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    1. PLATONISME DES PÈRES##


PLATONISME DES PÈRES. LA VIE INTÉRIEURE

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goûter le vrai repos et le bonheur. Comparer par exemple, d’une part, saint Grégoire de Nazianze, Oral., xxviii. 3. P. G., t. xxxvi. col. 29 A ; Oral., vii, 21. t. xxxv. col. 781 BC ; saint Grégoire de N’ysse, De i>ita Moysis, t. xliv, col. 370 I). 377 A ; et d’autre part Platon, Gorgias, 480 c ; Phèdre. 251 d ; Philon, Legum alleg.. iii, 13 sq. : Plotin, Enn., IV, viii, 1.

Et quand le pseudo-Denys distingue dans la vie spirituelle les trois étapes qui devaient devenir classiques, il ne fait qu’adapter la doctrine de Plotin et de Proclus, selon laquelle l'âme, dans son ascension vers le Principe suprême, doit d’abord se purifier, puis se tourner vers le second Principe pour recevoir sa lumière, et alors seulement, devenue Intelligence ellemême, s’unir au premier qu’est l’Un, par exemple : Enn.. III. vi, 5 (purification) ; V, v, 6 et 8 (illumination) ; VI, vii, 35, ix, 7-11 (union). Cf. Platon, Phèdre, (56-69, 249-250 ; Rép., 532 sq. ; Banquet. 210. C'était l'ébauche des trois voies, purgative, illuminative, unitive.

.Mais, conclure de là, avec Harnack, que l'Église a reçu toute faite de la tradition platonicienne sa doctrine ascétique et mystique, c’est oublier les oppositions essentielles que recouvre l’analogie des vocabulaires et sur lesquelles les Pères platoniciens ont été les premiers à insister.

Sans doute, chez quelques-uns, la formation philosophique a prévalu sur un christianisme peu éclairé et de fraîche date : ce n’est point par là qu’il faut juger. Ainsi chez Marius Victorinus, quand il écrivait : « Le Christ nous a rachetés de la mort, c’est-à-dire des pensées et des désirs charnels », In epist. Pauli ad Ephesios, t. I, ꝟ. 7. P. L., t. viii, col. 1243 C, la confusion des vocabulaires a entraîné une confusion des doctrines. Par un jeu d'équivalences arbitraires, le christianisme est vidé de sa substance surnaturelle. De cette vie que le Christ a donnée aux hommes par sa mort et qu’ils reçoivent en s’unissant à lui, que reste-t-il ? Une doctrine de séparation de la chair : nos redemil a morte, id est a carnalibus cogitationibus et cupidilatibus… ; id est sibi servire quod est spiriluatiler jam vivere, item nihil carnalitcr agere, nihilque sensu sentire. L’idéal proposé est purement philosophique : vivre selon l’esprit et finalement remonter à notre origine. Quelle que soit sa sincérité, Marius Victorinus est ici un témoin du platonisme plutôt que du christianisme. Il faudrait en dire autant de Synésius.

D’ordinaire, il en va autrement : la pensée chrétienne emprunte à la philosophie des moyens d’expression, mais elle reste elle-même. L’enveloppe est semblable ; ! e contenu est différent.

Un néoplatonicien païen et un chrétien parlent tous deux de « conversion n è-ia-çrjçr t. Mais, selon la tradition des anciens prophètes et l’enseignement de l'Évangile, se tourner vers Dieu, c’est avant tout faire pénitence de ses péchés : le grand obstacle à l’union à Dieu est là. Pour un néoplatonicien, au contraire, c’est se disposer à la contemplation, dégager l’oeil capable de voir les choses divines, en le libérant de la matière qui offusque sa perspicacité.

Ils parlent tous deux de détachement et de purification, xâBocpenç, mais, tandis que le chrétien a en vue la pureté du cœur, la justice, la charité, car c’est par là qu’on s'élève au-dessus des choses terrestres, la purification platonicienne, éloignement quasi mécanique de ce qui s’est ajouté dans la chute à notre vraie nature, fait penser à la pureté légale toute extérieure des pharisiens, auxquels l'Évangile rappelle que ce qui souille le cœur de l’homme et son âme, ce n’est pas la matière, mais les mauvaises pensées et les mauvais désirs d’où naissent les mauvaises actions.

La perfection de part et d’autre est considérée

comme un achèvement, TeXetcoatç, mais cet achèvement, un platonicien le demande à la spéculation, car il considère l’homme surtout comme une intelligence, vouç. Un chrétien espère l’obtenir de la grâce à laquelle il collabore en s’unissant à la volonté divine par sa manière de vivre : la perfection, dans la mesure où elle dépend de lui, est affaire de bonne volonté. Or, que pouvait signifier la volonté divine dans un système où Dieu ne saurait s’occuper du monde ou du moins des individus sans déchoir de sa simplicité?

La différence entre les deux conceptions de la vie spirituelle apparaît évidente, qu’il s’agisse de la nature du péché et de la perfection morale ou de l’importance relative de la contemplation et de l’action ou du rôle de la grâce dans l'œuvre du salut ou de la prière.

I. LE PÉCHÉ ET LA PERFECTION MORALE.

1° Le

néoplatonisme païen n’a pas la notion du péché. Même quand il parle de la chute des âmes dans le corps auquel, audacieusement, elles s’unissent, cette audace mystérieuse n’est pas une offense envers Dieu ni une révolte de la volonté libre et, s’il en résulte une déchéance, la contrition n’aura point de part au relèvement : la conversion est séparation de la matière.

C’est que le mal n’est pas « la suppression de quelque chose que l'âme possède, mais l’addition d’un élément qui lui est étranger, comme le phlegme ou la bile dans le corps ». Plotin, Enn., i, viii, 14. L'âme « impure, emportée de tous côtés par l’attrait des choses sensibles… ayant en elle beaucoup de matière… se modifie par ce mélange avec une chose inférieure, comme un homme qui, plongé dans un bourbier, ne montrerait plus sa beauté première : on ne verrait plus que la boue dont il est enduit ; sa laideur est due à l’adjonction d’un élément étranger ; s’il doit redevenir beau, c’est tout un travail pour lui de se laver et de se nettoyer ». IV, viii, 1. La description et l’exemple suggèrent que la faute est une addition accidentelle qui s’attache à l'âme et s’en sépare sans la modifier intrinsèquement, mais lui reste toujours étrangère.

Dès lors, peut-on parler encore de faute morale, surtout lorsque la vie de l'âme est commandée par le déterminisme universel, comme le voulait une conception rationaliste qui, pour comprendre plus sûrement toutes choses, les enchaînait toutes par des lois nécessaires ?

Le Timée avait insisté dans un mythe expressif sur la liaison entre le macrocosme et le petit monde qu’est chacun de nous. Fabriquée par le même Démiurge dans le même cratère et en grande partie avec les mêmes éléments, la partie immortelle de notre âme est semblable à l'âme de l’univers, « sphérique comme elle, comportant comme elle les deux cercles du même et de l’autre, ayant comme elle ses révolutions dont les unes se rapportent à l'Être et les autres au devenir ». Rivaud, Timée, introd., p. 87.

Pour les stoïciens, les âmes individuelles étaient des fragments de l'âme du Tout, régies par le même destin qui les pousse invinciblement à jouer leur rôle dans le grand drame universel, à la place qui leur est assignée. Le problème de la vie de l'âme, liée au mouvement du ciel, des astres et des sphères, n'était plus que le détail d’un vaste problème cosmologique.

2° Ce n’est pas le seul point de vue, il est vrai, auquel se soient placés les néoplatoniciens. Il a pourtant laissé chez eux une trace profonde et donne à tout ce qu’on pourrait appeler leur conception de la vie spirituelle une raideur qui fait penser beaucoup plus à la tension stoïcienne qu'à la loi d’amour.

Si l'âme a commencé à être, c’est par une création éternelle et nécessaire, comme le reste de l’univers. Si elle est déchue d’un état plus pur où elle peut remonter, et la chute et la restauration ne sont que le développement fatal de sa raison ou de son essence. La