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    1. PORPHYRE##


PORPHYRE. SA POLÉMIQUE

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5. L’Église et son enseignement.

Les attaques de Porphyre, soit contre le fondateur et les premiers témoins du christianisme, soit contre l’Ancien et le Nouveau Testament, n’avaient pas, en effet, pour lui qu’un intérêt spéculatif. Engagé dans un duel sévère avec l’Église chrétienne, il ne se contente pas de la frapper ainsi à la base, aux sources mêmes de son enseignement, il entend pousser à fond son ardente polémique et combattre à outrance les dogmes et les pratiques religieuses des communautés de son temps.

Non pas qu’il paraisse toujours très éloigné de la foi qu’il abhorre. On est, à l’occasion, surpris d’avoir affaire avec un homme aussi croyant, aussi pieux. Il reconnaît en Dieu un être tout-puissant, infiniment bon, infiniment sage. Sa puissance n’est limitée que par sa nature et par les lois de la raison ; il ne peut pas devenir mauvais, il ne peut pas davantage faire que deux fois deux ne fassent quatre. Apocrit., iv, 2, 24. Sa bonté est sans limites, elle s’étend à tous les êtres de l’univers, jusqu’aux plus humbles et aux plus petits, jusqu’aux animaux eux-mêmes. Apocrit., iii, 4, 32. Sa sagesse éclate dans l’ordonnance parfaite et immuable de ses œuvres : le Verbe divin, par l’intermédiaire duquel il a tout créé, gouverne le monde sans rien y changer. Apocrit., iv, 1, 2. Le mal qu’on y constate est l’œuvre des démons, de ces mauvais esprits qui prennent plaisir à répandre toutes sortes de maux. Apocrit., iii, 4. Aussi bien, l’homme a besoin du secours de Dieu : nos ancêtres étaient déjà accablés sous le poids de leurs péchés et maintenant encore une intervention divine est nécessaire pour nous sauver. Apocrit. , iii, 4 ; iv, 10.

Toutefois, la hauteur de ces vues et de ces aspirations ne doit pas donner le change. Le monothéisme de Porphyre n’exclut pas la pluralité des dieux. Notre philosophe s’explique même en détail sur ce point : un vrai monarque ne saurait régner que sur ses semblables, sans cela sa majesté serait fort compromise. Apocrit., iv, 20. fa Bible, en plusieurs endroits, Ex., xxii, 28 ; Jos., xxiv, 14 ; I Cor., viii, 5, 6, reconnaît du reste l’existence de divinités inférieures, Apocrit., iv, 23 ; leur nom (anges, dieux ou démons) importe peu et varie suivant les pays, leurs images ne sont que des symboles pour nous rappeler leur présence, Apocrit., iv, 21, 22 ; l’essentiel est de reconnaître qu’ils participent à la nature divine et qu’ils ont droit à un culte réglé par la plus ancienne tradition. Apocrit., iv, 21,

23. Au sujet de la nature de Dieu, on dirait que Porphyre cherche quelque accommodement avec le dogme chrétien et propose une sorte de transaction.

Au rebours, le conflit est on ne peut plus aigu touchant la nature du monde et de l’homme. Pour le sage païen, le ciel et la terre sont éternels ; il faut être stupide pour croire que le ciel, cette merveille de la création, puisse disparaître ; la terre elle-même, véritable œuvre d’art, doit subsister toujours, parce que soumise à des règles invariables. Apocrit., iv, 1, 2, 6, 7,

24. On trouve bien dans le Nouveau Testament l’annonce de la fin prochaine du monde, I Thess., iv, 1517 ; Matth., xxiv, 4-5, 14, mais les événements se sont chargés de la démentir. Apocrit., iv, 2-5. Quant à l’homme, il est absurde de prétendre que son corps pourra ressusciter. Comment changerait-il tout d’un coup de nature pour voler, comme dit Paul, I Thess., iv, 17, dans les airs au-devant du Christ ? Apocrit., iv, 2. Comment arriverait-il à réunir ses divers éléments corrompus et dispersés depuis si longtemps ? Apocrit., iv, 24. Déjà, lors de la prédication apostolique, les aréopagites d’Athènes avaient refusé d’entendre saint Paul, dès qu’il avait abordé le problème de la résurrection. Act., xvii, 31 sq. Au temps de Porphyre, les esprits n’ont pas changé à ce point de vue dans le monde païen ; c’est toujours la même opposi tion irréconciliable à la doctrine chrétienne. Notre philosophe y ajoutait seulement quelques objections sur l’état des corps ressuscites, sur l’éternité des peines d’outre-tombe. Augustin, Epist., en, 2 et 22.

Les autres dogmes chrétiens étaient aussi, de sa part, l’objet des attaques les plus vives. L’incarnation est impossible : Dieu n’a pas de Fils, Augustin, Epist., en, 28 ; Jésus ne peut être le "Verbe divin, Théophylacte, Enarratio in evang. Joh., i, 2, P. G., t. cxxiii, col. 1141 ; Apocrit., ni, 3 ; un Dieu ne saurait prendre chair dans le sein d’une vierge, Augustin, De civ. Dei, X, xxviii ; Apocrit., iv, 22 ; pourquoi d’ailleurs a-t-il retardé son apparition jusqu’au temps du Christ, alors que les générations antérieures avaient tant besoin de son secours, Apocrit., iv, 10 ; Jérôme, Epist., ciii, 9 ; Augustin, Epist., en, 8, et quelle est, en définitive, l’utilité réelle de sa venue sur la terre ? Méthode, éd. Bonwetsch, p. 503 sq. En tout cas, sa mort sur la croix était absolument inutile et il est même contraire au bon sens qu’un être impassible puisse souffrir. Méthode, op. cit., p. 503-506. Porphyre admet bien la nécessité d’un ou de plusieurs sauveurs, mais il se les représente sous les traits de philosophes, tels qu’Apollonius de Tyane, enseignant la plus haute sagesse et appuyant sa doctrine sur des miracles. Pour lui, le salut semble consister avant tout dans une gnose, dans la science des règles qui facilitent l’affranchissement des passions. Apocrit., iv, 5, 10. Il est évident que les rites ne servent à rien. Comment l’eau baptismale pourrait-elle suffire à purifier les péchés ? Ce serait trop commode et, au fond, entièrement immoral. Apocrit., iv, 19. Quels sont même, au juste, les effets du repentir ? Méthode, op. cit., p. 507. Et qu’on ne dise pas que les rites chrétiens ont un sens mystique et doivent s’interpréter allégoriquement, car cette méthode ne peut être employée quand il s’agit de mystère aussi grossier que la croyance à l’eucharistie. Apocrit., ni, 15.

En un mot, l’Église chrétienne, malgré quelques apparences, est le grand adversaire de l’hellénisme. Les « mythes étrangers » qu’elle propose à la foi de ses adeptes sont contraires à la plus ancienne et à la plus ferme tradition des Grecs. Eusèbe, Hist. eccl., VI, xix, 7 ; Apocrit., ii, 14 ; iii, 31. Il est donc juste de traiter de pervers et d’impies ceux qui méprisent les conceptions et les coutumes religieuses les plus sacrées. Ajoutez à cela que la foi des chrétiens est une foi aveugle, irréfléchie, irraisonnable, un asservissement complet de l’esprit, d’où le nom de « fidèles » qu’on leur a donné. Leur enseignement n’a pas plus de valeur que « les commérages des vieilles femmes » et « les boniments des bateleurs ». Apocrit., iii, 35 ; iv, 8, 9. Au fond ce sont des barbares, des révolutionnaires qui rompent avec le passé et menacent l’ordre établi ; ce sont des ennemis irréconciliables de la pensée païenne et de la civilisation hellénique. Eusèbe, Præp. evang., i, i-n ; Demonst. evang., i, n.

Dans leur conduite, les chrétiens du commun font preuve de la même niaiserie et les chefs de la même duplicité. Ils critiquent le service du culte officiel, comme si leur Dieu n’avait pas autorisé expressément les sacrifices, Augustin, Epist., en, 16, comme si leurs temples n’étaient pas construits sur le modèle des temples païens. Apocrit., iv, 21. Ils pratiquent l’ascèse, mais leurs vierges sont des personnes au cerveau malade, qui prétendent être remplies du Saint-Esprit, tout comme la Mère de Jésus. Apocrit., ni, 36. A force de répéter : « Vends ton bien, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel », les prêtres ont fini par suborner quelques femmes riches qui ont cédé toute leur fortune et se sont réduites, sous prétexte de piété, à la vie la plus misérable. Apocrit., ni, 5. D’autres matrones jouent dans l’Église un rôle encore plus sin-