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PLATONISME DES PÈRES. LA CREATION


peuple, mais en ce qu’il est lui-même parfait, car, quand il enseigne le peuple, il lui est inférieur, comme le pasteur à son troupeau, par là-même qu’il s’en oecupe. Avicenne, Metaph., 1. II. tr. IX. e. m. La parabole du, <on pasteur marque la distance de cette philosophie à l'Évangile.

Aussi les platoniciens, restés dans le paganisme, quand ils parlaient de la bonté de Dieu, L’entendaientils en tout autre manière : comme la perfection de sa nature, qui, en vertu d’une loi générale, exige qu’il se répande et se reproduise, autant qu’il est possible. « Ce monde est né, dit Plotin, non pane que l’Intelligence a réfléchi qu’il fallait le créer, niais en vertu d’une nécessité inhérente à la nature de second rang, parce que cette nature n'était pas telle qu’elle pût être le dernier des êtres. » III, ii, 2. De même, s’il y a une Intelligence, c’est que « tout ce qui est parfait engendre ; ce qui est éternellement parfait, engendre éternellement un être éternel, qui d’ailleurs lui est inférieur ». Dieu produit le monde comme le feu échauffe et la neige refroidit, comme du soleil rayonne la lumière, comme un parfum s’exhale ; c’est une comparaison de Philon. Leg. alleg., i, 41, que reproduisent les Ennéades, IV, viii, (i ; V, i, 6 ; VI, vii, 36, et que repousse Clément d’Alexandrie, Strom., VII, vu, P. G., t. ix, col. 457 C.

Chez plusieurs écrivains chrétiens, soucieux cependant de sauvegarder la liberté divine, des formules se sont glissées qui témoignent de l’influence néoplatonicienne. Ainsi, sans parler d’Origène, De princ, I, ii, 10 ; III, v, 3. P. G., t. xi. col. 138 C, 327 B, chez le pseudo-Denys. C’est parce que Dieu est le Bien essentiel qu’il étend à tous les êtres sa bonté. « Et, comme notre soleil, sans raisonnement ni choix, mais par le seul fait qu’il est, aùxù tgj sïvai, illumine tout ce qui peut recevoir sa lumière…, ainsi le Bien… communique à tous les êtres, dans la mesure de leur capacité, les rayons de sa bonté. > De div. nom., iv, 1 ; P. G., t. iii, col. 693 B ; cf. Decsel. hier., iv, 1, col. 177 B. Voir un essai d’explication de ce texte, dans l’article : Dieu (sa nature d’après les Pères), t. iv, col. 1126. Saint Jean Damascène use de la même comparaison. De pde ortliod., i, x, P. G., t. xciv, col. 840 A. Il arrive aussi à Grégoire de Xazianze d’expliquer que, si Dieu a créé les anges, « c’est parce qu’il ne suffisait pas à sa bonté de se contempler elle-même, mais qu’il fallait que le Bien se répandit, è'Sst. yzQqvy.i tô àyocOôv, afin qu’il y eût plus d'êtres à en participer, car en cela consiste la souveraine bonté ». Orat., xi.v, 5, P. G., t. xxxvi, col. 629 A.

Le principe : Bonum est difjusivum sui, et l’emploi qu’en faisait l’Aréopagite fut longtemps pour les scolastiques une tentation d’erreur ou du moins d’imprécision. Il fallait l’expliquer. « Cela ne veut point dire que toute nature bonne et parfaite soit déterminée à se répandre au dehors en vertu de sa bonté ; il faut comprendre seulement que la bonté est la raison qu’a Dieu de vouloir ce qui n’est pas lui ; Denys n’a pas entendu exclure de l’action divine toute élection. » Saint Thomas, Sum. theol., 1*, q. xix, a. 4, ad lum ; De pot., q. iii, a. 15, ad lum. L’explication sera souvent embarrassée : le dogme de la création, loin de sortir de la philosophie grecque, cadrait mal avec ses formules traditionnelles. Cf. Petau, Dogm. theol.. De Deo, t. VI, c. m.

2° Second principe. « Ex uno unum ». Un monde multiple ne peut être produit que pur intermédiaires. — Ce principe qu’invoquaient les averroïstes fut condamné par l'évêque de Paris, Etienne Tempier, en 1277, propos. 28 : quod ab uno primo agenle non potest esse multitudo efjectuum ; cf. De erroribus philosophorum, cap. ix (Algazelis), prop. 1 : quod a Deo non potest immédiate progredi multitudo. Voir Mandonnet,

Siger de Brabant, t. n. p. 17 et 178. Albert le Grand, De causis et proeessu universitatis, t. I, tr. I, c. vi, et Thomas d’Aquin, In I" iii, dist. XLIII, q. ii, a. 1, l’attribuent à Aristote. Mais Averroès déjà protestail contre cette attribution. Cf. Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 36(1 sq. Ce principe est arrivé au Moyen Age par les livres hermétiques (cf. Alain de Lille, dans les Beitrâge, t. ii, p. 116-120), et surtout par Avicenne et les philosophes arabes, qui l’avaient eux-mêmes reçu de la Theologia Aristotelis, par exemple t. XIII, c. ii, vi, c’est-à-dire, en réalité, de Plotin. Dans les Ennéades, l’Un ne produit pas immédiatement la multiplicité de l’univers, mais une Intelligence qui, dans son unité, contient tous les êtres ( v', iii, 15, 16 ; iv, 1), intermédiaire nécessaire entre l’Un et le multiple. L’Un devait produire l’Intelligence, et ne pouvait produire immédiatement que l’Intelligence.

Pourquoi fallait-il des intermédiaires ? Platon pensait que le parfait seul peut provenir du parfait, cl Philon, que la sainteté de Dieu lui interdit tout contact avec la matière ; les intermédiaires permettent à l’action divine d’atteindre les dernières des créatures comme ils permettent à l’homme de ne point perdre la liaison avec une divinité dont son infime condition le séparerait comme par un abîme. Les intermédiaires sont donc requis par la transcendance de la Cause première.

Saint Thomas a découvert ici un déterminisme latent. Ce principe qu’on invoque est valable, concède-t-il, dans le cas d’une nature qui, nécessairement, produit son effet, ab uno secundum necessitalem natures opérante non est nisi unum. In /um, dist. XLIII, q. ii, a. 1 ; même en Dieu, id quod procedit per naturam débet unum esse. De pot., q. ii, a. 16, obj. 9 et ad 9° m. Mais l’action divine ad extra n’est pas déterminée de cette manière. Au contraire, c’est justement parce que Dieu est un, parfaitement un et simple, qu’il n’est pas déterminé à produire un seul effet, car l’unité, la simplicité la pureté de son être est la raison de son infinité et de l’illimitation de son acte. Cont. gent., t. II, c. xlh.

Les scolastiques discutaient pour savoir si Dieu eût pu communiquer, à une créature son pouvoir créateur, cf. Pierre Lombard, IV Sent., dist. V, et les diverses appréciations de saint Thomas. In II am Sent., dist. I, q. i, a. 3 ; In IVum, dist. V, q. i, a. 3, ad. 3 ara qmest. : Sum. theol., I a, q. xlv, a. 5 corp.

A l'époque patristique, la théorie de la transcendance divine et des intermédiaires avait marqué profondément son empreinte. Avec Arius, elle aboutit à l’hérésie ; chez d’autres, elle a été l’occasionde formules dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles n'étaient pas claires. Ainsi saint Justin assigne à Dieu le Père une habitation en des régions célestes, au-dessus du monde, où sa transcendance l’isole, » toïç ÛTrep^upavtoiç, ùnzp xôff.i.ou. Dial., 56, 60, P. G., t. vi, col. 596 D, 613 B. Il y est et il y reste. Comment pourrait-il apparaître dans un étroit espace de cette terre ? Ibid., n. 127, col. 772 B C, 773 A. Aussi n’est-ce pas à lui, mais au Fils et au Fils seul qu’il faut attribuer les théophanies. Il y a des traits semblables dans Athénagore, et Théophile d’Antioche, Ad Autol., 22, t. vi, col. 1088, qui se rapprochent de ceux qu’on a relevés plus haut chez Plutarque et Maxime de Tyr.

Il était logique de conclure que le Père ne crée pas le monde directement, mais seulement par son Fils. C’est le sens obvie des passages où Origène affirme que « le Fils, Logos de Dieu, est le démiurge immédiat. tÔv [j.b/ Tipoco/toç 8r J u.'.o>jpyôv, et pour ainsi dire l’ouvrier qui a fait lui-même le monde, ocÙTOupyév, tandis que le Père du Logos, pour avoir commandé au Fils, qui est son Logos, de faire le monde, en est le premier démiurge, 7rpwTui ; SyjLuoupyôv ». Cont, Cels., VI, lx, P. G., t. xi, col. 1390 ; cf. De principiis,