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POUVOIR TEMPOREL DU PAPE. L’AFFERMISSEMENT


moyens, la renonciation du pape à ses Ktats ; le dominicain Jean de Paris, dans son Tractalus de jtolestale regia et papali (1304), conteste, lui aussi, la légitimité, même juridique, de la fameuse donation. Quant à Marsile de Padoue (t vers 1343), sans en révoquer en doute l’authenticité, il y voit l’origine funeste de tous les empiétements de la papauté tant au temporel qu’au spirituel ; et, comme il refuse à l’Église tout droit de propriété, à plus forte raison dénie-t-il à son chef tout droit à un principat civil quelconque. Voir J. Rivière, op. cit., p. 274 sq., 342-345, et, ici, l’art. Marsile de Padoue. t. x, col. 153-177. Par là il s’apparente aux fraticelli et aux vaudois, à’W’iclef et à Jean Huss.

Dans le camp opposé, Gilles de Rome (| 1316) ou même Jacques de Yiterbe († 1308) accordent au pape une telle précellence sur le temporel comme sur le spirituel que son principat civil n’est à leurs yeux que la moindre des prérogatives que lui décerne le droit divin. Alexandre de Saint-Elpide (fl325), général des augustins, tout en considérant comme incertaine la Donation de Constantin, défend expressément les droits du pape à une souveraineté temporelle. Agostino Tiionfo († 1328), du même ordre, lorsqu’il étudie spécialement cette question, De sacerdotio et regno et donatione Constantini imperatoris, la traite dans le sens de ses conceptions nettement théoeratiques.

4. Bien que ces doctrines absolues n’aient pas eu cours au concile de Constance, la papauté, longtemps exilée et déchirée, allait rentrer dans ses possessions séculaires. « Mon devoir est de revenir à Rome, affirmait Martin V (1417-1431). La cité souffre de l’absence de son souverain ; l’Église romaine est la mère de toutes les autres ; là seulement le pape est à son poste comme le pilote à son gouvernail. » Platina, Vita Martini V, p. 623. Ce ne fut qu’en 1420 que ce dessein put être réalisé, après que la Ville éternelle eut été évacuée par les troupes napolitaines. Mais, à sa mort, Martin V y avait pu faire toutes les réformes nécessaires et rétablir son pouvoir dans ses états pacifiés et restaurés. Il y eut encore des troubles sous Eugène IV (1431-1447) et sous Nicolas V (1447-1455), mais les papes en eurent vite raison. Par ailleurs, les excès du concile de Bàle resserrèrent pour un temps l’unité catholique.

La papauté peut désormais alîermir et étendre son domaine temporel. En ce déclin du xve siècle et durant les premières années du xvi c, les papes se montrent surtout princes italiens et semblent parfois abandonner le gouvernement spirituel du monde, pour se confiner dans leur royauté terrestre. Ils s’engagent délibérément dans les complications politiques et militaires de la péninsule et dans les négociations diplomatiques de l’Europe ; leurs préoccupations de souverains influent sur leurs actes et sur leurs attitudes, qui se ressentent plus ou moins de l’esprit du siècle. Mais il faut se garder d’accepter ici toutes les accusations des réformateurs ; il faut apprécier à sa valeur le service que le Saint-Siège rendit à la chrétienté en prêchant ou en organisant la croisade contre les Turcs ; il convient enfin de ne point oublier le rôle glorieux qu’il sut prendre et conserver à cette époque : il y est le prolecteur le plus magnifique des arts, veillant avec une parfaite intelligence sur la mission que ceux-ci ont à remplir au sein de l’humanité.

La Réforme protestante, au reste, ramène la papauté aux plus hautes traditions de son passé et elle retrouve alors son antique prestige. La vie des pontifes romains est moins séculière, plus sainte ; ils se préoccupent avant tout des intérêts supérieurs de l’Église universelle, entreprennent la lutte contre les hérésies et mènent à bien la restauration de la foi et des mœurs au sein du clergé et du peuple fidèle.

Par cette ccuvre de redressement et de concentra- |

tion, il n’est pas sans intérêt de remarquer combien furent précieuses aux papes la sécurité et l’indépendance dont ils jouissaient généralement à cette époque, dans leurs États pacifiés.

5. La contradiction ne manquait pourtant pas au pouvoir temporel du Saint-Siège.

C’est d’abord la Donation de Constantin qui est seule en cause. Dès 1433, le cardinal Nicolas de Cusa (fl464), dans son célèbre De concordanlia catholica, où il expose ses vues sur la constitution originelle de l’Église, en même temps qu’un vaste programme de réformes, s’inscrit en faux contre l’authenticité du fameux document. Saint Antonin de Florence († 1459) le considère au moins comme douteux, et /Eneas-Sylvius Piccolomini († 1464), le futur Pie II, dans son Dialogus pro donatione Conslantini (1453) le dénonce expressément comme apocryphe, tout en défendant la légitimité du Patrimoine de saint Pierre.

Laurent Valla († 1456), qui fait époque dans le domaine de la critique historique, établit avec un luxe de preuves encore inconnu la fausseté de la Donation. Mais, dans sa célèbre Contra donationis, qvæ Conslantini dicitur, priuilegium, ut falso credilum est et emenlitum, declamatio (1456), il fait aussi école, en concluant à tort de l’inauthenticité de l’acte à la nullité des droits du pape sur les États de l’Église. Poursuivi de ce chef par Eugène IV, il rentre en grâce auprès de Nicolas V, le fondateur éclairé de la bibliothèque Vaticane.

Savonarole († 1498), impatient de ramener l’Église et son chef à la simplicité primitive, incrimine la Donation, non pour la légende qu’elle suppose, mais parce qu’elle est à ses yeux la source de tous les abus contre lesquels il s’élève.

L’ambitieux Bernardin Carvajal († 1523), cardinal de Sainte-Croix, tentera d’abord une réfutation de Valla, essaiera une réhabilitation du document, dans son livre De restitutione Constantini, et en défendra la valeur juridique ; il n’entrera pas moins, un jour, dans le jeu de Louis XII contre Jules II, en présidant ce conciliabule de Pise-Milan (1511-1512) qui « ne fut qu’une intrigue de la politique française dirigée contre le pape ». Hefelé-Leclercq, Hist. des conciles, t. viii, p. 323-335, 357, 360. Cette assemblée, s’achèvera à Lyon et sombrera dans le ridicule, mais non sans avoir « déclaré Ferrare et Bologne affranchies du pape ; signifié même que toutes les possessions temporelles de l’Église étaient passées aux mains du concile ». A quoi le pape répondra, et par la Sainte Ligue contre les Français, obligés d’abandonner leurs conquêtes, et par le Ve concile du Latran (1512-1517), qui réforme la discipline ecclésiastique et approuve le concordat signé avec François I" (1516).

L’Italie était alors le champ de bataille où se rencontraient les armées des maisons de France et d’Autriche. De par leur situation intermédiaire, les États pontificaux devaient être forcément mêlés aux guerres sans cesse rallumées. C’est ainsi qu’en 1527 Rome fut prise et mise à sac par les bandes du connétable de Bourbon, pour le compte de Charles-Quint. Les Romains subirent d’effroyables cruautés et Clément VII (1523-1534), assiégé plusieurs mois, ensuite prisonnier au château Saint-Ange, connut, en pleine Renaissance, le sort de tant de papes du Moyen Age : attentat à la liberté pontificale qui ne se renouvellera plus avant la fin du xviiie siècle.

6. Pendant ce temps, l’unité de l’Église, sa foi catholique et l’autorité de son pasteur suprême doivent soutenir l’assaut de la Réforme protestante. Le pouvoir temporel du pape n’est pas épargné.

Déjà Érasme († 1536) avait préludé, en invectivant à sa façon le chef de la catholicité et en tournant en dérision son principat civil, qui, à ses yeux, se trouve contredire la parole de saint Pierre : Ecce nos reliquimus