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PLATONISME DES PÈRES. LA CRÉATION


Qui sont ces platonici ? Atticus, un platonicien de la fin du ii c siècle, voulait que la matière fût indépendante du premier Principe. Un siècle plus tard, Porphyre, un autre platonicien, soutient contre lui la création de la matière. Atticus était le plus fidèle aux anciennes traditions de l'école ; car rien n’autorise à dire que Platon ait cru en un Dieu créateur de toutes choses, selon l’acception chrétienne du mot (voir cependant Taylor, Plato, p. 1 12-444). Il est vrai qu’il en appelle fréquemment au principe de causalité (cf. Timée-Critias, texte établi et traduit par Albert Rivaud, Paris, « Les belles-lettres », 1925, p. 140, n. 2). Il est vrai que, se fondant sur ce principe, il déduil qu le monde, étant né, a nécessairement une cause ; « car, sans cause, il çst impossible que quoi que ce soit puisse naître ». Timée, 28 bc. Mais l’argumentation conclut seulement, comme le démontrent et le contexte et l’ensemble des Dialogues, à un démiurge organisateur plutôt que créateur, dont le rôle se borne à introduire l’ordre et la beauté dans une matière, qui sans lui serait un chaos mais non point le néant.

C’est ce qu’ont bien vu quelques-uns des premiers apologistes qui, avec les platoniciens de leur temps, identifiaient le Dieu souverain et le démiurge du Timée, mais notaient que Platon — et ils lui en faisaient un reproche — n’enseigne pas la création de la matière. « Platon et ceux qui le suivent, dit Théophile d’Antioche, confessent, il est vrai, que Dieu n’est pas produit et qu’il est le père de l’univers… mais ils pensent que la matière n’est pas produite non plus. » Ad Autol., ii, 4, P. G., t. vi, col. 1052 AB. S’il en est ainsi, Dieu n’est pas le créateur de toutes choses et c’en est fait de la « monarchie », c’est-à-dire de l’unité de principe. Cf. pseudoJustin, Cohort. ad Grœcos, 22-2 4, P. G., t. vi, col. 284 A.

Saint Justin s’accommode plus facilement des formules de Platon, auquel il se réfère d’autant plus volontiers qu’en lui il croit entendre un écho de Moïse. A son tour, il répète : parce que Dieu est bon, d’une matière informe il a produit toutes choses pour les hommes. Apol., i, 10, 59, P. G., t. vi, col. 340, 415 (comparer le Timée, 51 a). Dans sa préface aux œuvres de Justin, part. II, c. ii, P. G., t. vi, col. 36-38, dom Maran essayait de corriger l’impression produite par ces textes, en invoquant la Cohortatio ad gentes, dont les idées sur la création sont différentes ; mais il est reconnu aujourd’hui que ce livre n’est pas de saint Justin. Voir art. Justin, t. viii, col. 2239. Sans doute, il serait exagéré de voir avec E. de Paye, en l’apologiste martyr, un platonicien strict, « plus dualiste que Platon lui-même ». Chez lui, pourtant, les réminiscences de Platon sont évidentes et, malgré les références à la sainte Écriture, elles voilent la doctrine de la création ; même lorsque Justin dit que Dieu était, avant que le monde fût, Apol., i, 59, 67, col. 158 D, 188 B il s’agit du x6<7y.oç, c’est-à-dire de l’univers ordonné, et cela Platon le disait aussi. Timée, 28 b.

2° Certains platonici, au contraire, et parmi eux Plotin, ont exposé la production du monde en des termes qui peuvent être rapprochés de l’enseignement de la Bible, car, pour lire dans les Ennéades que le monde a été produit « par émanation », il faudrait ne retenir que quelques métaphores et oublier une doctrine souvent et clairement exposée.

Selon cette doctrine, l’Un est le principe universel, « celui de qui tout participe » et que sa simplicité et sa perfection distinguent de tout le reste, la cause, « qui a engendré toutes choses, sans être aucune de ces choses ». III, viii, 9 ; VI, ix, 3 ; V, v, 13 ; VI, ix, 6. Tout provient de l’Un, mais par des degrés qui sont des intermédiaires ; d’abord l’Intelligence ; puis de l’Intelligence procède l’Ame et de l’Ame le monde sensible. Plus elle s'éloigne de l’Un, qui est sa source (voici des

images émanât istes), plus la lumière perd de son éclat ; l'être s’affaiblit, se disperse, s'éteint. Aux confins de cette dégradation, il n’y a plus que l’obscurité, et » l’Ame, voyant cette obscurité qu’elle a fait naître, lui donne une forme ; ainsi « elle s’engendre un lieu et par conséquent un corps. IV, iii, 9. Cette obscurité, ce « non-être ». au-dessous duquel il ne peut plus rien y avoir, est la matière, la matière sensible, il faut le noter, car il y a, dans le monde intelligible, une matière spirituelle, produite elle aussi mais immédiatement par l’Un ; il en sera question plus loin.

La matière dépend donc, comme le reste, de la cause universelle, c’est l’enseignement de l'école néoplatonicienne : Proclus essaiera de le rattacher à Platon. Philèbe, 23 c, mais en vain ; Platon était dualiste, et Philon aussi, malgré la Bible. C’est seulement chez quelques néopythagoriciens, et, parmi les platoniciens, chez Ludore, qu’on trouve dans la tradition hellénique la conception de l’Un ou de la divinité fondement à la fois des Idées et de la matière. Cf. Bàumker, Bas Problem der Malerie, p. 377, 395.

II. LE « COMMENT » DE LA CREATION. QUELQUES

principes NÊOPLATOSICIENS. — Si le néoplatonisme se rapproche de la doctrine chrétienne en enseignant que le monde a été créé, il s’en sépare nettement, quand il explique le « comment » de cette création, car il invoque alors plusieurs principes inconciliables avec le dogme.

Ces principes, que le néoplatonisme n’a pas inventés, mais qu’il a fondus dans son syncrétisme, peuvent se ramener aux trois suivants :

1. Quand un être est parfait, nécessairement il engendre ; c’est pourquoi Dieu produit le monde. Ce principe mettait en danger la liberté divine, et entraînait la création ab œterno.

2. Dieu produit le monde non pas directement, mais par intermédiaires ; et cela, en vertu d’un axiome qui a été connu du Moyen Age sous cette forme : Ex uno unum, la multiplicité ne peut pas sortir immédiatement de l’unité.

3. Dieu produit le monde par voie de contemplation ou d’illumination. Doctrine complexe, dont il est resté quelque chose chez plusieurs écrivains postérieurs.

1° Premier principe. Quand un être est parfait, nécessairement il engendre… comme le feu chauffe et la neige refroidit. — Si le démiurge a produit cet univers, disait Platon, c’est qu’il est bon et que rien ne saurait lui devenir un objet d’envie. Timée, 29 e. L’expression a été retenue, et beaucoup, dans l'Église comme hors de l'Église, ont répété : Dieu a créé le monde par pure bonté, car l’envie n’a point place en lui. Mais cette bonté, les héritiers de la pensée platonicienne ne l’entendaient pas tous de la même manière.

Les chrétiens y voyaient la bienveillance gratuite d’un Dieu qui se plaît à faire le bien, à créer du bonheur en dehors de lui, et qui, aimant les hommes, produit librement le monde pour eux. Justin, Apol., i, 10. P. G., t. vi, col. 340 C, 341 A ; Théophile d’Antioche, Ad Autol., i, 4, ibid., col. 1029 B.

Cette interprétation, dès le début, se heurta à l’opposition irréductible des philosophes païens, même platoniciens, qui trouvaient inacceptable que l’homme fût le centre du monde, qui surtout ne voulaient pas admettre en Dieu une connaissance, une fin, un but aimé, incompatible, pensaient-ils, avec la simplicité du premier Principe, et avec sa souveraine indépendance. Ceux-là ne pouvaient pas comprendre que Dieu, par « philanthropie », ait créé le monde, encore bien moins qu’il l’ait racheté. Ils auraient, au contraire, reconnu leur esprit dans ce philosophe arabe (chez qui beaucoup de platonisme est en effet mêlé au péripatétisme), qui déclarait que la dignité du prophète consiste, non pas en ce qu’il enseigne le