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POUVOIR TEMPOREL DU PAPE. LES ORIGINES


pape Léon III, voir ici, t. ix, col. 306 sq. Et c’est bien ce qu’exprime la constitution de 817, par laquelle Louisf le Débonnaire déclare que ni lui, ni ses successeurs ne s’ingéreront dans les élections pontificales et que leur intervention dans le gouvernement temporel de Rom.2 sera restreinte au cas de graves désordres.

Malheureusement, les décisions conciliaires de 769 (voir ici, art. Etienne III, t. v, col. 975-977), qui retiraient aux laïques le droit d’élire le pape et réservaient l’éligibilité aux cardinaux, ne furent guère mises en vigueur, et le peuple romain, affranchi du despotisme byzantin, ne sut pas toujours user de sa liberté ; les élections pontificales donnèrent lieu à des intrigues, à des complots et à des émeutes. En 824, après un appel d’Eugène III à Louis le Débonnaire, lorsque Lothaire I er, envoyé par l’empereur, fait promulguer la Constitutio romana, c’est d’accord avec le pape que sont modifiées les dispositions de 769 ; désormais, non seulement le peuple romain devra prêter serment de fidélité à l’empereur, mais encore tout pontife élu, avant d’être consacré, prêtera ce même serment devant les missi impériaux. Cf., ici, art. Élection des papes, t. iv, col. 2300, et Eugène III, t. v, col. 1489-1490.

De telles dispositions ont beau confirmer et garantir la souveraineté temporelle, elles portent une réelle atteinte à la parfaite indépendance du pontife romain. Si l’empereur veut exercer son rôle de protecteur et de juge, il devient l’arbitre des élections et de tous les conflits qui peuvent éclater entre le pape et son peuple. De fait, à chaque vacance du Saint-Siège, les familles patriciennes de Rome se disputent la succession, et les empereurs interviennent dans tous les conflits. Ils dépassent bientôt les limites des pouvoirs qu’ils se sont arrogés. Ils en arrivent, à s’attribuer la désignation du candidat, et même, comme Lothaire I er, en 844, à exiger le droit de confirmation. Louis II ira plus loin, jusqu’à soutenir l’antipape Anastase et à sévir contre Benoît III, légitimement élu (855), jusqu’à conduire à Rome un groupe d’évêques excommuniés qui semblent vouloir la déposition de Nicolas I" (864). Voir ici, art. Nicolas P r, t. xi, col. 513. On s’explique que dans de telles conjonctures ce pape (858-867) ait rappelé que l’institution du patriciat et de l’empire avait eu pour but premier la protection du principat civil des papes, ad sanctse roman r Ecclesiee libertalem et sublimitatem. Nicolas I er, Epist., lxxix, P. L., t. exix, col. 915.

Et, cependant, quand les empereurs manquent à leur mission, les pontifes romains sont fidèles à la leur. Saint Léon IV (847-855) repousse les Sarrasins, organise et fortifie la cité léonine. Bientôt Jean VIII, (872-882) saura mener lui-même une expédition contre les infidèles.

Du reste, après la mort de Charles le Gros (888). l’empire carolingien est livré à l’anarchie. Entre les divers compétiteurs, les papes ne savent sur qui compter ni à qui se donner. Contraints de conférer la couronne de Charlemagne au hasard des événements, ils expient sous de nouveaux vainqueurs la condescendance dont ils ont usé envers leurs rivaux. A leur tour, les césars improvisés profitent des vacances du Siège apostolique pour faire élire un de leurs partisans.

2° Sous la féodalité italienne (900-963). — Mais c’est, dans la période suivante surtout que se produisent les grands conflits, les interventions abusives, les funèbres tragédies, en ce xe siècle, au cours duquel, l’empire ayant disparu, l’État pontifical se trouve sans défense en face de l’aristocratie laïque, les nobles à demi sauvages de Rome et de la campagne latine. Ceux-ci s’emparent du droit d’élection au Saint-Siège ; la famille de Théophylacte préside aux destinées du patrimoine de l’Apôtre : les barons choisissent, au gré de leurs

convoitises et de leurs haines, l’homme qui sera à la ois leur souverain et leur évêque, tandis que les femmes de ces dynasties féodales mettent le comble au scandale. Les papes de cette lamentable époque n’ont plus qu’un pouvoir temporel purement théorique ; l’indépendance de leur ministère spirituel est moindre encore.

3° Soas les césar* germaniques (963-1058). — Cette situation change le jour où Jean XII (955-964), après avoir couronné Othon le Grand (962) et obtenu d’abord son puissant appui, est déposé par un concile que préside l’empereur (963). Rome rentre dans l’ordre, en rentrant sous le joug impérial. Othon remet en vigueur la constitution de 824. Dès lors, les césars de la dynastie saxonne, descendant des Alpes à la tête de leur chevalerie, viendront rétablir la paix dans la Ville éternelle. Ces fréquentes interventions de l’empire dans les affaires romaines, non moins que la prédominance du droit féodal, aboutissent à une évolution logique du statut de la papauté et de son pouvoir temporel. Jusqu’à la réforme capitale de Nicolas II, c’est l’empereur allemand qui, en suzerain prétendu, choisit et investit le pape, nomme ses familiers, les évêques de sa cour. Le Saint-Siège est inféodé, au Saint-Empire germanique, et lorsqu’il arrive que la papauté retombe un instant sous l’influence italienne, les intrigues, les troubles, les ignominies recommencent.

Enfin, le moine Hildebrand devient le principal inspirateur des papes qui se succéderont à partir de la mort de saint Léon IX (1054). La querelle des investitures est commencée avec la réforme générale de l’Église.

Jugement et conclusion sur cette période.

Jusqu’en

cette fin du xie siècle, en dehors des chartes ou diplômes concernant les donations faites au Saint-Siège, en dehors des constitutions ou lettres conciliaires ou pontificales touchant l’indépendance et la souveraineté spirituelles et temporelles du successeur de saint Pierre, les documents sont rares sur la question qui nous occupe.

En 778, le pape Adrien I" (772-795), dans une lettre à Charlemagne, semble bien faire allusion à cet apocryphe qui eut tant de succès au Moyen Age et qui est connu sous le nom de Donation de Constantin. Sans doute, vit-il le jour dans le dernier quart du viiie siècle ou au début du ixe, « à une époque, dit dom Lcclercq, où de pareilles supercheries semblaient légitimes, pourvu qu’elles rendissent service et suppléassent aux textes authentiques disparus ou inexistants », art. Constantin, dans Dictionn. d’archéol. chrét. et de liturgie, t. ii, col. 2676-2683. Ce n’est pas ce faussaire qui créa le droit, c’est l’histoire qui y avait travaillé plusieurs siècles durant, quoi qu’il en fût des intentions de Constantin.

Toujours est-il qu’Énée, évêque de Paris († 870), dans son traité Advcrsus Grsecos, Ratramne de Corbie (t vers 870), dans son Contra Grsecorum opposila, Hincmar de Reims († 882) et les auteurs ecclésiastiques de ce temps (comme plus tard Pierre Damien), font état du fameux document, ou le supposent admis, sans se préoccuper d’instituer du pouvoir temporel une justification théologique que personne alors ne réclamait et qui, nous l’avons vii, se dégageait avec évidence des faits.

En s’aflranchissant du joug intolérable des Grecs, les pontifes romains ont cherché un protecteur nécessaire contre les ennemis extérieurs, et le protectorat des Carolingiens ne manqua, à l’ordinaire, ni de tact, ni de bienveillance. Du reste, voici que grandit le danger des ennemis intérieurs, les factions italiennes, dont l’influence est néfaste sans compjnsation. La tutelle des empereurs allemands rend d’abord à l’Église quelques services ; mais ce régime, qui pèse bientôt lourdement sur l’indépendance des papes.