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POUVOIH TEMPOREL DU PAPE. LA RUINE


1. Ce statut juridique consacrait comme intangibles Rome capitale et l’Italie unifiée ; niais, d’autre part, il entendait offrir pour toutes les libertés eL prérogatives essentielles du chef de l’Kfjlise dans l’exercice de sa haute juridiction spirituelle, tant au regard du droit canonique que du droit des gens, les apaisements et les sûretés compatibles avec le nouvel état de choses. Les privilèges et honneurs dus aux princes souverains, et aux premiers d’entre eux, étaient expressément assurés au pape, ainsi que les immunités du corps diplomatique accrédité par le Saint-Siège auprès des puissances et par ces puissances auprès du Saint-Siège. Le pape conservait la jouissance du Vatican, du Latran et du domaine de Castel-Gandolfo. Il lui était accordé la plus complète liberté des communications postales et télégraphiques avec l’univers entier. Enfin, une dotation annuelle, fixée, d’après les évaluations budgétaires antérieures, à 3 225 000 lires permettrait au pontife romain de faire face aux charges d’entretien de la curie, des palais et domaines apostoliques. Texte dans Albin, Les grands traités politiques. Paris, 3e éd., 1023, p. 99 sq.

2. Ces « garanties » pouvaient-elles être considérées par le Saint-Siège comme vraiment satisfaisantes ?

a) D’abord elles n’étaient inscrites que dans un acte unilatéral, sans aucune négociation préalable avec Pie IX, sans aucune caution des puissances, dans une loi italienne qui, sans doute, traitait le pontife romain en sujet privilégié, mais en sujet tout de même, radicalement et essentiellement. C’est en vain qu’un Conseil d’État pouvait déclarer cette loi partie intégrante de l’ordre constitutionnel. « Avant de donner des garanties au pape par une loi, écrit M. Goyau, il faudrait qu’on lui en fournit contre le changement possible de cette loi ; en reconnaissant à un parlement le droit de définir sa destinée, le pape concéderait implicitement au parlement ultérieur le droit de la modifier ; souverain international, il serait à la merci d’une nation. » La papauté et la civilisation, p. 220.

b) On offrait au pape dépossédé de ses États une dotation annuelle. Était-ce une indemnité consentie à un prince temporel déchu, ou une liste civile allouée au souverain dont la puissance spirituelle demeurait intacte même dans l’ordre international ? Était-ce un traitement, et le pape, annexé lui-même, allait-il devenir un fonctionnaire italien ? Et faudrait-il que, chaque année, cette dotation fût soumise au vote du Parlement, sans cesse remise en question ? Il y avait au moins équivoque.

c) Enfin, la Loi des garanties n’attribuait à celui auquel elle reconnaissait une prééminence d’honneur sur les autres princes catholiques ni une véritable souveraineté territoriale ni même la propriété proprement dite, mais la simple jouissance des palais apostoliques, déclarés expressément inaliénables ; elle y ajoutait seulement une sorte d’extratcrritorialité et l’inviolabilité, laquelle devait, d’ailleurs, s’attacher à la personne des souverains pontifes et s’étendre aux consistoires et conciles qu’ils réuniraient, aux conclaves qui les éliraient et, secondairement, aux locaux affectés aux administrations pontificales.

C’était manifestement insuffisant. Pie IX, volontairement claustré au Vatican, refusa de recevoir la loi ; nul protocole international n’intervint, nulle adhésion des puissances ne s’ensuivit. Au congrès de Berlin, en 1878, l’Italie ne réussit pas à faire sanctionner le statut juridique qu’elle avait prétendu forger et imposer seule au pontife romain.

2° La souveraineté du pape de 1870 à 1929. — Une fois de plus, le temps allait travailler pour la papauté. Encore doit-on ajouter que jamais la papauté ne s’abandonna et ne laissa prescrire ses droits.

1. Les quatre successeurs du pape spolié l’imitèrent,

et chacun d’eux, au jour de son intronisation, ren) îvela solennellement sa protestation ; l’un après l’autre ils déclarèrent insuffisantes. Illusoires et précaires les garanties offertes. Pour éviter jusqu’à l’apparence même d’une reconnaissance de l’usurpation, noblement, ils se condamnèrent à ne jamais sortir du Vatican et refusèrent la dotation annuelle qui leur était légalement allouée. Bien plus, il fut interdit aux catholiques de voter et d’être candidats aux élections législatives, ne clelli, ne elettori, et ce non expedit, porté par Pie IX, ne fut levé que par Pie X. Enfin, un protocole qui ne fut modifié que par Benoît XV, en 1920, prononçait une sévère exclusive contre les souverains catholiques qui viendraient faire des visites officielles au roi d’Italie dans sa capitale usurpée : le pape se refusait à les recevoir. C’est à Venise que l’empereur François-Joseph rendit la visite que lui avait faite le roi Humbert, et l’on sait que le voyage du président Loubet, à Rome, fut le prétexte et le prélude d’une rupture avec le Vatican (1904).

a) D’autre part, le rappel des principes ne cessait pas. Le 21 avril 1878, la première encyclique de Léon XIII et, le 27 août suivant, sa lettre au cardinal Nina, proclamaient explicitement la nécessité d’un retour à l’ancien état de choses. Le 22 février 1879, recevant un groupe de journalistes catholiques, le souverain pontife leur disait : « Démontrez, l’histoire en main, que le domaine temporel des papas a été si légitime dans ses origines et dans son développement, qu’aucun État du monde ne saurait sur ce point lui être comparé ». Mêmes revendications dans l’encyclique Elsi nos du 15 février 1882, adressée aux évêques d’Italie, et dans les allocutions consistoriales Amplissimum collegium, du 24 mai 1889, Quoad nuper, du 30 juin 1889, Non est opus, du 14 décembre 1891. Dans une allocution du 24 mars 1884, Léon XIII avait précisé et fixé la nature du principat civil des papes, in quo quidem principatu… inest similitudo et forma quædam sacra, sibi propria, nec cum ulla republica communis, propterea quod securam et stabilem continet apostolicæ Sedis in exercendo augusto et maxim) suo munere libertatem. Et, pour confirmer ces paroles, le pape" dénonçait les entraves qu’il rencontrait dans l’accomplissement de son ministère apostolique et celles, plus graves encore que, précisément, les circonstances actuelles lui font prévoir : ista quiden acerba ; acerbiora præsentimus et pati parati sumus.

Mais c’est surtout dans la lettre fameuse du 15 juin 1887 au cardinal Rampolla que Léon XIII, maintenant les revendications d’une « souveraineté effective » comme gage d’indépendance, expose avec toute l’ampleur doctrinale qui est dans sa manière, la nature et la raison d’être du pouvoir temporel. Et se tournant vers l’avenir, il ajoute : « Il serait inutile de produire contre lui l’accusation d’être né du Moyen Age, car il aurait les formes et les améliorations utiles exigées par les temps modernes ; et si, en substance, il était ce qu’il a été dans les temps du Moyen Age, à savoir une souveraineté disposée pour sauvegarder la liberté et l’indépendance des pontifes romains dans l’exercice de leur autorité suprême, … ce serait démence de vouloir le supprimer pour cela seul qu’il florissait aux siècles du Moven Age. » Acta Leonis XIII, t. vii, p. 142 sq.

Enfin, lors des fêtes révolutionnaires du 20 septembre 1895, le pape réitéra, dans une nouvelle lettre à son secrétaire d’État, sa douloureuse protestation. Et, cependant, comme le roi Humbert soutirait lui aussi de la situation inextricable où il se trouvait placé, des négociations secrètes s’engagèrent entre le Quirinal et le Vatican, sur la base d’une concession territoriale que devait faire le roi et qui concernait sans daute cette « Cité léonine », que Pie IX avait réservée à la reddition