ambassades, et non au prince temporel régnant sur deux ou trois millions d’hommes. C’est pour cela qu’après la perte du pouvoir temporel elles ont persisté à lui en envoyer. » Le ministre Spuller pensait de même lorsqu’il disait : « Croyez-vous que la souveraineté du pape tienne à une motte de terre ? » Consultés par des juges, anxieux et indécis sur la sentence à prendre contre les citoyens prévenus d’avoir arboré le drapeau pontifical, les gouvernements successifs répondent que le pape est un souverain. Waldeck-Rousseau soutient cette doctrine à la barre avec toute sa dialectique, et sous son ministère, on verra son ministre des Affaires étrangères, Delcassé, répondre officiellement au garde des Sceaux, Monis, le 4 septembre 1901 : Ce drapeau est « celui d’un souverain, s’il n’est pas celui d’un État ».

Mais, brusquement, en 1904, au plus fort de la crise religieuse, les tribunaux adoptent une jurisprudence contraire, que confirme la Cour de cassation, principalement par l’arrêt de la chambre criminelle, en date du 5 mai 1911 : « La souveraineté (du pape) a cessé d’exister par suite de la réunion des États pontificaux au royaume d’Italie », arrêt rendu sur les conclusions du procureur général Baudouin, dont les considérants se ramènent à deux postulats : pas de souveraineté sans État, pas d’État sans territoire.

C’est la doctrine juridique qui, en dépit des relations diplomatiques de tant d’États avec le Vatican, a généralement prévalu dans les universités publiques de la France et des régions qui acceptent son influence. On y considère comme fictif et anormal le rang de souverain reconnu au pape, et l’on prétend l’expliquer par la permanence d’une tradition qui le fonde uniquement sur le principat civil.

c) D’ailleurs, les universités allemandes, sous l’inspiration de Bismarck, après sa réconciliation avec Rome, essaient d’un autre système, qui, en principe, accorderait au Saint-Siège une sorte de souveraineté, moyennant une convention diplomatique, renouvelable à l’avènement de chaque pape, et qui comporterait de

sa pari un engagement formel de ne jamais troubler l’action légale du pouvoir civil : c’était accorder au souverain pontife un titre vain, sans lui garantir la pleine indépendance de son ministère apostolique.

d) Plus proche de la tradition théologique et canonique, bien que s’inspirant de ses intérêts propres, l’Italie, par ses diplomates et ses théoriciens de l’unité, comme par les professeurs de ses facultés, n’a ce>sj d’enseigner que la souveraineté pontificale est essentiellement personnelle, en tant qu’elle appartient à la personne du chef suprême de l’Église catholique, et qu’elle subsiste même après l’annexion au royaume du Patrimoine de saint Pierre. Il faut bien reconnaître que cette conception est autre chose qu’une justification de la Loi des garanties, puisqu’elle se trouve confirmée par l’attitude pratique de la plupart des chancelleries et par la doctrine juridique couramment professée dans les pays de langue espagnole.

4. Ce qui demeurait incontestable, après comme avant 1914, ce que savaient comprendre tous les esprits sagaces, c’est le fait de première importance dans l’ordre international de la situation suréminente du Saint-Siège. Melchior de Vogué avait pu écrire, en 1887, dans la Revue des Deux Mondes : « Il suffit d’ouvrir un journal ou de traverser un salon politique, pour comprendre que le Vatican est à cette heure l’un des principaux centres diplomatiques de l’Europe, celui auquel viennent aboutir le plus d’affaires et des plus considérables. » Affaires de Rome, dans Spectacles contemporains, Paris, 1891, p. 3-4. M. Hanotaux, rentrant d’Italie, en 1915, n’hésite pas davantage à déclarer : « Le Vatican reste une immense puissance mondiale », et, deux ans plus tard, Lazare Weiller « constate que la puissance politique de l’Église romaine et de la papauté est un fait. » J. Ausset (L. Weiller), La question vaticane, 1914-1928, p. 110-111.

a) Aussi bien, la République française avait recommencé de « causer » avec le Saint-Siège, dès 1917, au sujet du Levant, en 1919, à propos de l’Alsace-Lorraine, pays concordataire et, en 1920, à l’occasion du nouveau statut religieux du Maroc. L’ambassade extraordinaire de M. G. Hanotaux (1920), puis l’envoi simultané de "Mgr Ceretti comme nonce à Paris et de M. Jonnart comme ambassadeur à Rome (1921) rendent enfin à la France sa place au Vatican.

b) C’est en vain que par l’article 15 du traité de Londres (26 avril 1915), M. Sonnino avait à l’avance fait exclure le pape du futur congrès de la paix, ds même que la Consulta, à la fin du xixe siècle, avait évincé Léon XIII de la conférence de La Haye : la solution de la question romaine était proche.

Depuis le jour où, à la suite des décisions de Pie X, les catholiques avaient pénétré dansl’organismo de l’État italien, tous les esprits modérés comprenaient que l’intérêt national exigeait une réconciliation avec le Saint-Siège. Sans doute, M. Orlando s’était plu à célébrer la bienfaisance avérée, durant la guerre, de la Loi des garanties ; on le vit, en 1919, au cours des négociations du traité de Versailles, accueillir les suggestions d’un prélat américain et entrer en conversation avec Mgr Ceretti, alors secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. Deux ans plus tard, au lendemain du rapprochement entre la France et le pape, le monde politique s’émeut, la grande presse et le parlement consacrent de nombreux articles et discours à la situation que crée à l’Italie son absence du Vatican, et le ministère Facta, dans un livre vert, publie, avec les discours, les plus notables de ces articles. C’était poser délibérément la question.

c) La solution s’en imposa au gouvernement fasciste comme une nécessité pratique. Il essaya d’abord d’une sorte de règlement unilatéral, au moyen d’un nouveau statut légal du clergé, élaboré en 1920, selon l’esprit du