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    1. PORPHYRE##


PORPHYRE. INFLUENCE

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3. Porphyre, âme véritablement religieuse, garde tous les préjugés de l’hellénisme. — L’auteur de la Lettre à Marcello manifeste en plusieurs de ses ouvrages une piété si haute, une si forte inspiration religieuse (cf. Epist. ad Marcellam, 7, 12, 13, 20, 24, 27) qu’on a peine à imaginer toute la distance qui le sépare de la foi chrétienne. En fait, il est arrêté au seuil de l’Église par un ensemble d’idées et de sentiments qui reflètent la pensée et l’idéal païens et qui sont à la base de sa critique.

La croyance en l’éternité du monde et en la périodicité de la vie universelle, tel est le premier principe de la cosmologie hellénique, suivant lequel l’univers est un ordre éternel, où le temps se divise en vastes périodes qui se répètent indéfiniment. De là découle la conception d’un déterminisme absolu, s’étendant des révolutions astrales jusqu’au moindre changement dont le monde sublunaire est le théâtre. De là encore l’idée que les corps célestes sont des êtres divins, puisque éternels et incorruptibles : ils ne connaissent que le mouvement parfait. Porphyre admet d’emblée ces principes de la science grecque et c’est en leur nom qu’il s’oppose aux dogmes chrétiens de la création, de l’incarnation, de la fin du monde et de la résurrection des corps.

Au demeurant, ces difficultés intellectuelles de croire n’étaient peut-être pas l’obstacle le plus insurmontable e.itre le philosophe tyrien et l’Église. Il y avait chez lui toute une hérédité de culture qui [’insurgeait contre le christianisme. Dans presque tous les fragments que nous possédons du KaTà XpiaTiavwv, il revient sur ces répugnances sentimentales qui l’éloignaient de la foi chrétienne.

Un sauveur vraiment Dieu n’aurait pas, comme Jésus, tremblé devant la mort au Jardin des oliviers, gardé le silence pendant la passion et accepté le supplice des esclaves. Quel contraste avec les accents émus de Pascal : « Il a été humble, patient, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Oh ! qu’il est venu en grande pompe et en prodigieuse magnificence, aux yeux du cœur, qui voient la sagesse ! » Pensées, n. 793, éd. Brunschwicg. Porphyre, lui, n’entend rien à cette sagesse nouvelle de l’Évangile : la vie du Christ, pleine d’abnégation et d’humilité, sa doctrine où il promet le salut aux pécheurs, aux pauvres, aux gens incultes, au rebut de la société, sa mort rédemptrice par la souffrance, autant d’objets de scandale pour notre philosophe. Tout de même, c’est parce qu’il voit dans saint Paul l’adversaire le plus intrépide de la culture grecque, des croyances et des mœurs païennes, qu’il l’attaque avec une extrême violence. La vie des chrétiens, telle qu’elle se passe sous ses yeux, est aussi, par plus d’un côté, une énigme pour cet esprit tout imprégné de la sagesse antique. II ne comprend pas la patience des martyrs, prédication vivante et instrument providentiel de la conversion des païens. Il accuse l’ignorance et la foi simple des gens du peuple, sans réfléchir que cette adhésion confiante est justifiée dans les savants travaux des apologistes, d’un Origène, par exemple, qu’il a connu de près. Il se révolte contre l’indulgence accordée au pécheur repentant et ne soupçonne pas les impulsions mystérieuses de la grâce. Il y a là tout un monde, qui lui est fermé. L’idéal chrétien, pour cet aristocrate de la pensée païenne, reste toujours, selon le mot de l’Apôtre, une folie.

Ces brèves observations sur la faiblesse de l’œuvre porphvrienne permettent de s’inscrire eh faux contre le sentiment de von Harnack : « Là où Porphyre a transporté le conflit entre le christianisme et les sciences philosophiques et religieuses, on le retrouve encore aujourd’hui ; aujourd’hui encore Porphyre n’a pas été réfuté et, en somme, on ne peut le réfuter

qu’après lui avoir tout d’abord donné raison en ramenanl le christianisme à son « noyau » primitif. > Mission und Ausbreitung, 2e édit., t. i, p. 414. Tout au rebours, la position générale de Porphyre nous paraît singulièrement fâcheuse. Les trois vices fondamentaux de cet esprit : son culte pour la sophistique, l’insuffisance de son érudition et de son jugement, ses partis pris philosophiques et religieux sont beaucoup trop graves pour ne pas ruiner dans l’ensemble ses objections contre la foi chrétienne. Il reste seulement qu’à certains égards sa critique paraît d’hier. Dans la luttecontre le christianisme, il se place volontiers sur le terrain de l’histoire biblique, comme on le fait de nos jours. Il essaie déjà de démontrer « la modernité des prophètes », dont les prédictions n’auraient été écrites qu’une fois les événements accomplis. Il devance l’école de Tubingue en accentuant les divergences de Pierre et de Paul. Dans ses attaques contre les évangiles, la personne de Jésus est séparée de ses disciples et de son œuvre, tout comme les protestants libéraux distinguent aujourd’hui entre le Christ de l’histoire et le Christ de la foi. Peut-être a-t-il préludé à l’histoire comparée des religions par un parallèle entre le peuple phénicien et le peuple juif. Dans tous les cas, sa façon de tenir les dogmes de l’Église pour des mythes grossiers n’est pas sans quelque ressemblance avec les conclusions de l’école dite religionsgeschichllich. Il n’y a pas jusqu’à la forme de sa polémique, tour à tour ironique et savante, spécieuse et serrée, anticléricale et courtoise, qui ne rappelle le ton des ouvrages de certains rationalistes modernes.

3° In/luence. — 1. Dans les milieux païens. — L’œuvre antichrétienne de Porphyre est restée jusqu’à la fin du paganisme une mine inépuisable où les adversaires de la religion du Christ ont alimenté constamment leur polémique. Hiéroclès, Jamblique, Julien l’Apostat, pour ne citer que les noms les plus connus, lui doivent bien davantage qu’il ne semble au premier abord. La mauvaise corservation de leurs œuvres ne permet pas de multiplier les points de comparaison et d’établir des conclusions précises. Mais, à relire seulement les restes du traité de Julien, on aperçoit nombre de traits, surtout d’ordre historique et exégétique, qui s’apparentent sans conteste à la critique de Porphyre. Tous deux, ils utilisent Ex., xxii, 28, pour défendre le polythéisme et I Cor., vi, 11, pour attaquer l’institution du baptême. En dehors des lieux communs de la polémique courante, ils soulèvent fréquemment les mêmes objections en s’appuyant sur les mêmes textes. Ainsi, la généalogie du Christ, Matth., i, 1-17, la vocation de Lévi, Matth., ix, 9, la naissance virginale du Sauveur, Is., vii, 14, l’incident d’Antioche, Gal., ii, Il sq., etc., sont l’objet de diatribes semblables. Il est difficile de nier une certaine influence de notre savant sur les cercles païens du néoplatonisme.

Son action, toutefois, n’a pas été profonde. Porphyre reste dans le domaine de la philosophie religieuse un homme de transition. Les nécessités de la propagande et ses propres dispositions l’invitaient à atténuer la ferveur enthousiaste et le rigorisme de Plotin. Il ne peut atteindre aux élans mystiques du maître ; il n’a pas les mêmes dédains que lui pour les cultes populaires. Nonobstant, il prône tout un système de renoncement ascétique et ne manifeste guère d’estime pour les hiérophantes et les mystagogues. Aussi, après sa mort, lorsque l’école néoplatonicienne, engagée, à partir du « divin » Jamblique, dans les compromissions les plus funestes pour l’esprit philosophique, fut devenue l’humble servante des anciens cultes païens et le dernier rempart d’une « théologie de la superstition », Porphyre ne compta plus pour ce monde de théurges et de charlatans. On le regardait comme « l’érudit », nokviy.Qr l ç, qu’il convient de consulter au besoin. Mais