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PLATONISME DES CAPPADOCIENS


plusieurs formules dogmatiques. De ce côté, une intrusion de la philosophie est moins à craindre ou, si elle se produit, elle est vite reconnue pour ce qu’elle est. Zahn, Harnack, ont prétendu qu’une poussée de platonisme chez les l'ères de cette époque avait transformé la doctrine définie à Nicée. Voir ci-dessous, col. 2343. En fait, si leurs attaches platoniciennes se manifestent, c’est moins dans leurs études sur la Trinité que dans le vocabulaire, dans certaines explications de détail, surtout dans la description des divers états de l’homme, l'état d’innocence, la chute, la purification, la connaissance que l’on peut avoir de Dieu et les degrés de cette connaissance.

a) Saint Athanase. — Dans des œuvres de jeunesse, riches de réminiscences platoniciennes, le Contra génies et le De incarnatione, il résume ainsi l’histoire spirituelle de l’humanité.

a. — Selon le plan de Dieu, l’homme devait, « s'élevant au-dessus des choses sensibles et de toute imagination corporelle, s’attacher, par la puissance de son esprit, aux êtres divins et intelligibles qui sont dans le ciel », rà èv oùpavoîç Œtac xai vorjTâ. Cont. gentes, 2, P. G., t. xxv, col. 8 A. Adam vivait ainsi avec les saints dans la contemplation des intelligibles, sv ty) twv votjtcôv Oscopîa, col. 8B ; cf. ibicl., col., r) C : tûv ^vtcùv… 6e<opï)T7)v : col. 8 C, 9 B. C’est que l'âme pure est capable de contempler Dieu en elle-même, comme le Seigneur l’a dit : « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. »

b. — Mais la paresse, la lâcheté des hommes les a portés à se détourner « des intelligibles » (Athanase dit au même endroit qu’ils se sont détournés de l’Un et de l'Être, c’est-à-dire de Dieu), à se contempler euxmêmes et à se tourner vers les choses sensibles. Ibid., n. 3, col. 9 A ; cf. De incarn. Verbi, n. 4, 5, t. xxv, col. 104 A. Ce fut la chute.

c. — Cependant, de même qu’ils se sont détournés de Dieu, les hommes « peuvent remonter par l’intelligence de leur âme, tw vu ttjç '^u/^ç, et de nouveau revenir, imaTpé^M, à Dieu. Ils le peuvent, à condition de faire disparaître la souillure qu’ils ont contractée en désirant les choses sensibles, et de se laver, jusqu'à ce qu’ils aient enlevé tout ce qui s’est ajouté d'étranger à l'âme, ëcoç âv àTioOwvTXi tîôcv to au[x6s6y)xoç àXXÔTpiov xy) tyuxflvlors, redevenue seule, [16rq, cette âme, faite à l’image de Dieu, voit en elle-même comme dans un miroir le Logos, image du Père, et dans le Logos elle connaît le Père, ibid., 34, col. (58 C ; ou bien, si elle n’y arrive point, parce que son intelligence est encore trouble, elle peut du moins des choses sensibles s'élever à la connaissance du Créateur. Col. 09 A.

Rien ici, sans doute, qui rappelle le roman de la préexistence ; les idées sont chrétiennes ; le saint évêque d’Alexandrie s'étend avec complaisance sur le rôle du Christ et de la grâce dans le retour des âmes à Dieu. De incarn. Verbi, 3, 9, col. 101 B, 112… Et. cependant, pour parler du ciel, du péché, de la conversion, de l’union, il emploie le langage d’un platonicien : les choses sensibles opposées aux « choses divines et intelligibles », < l’intelligence de l'âme » capable de s'élever jusqu'à « la contemplation des intelligibles », les éléments étrangers qui s’ajoutent et s’attachent à l'âme quand elle se tourne vers la matière, la « conversion » consistant à « retrancher > ces ajoutes et à se retourner vers Dieu.

b) Les cappadociens. — Le même cycle d’idées et les mêmes expressions se retrouvent chez eux. La philosophie platonicienne ne se donnait pas pour but d’expliquer et de comprendre les choses de ce monde : elle en détournait au contraire l’attention pour la concentrer sur les réalités de l’au-delà et sur les moyens d’y parvenir. C’est là qu’il faut chercher le secret de son influence la plus durable sur les penseurs chrétiens.

a. La séparation des choses sensibles et du corps. Platon, à ce que l’on dit, choisit tout exprès un lieu malsain de l’Attique pour y établir son école, parce qu’il prévoyait que le corps s’y trouverait mal : il voulait supprimer le bien-être matériel, comme on émonde dans la vigne la végétation superflue. Saint Basile raconte ce fait édifiant et conclut : Qui ne veut pas s’enfoncer dans la fange des voluptés doit mépriser tout à fait le corps ou du moins le contrarier, dans la mesure où il veut être philosophe. Platon est ici d’accord avec Paul (Rom., xiii, 14) qui recommande d'éviter, en soignant la chair, de donner matière aux mauvais désirs. Serm., xix, 2, P. G., t. xxxii. col. 1348 D ; cf. S. Grégoire de Nazianze, Orat., xxi. 2. t. xxxv, col. 1081 B C ; S. Grégoire de Nysse, De virginitate, 23, t. xi.vi, col. 400, 407.

b. La contemplation. Cette séparation est en rapport étroit avec la contemplation. S. Basile, De Spiritu Sancto, ix, 23, t. xxxii, col. 109 AB ; S. Grégoire de Nazianze, Oral., xxviii, 3, t. xxxvi, col. 29 ; xx, 1, t. xxxv, col. 1065 ; S. Grégoire de Nysse, De beatitudinibas, orat. vi, t. xi.iv, col. 1272 A B.

L'âme purifiée voit Dieu : le thème n’est pas spécifiquement platonicien ; il fait même le sujet d’une béatitude que les Pères ne manquent pas de citer à cette occasion ; mais ce qui est platonicien, c’est, avec le vocabulaire, la manière dont, parfois du moins, ils décrivent la faute et la purification. Il faudra revenir sur ce point, qui est d’importance. Voici quelques textes : « L’union de l’Esprit avec l'âme, dit Basile, n’est pas un rapprochement local, — comment pourrait-on se rapprocher corporellement de ce qui n’a pas de corps ? — mais la séparation des passions, ô /copt.au.o ; tcôv ttocOcov, qui sont survenues à l'âme par le fait de l’amour de la chair, ànb rf]ç npôç tyjv aàpxa <?CaI<x(jarepov E7TtYi.v61J.eva xf) '{"J'/fiQ ue l'âme se purifie de cette laideur dont le vice l’a souillée, qu’elle retourne à sa beauté originelle et que, par la pureté, elle rende sa forme ancienne à ce qui est en elle comme l’image du roi, c’est le seul moyen de s’approcher du Paraclet. Et lui, comme le soleil, pénétrant cet œil purifié, te montrera en lui-même l’image de l’invisible… » De Spir. Sancto, ix, 23, t. xxxii, col. 109 A B.

Et Grégoire de Nysse, De bealitud., orat. vi, t. xliv, col. 1272 AB : Dieu, en créant l’homme, avait imprimé en lui une image des perfections de sa propre nature. Mais le péché, en se répandant sur le divin caractère, a rendu inutile à l’homme le bien que cachaient désormais ces voiles honteux, >jTroxexpu}i.(i.svov xoïç aîtr/poî : 7TpoxaX’jpL ! J.a(Tt. « Mais si tu laves, si tu effaces la souillure qui s’est attachée à ton cœur, tÔv ÈTtiTrXacÔsvT-L ty) xapSîa p’jttov, la beauté divine resplendira de nouveau en toi. » La comparaison avec la rouille qui s’attache au fer et le gâte, achève de donner une couleur néoplatonicienne à cette description, dont tous les traits ont été relevés déjà chez Athanase. Comparer Ennêades, I, vi, 7-9 ; V, 1, 10 ; IV, viii, 1. Voir aussi plus loin, IIe part., v, 2, La purification, col. 2375.

H. Pinault retrouve encore l’influence de la philosophie platonicienne sur Grégoire de Nazianze dans la défaveur excessive qui, chez lui, s’attache à la connaissance sensible, Le platonisme de saint Grégoire de Nazianze, p. 50, dans la doctrine de l’illumination, p. 52, dans les formules de la théologie négative, p. 9(i. Les mêmes remarques valent pour les autres docteurs cappadociens ; cf. saint Basile, Adv. Eunomium, 12-15 ; t. xxix, col. 540 sq. ; Epist., ccxxxv, 3, t. xxxii, col. 873 C : saint Grégoire de Nysse, Cont. Eunomium, t. III, t. xlv, col. 597 ; t. XII, col. 932-936. Il faudra relever aussi plus loin des traces d’idéalisme platonicien dans leurs spéculations sur le dogme trinitaire.

Platon avait transposé les données mystiques des