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production des créatures ne suppose en Dieu aucune initiative : tout se fait en vertu d’une nécessite qui s’impose au premier Principe, et dans le retour par la purification, leur activité n’est pas tournée vers le vouloir pour le perfectionner, mais uniquement vers l’obstacle extérieur pour s’y soustraire.

La notion même de moralité est al teinte. Cela peut sembler un paradoxe que Plotin n’ait pas eu l’idée de la perfection morale, lui, le grand admirateur des esprits et le contempteur de la matière ; et, pourtant — c’est comme une revanche de cette matière trop méprisée le monde même des esprits est régi chez lui par un déterminisme qui ne laisse plus de place à la liberté.

L’univers est parfait, son histoire, l’histoire des âmes qui lui est intimement liée, est irrévocablement inscrite dans les lois.de la nature. La perfection pour ces âmes ne saurait donc être de modifier par leur effort, si peu que ce soit, le cours des choses ; tentative orgueilleuse et inutile, songe d’une impossible révolution : « Si l’on change la moindre des choses d’ici-bas, disait Celse (dans Origène, Cont. Cels., IV, v, P. G., t. xi, col. 103C A) tout sera bouleversé et disparaîtra. » Tout ce que peut l’homme, c’est, par sa partie la plus haute, s'élever jusqu'à reconnaître la loi du monde et, par là, s’unir au principe des choses, devenir dieu lui-même dans la mesure où il la connaît.

Un chrétien, fût-il de culture grecque et néoplatonicienne, ne pouvait pas admettre que l’histoire des âmes individuelles fût inscrite en détail irrévocablement dans la nature, et que leur destin dépendît « du mouvement circulaire du ciel ». Ce qu’elles seront dépend de ce qu’elles feront, et cela pour une grande part dépend d’elles ; par l’exercice de leur liberté, dans le cadre des lois naturelles dont le déterminisme même ne va pas sans une certaine contingence, elles peuvent se perfectionner comme elles peuvent se perdre. Et, si elles venaient à se perdre, à quoi leur servirait d’avoir gagné l’univers ou pénétré ses secrets par la plus sublime contemplation ?

Saint Augustin reproche aux platonici, tout en les distinguant soigneusement des manichéens, de faire du corps la source de la perversité de l'âme comme de ses passions. « Mais non, dit-il, c’est la volonté qui importe. Interest autem qualis sil voluntas hominis. Selon qu’elle est mauvaise ou droite, les mouvements qui agitent l'âme sont eux-mêmes mauvais ou innocents ou louables. » C’est en cet endroit que saint Augustin écrit la phrase célèbre dont on a tant abusé : « La volonté est en tous (ces mouvements) ; bien plus, ils ne sont que des volontés, omnes nihil aliucl quam voluntates sunt. De cii>. Dei. XIV. v, fi. P. L., t. xli, col. 409.

On ne peut point parler de faute morale ni de perfection sans parler de volonté libre. « C’est la volonté, dit Origène, qui fait le bien ou le mal. » ('.ont. Cels., IV, xlv, P. G., t. xi, col. 1101 B.

Mais il faut pour cela affirmer l'éminente dignité de la personne humaine, libre au milieu d’un monde qui a été créé pour elle, pour l’aider à atteindre sa fin en servant Dieu. « Seul le christianisme, écrit M. Bréhier, en concevant une âme indépendante de toute fonction cosmologique, a pu rompre cette solidarité entre le mouvement de l’univers et notre destinée morale. Plotin, Ennéades, t. iv, p. 187 ; cf. p. '227.

II. action et contemplation.

1° Si la perfection existe pour ainsi dire toute faite dans les âmes et n’a besoin que d'être dégagée, le travail de préparation se réduit à écarter la matière qui la voile. « La seule condition de la moralité parfaite, note Bodier, est toute négative… Toutes les vertus sont des purifications. » Études de philosophie grecque. Plotin, p. 330. Pour Aristote, elles étaient des qualités acquises ; ici,

elles sont non point une acquisition, mais, au contraire, le détachement de ce que l'âme avait acquis dans sa chute.

Bien plus, cette activité négative elle-même doit s’effacer pour laisser place à la contemplation. La contemplation n’est-elle donc pas une action ? Elle l’est, si l’on veut, étant l’exercice de la plus haute faculté qui soit en nous, mais une action d’un genre spécial, noiqaiç, et qui n’a rien à voir avec les activités de l’homme corporel dans les conditions de la vie présente, Trpà :  ; (.< ;. Cf. Arnou, Ilpxïuç et (-ktopla. Étude de détail sur te vocabulaire et la pensée des < Ennéades de Plotin, Paris. 1921.

La Tirpà^tç n’est qu’un pis-aller. Plotin la dédaigne et ceux qui s’y livrent. Entre elle et la contemplation il y a une opposition radicale ; l’une gagne ce quc l’autre perd.

2° L’opposition de l’action et de la contemplation était classique chez les Grecs ; c'était même un exercice d'école de discuter sur leurs mérites respectifs. -Mais il ne faut pas oublier que les mots peuvent recouvrir des sens très différents, car « contemplation », Oswpix se dit de toute espèce de connaissance, et « action Trpà^iç, d’activités fort diverses (l’activité intellectuelle, comme on vient de le dire, s’exprimant d’ordinaire par -Koirpiç, ). Leur opposition peut mettre en parallèle le labeur de l'étude et les travaux du corps, ou la recherche philosophique et le soin des affaires de l'État ou, comme chez Grégoire de Nazianze, le recueillement de la solitude réservé aux parfaits et la vie dispersée du monde qui est pour le plus grand nombre, ou, comme chez Augustin, la vision du ciel et la vie laborieuse qui la prépare.

Pour un néoplatonicien, la contemplation est de préférence la vie intérieure avec une note très accentuée de spéculation et de repliement sur soi : l’action est au contraire une activité qui force l'âme à sortir d’elle-même.

3° Bans la vie spirituelle d’un chrétien, la contemplation occupe une bonne place, certes, soit au terme, soit même sur la route. C’est de la vision de Dieu qu’il attend le bonheur suprême et, pour y parvenir, il lui faut beaucoup prier et donc, dans une certaine mesure, mener une vie contemplative.

L’hellénisme, sous sa forme platonicienne, fut toujours une tentation de faire trop grande la part de la connaissance. Pour les alexandrins du Didascalée. le chrétien parfait est le gnostique. Or, la gnose en exercice, bien que les valeurs morales n’en soient point absentes, c’est la contemplation où l’esprit agit seul sans le secours des sens : on s'élève par la charité à la connaissance, dit Clément d’Alexandrie. Slrom.. IV. xxii, P. G., t. viii, col. 1345C-1348 A ; VI, x, t. ix. col. 301 ; VII, x, col. 480. Celui-là est parfait qui « connaît ». Cf. ce qui a été dit plus haut sur Clément, col. 230.'. Mais ce n’est pas seulement au Didascalée qu’on regarde volontiers le chrétien savant comme un chrétien meilleur. Grégoire de Nazianze témoigne d’une sympathie particulière pour les fidèles hislruits, comme Héron (Oral., xxv, 1, P. G., t.xxxv, col. 1197) initiés aux secrets de cette culture dont il faisait encore l'éloge dans sa vieillesse, sur la tombe de son ami Basile. Oral., xliii, 11, t. xxxvi, col. 508 B. Augustin, lui aussi, regrettera d’avoir accordé trop d’importance à la formation scientifique dans la préparation de l’union à Dieu multum tribui liberalibus disciplinis quas multi sancti multum nesciunt ; quidam etiam, qui sciunt eas, sancti non sunt. Retr., i, ni, 2, P. L., t. xxxii, col. 588. Quand ils parlent de la science, ces Pères ne tiennent donc pas le langage de saint Paul aux Corinthiens, mais ils tiennent encore beaucoup moins celui de Plotin.

1° La perfection est-elle accessible à tous ? On pou-