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PLATONISME. ATTITUDE DES PÈRES


l’histoire de ces controverses, H. Stein, Der Slreit iiber den angeblichen Platonismus der Kirchenvâter,

dans Zeitschrijt fur historische Philosophie, 1864.

3° Les histoires des dogmes. Les abus de ta méthode comparative. — 1. Au xix p siècle, la thèse prend toute son extension. Il ne s’agit plus seulement de quelques cérémonies, ou de l’un ou l’autre dogme en particulier, ou d’une influence que l’on reconnaît avec bonne grâce, car on croit reprendre son bien ; c’est le christianisme dans son ensemble qui, maintenant, est en jeu. et qu’on présente comme le résultat d’une évolution où il perd son caractère surnaturel et son originalité transcendante.

Cette évolution, même dans l'école qui l’attribue à l’influence de l’hellénisme, n’est pas comprise par tous de la même manière. Pour les uns, le christianisme a subi l’influence de la pensée et de la civilisation grecques à une telle profondeur qu’il a laissé corrompre ses croyances originelles aussi bien que ses rites. Le nom est resté, mais la chose n’est plus la même. Pour les autres, le christianisme, en s’hellénisant, n’a fait que suivre la ligne de son développement normal ; c’est une évolution et non pas une déformation. Mais, des deux côtés, le résultat est le même. On dénonce ou l’on reconnaît l’hellénisation radicale du christianisme primitif.

2. Ce fut un dur combat, nous dit Harnack, que celui qui marqua les débuts de la pensée chrétienne, quand elle essaya de s’organiser au cours du IIe siècle, un combat qui mit aux prises les théologiens hellénisants d’une part et, d’autre part, les chrétiens laïques non instruits ou les théologiens conservateurs, qui ne consentaient pas à recevoir une sagesse étrangère.

Le combat dura plus d’un siècle, en certains endroits plus de deux. Lorsqu'à la fin du iiie fut définitivement admise la christologie du Logos, ce fut aussi dans la théologie la victoire décisive de la philosophie. Mais, en même temps, le Christ de l’histoire se retirait devant un Christ imaginaire, et le monothéisme lui-même sortait de la lutte affaibli. Car avec le Logos préexistant, c'était les intermédiaires qui faisaient leur entrée dans le christianisme ecclésiastique. La Trinité d’hypostases est un commencement de multiplication au sein de la divinité ; le même mouvement continuera : les démons, les anges, sont autant de rayonnements de la Lumière et de l’Unité qui rapprochent l’homme du Principe de toute perfection, mais qui, par contre, de ce Principe humilient la transcendance.

Plus tard, à partir du ive siècle, l’influence du néoplatonisme s’exercera, plus pénétrante encore, sur la conduite de la vie, les règles morales, la pratique des vertus, l’ascèse et la contemplation béatifiante qu’elle prépare. « Ici le néoplatonisme peut célébrer son plus éclatant triomphe. » Il a introduit dans la piété de l'Église toute sa mystique, et dans le culte la magie, selon l’esprit de Jamblique ; cette influence dure encore.

La théologie catholique, en fin de compte, l’emporte ; mais, comme ce ne fut qu’après s'être approprié à peu près tout ce que possédait le néoplatonisme, on peut dire que ce dernier survécut à sa ruine, étant arrivé à s’imposer à son vainqueur même. Cf. Harnack, Dogmengeschichte, 4e édit., 1909-1910, t. i, p. 142, 254, 342 sq., 549, 704, 738 sq., 808-82(5 ; t. ii, p. 156, 267, 451 sq., 497 sq. ; t. iii, p. 4, 32 sq., 130 sq., 360 sq., 437, 513.

Charles Langlois parle plus durement encore de la « métaphysique grecque incorporée dans la substance des dogmes », d’ailleurs, sans l’esprit vivifiant de la Grèce antique. Questions d’histoire et d’enseignement, Paris, 1902, p. 74, 75. Beaucoup se contentent de répéter ces jugements sommaires.

3. En dépit d’une érudition souvent impression nante, la méthode comparative tombe au xx r siècle dans les mêmes erreurs qu’au ir' et au ni. Avec la même rapidité déconcertante, elle conclut d’une ressemblance à un emprunt et, quand les ressemblances se font nombreuses, nie toute originalité.

Et pourtant, que de questions il faudrait se poser au sujet de ces ressemblances ! Trahissent-elles de véritables emprunts, ou bien procèdent-elles d’une tendance de la nature, partout la même ? S’il y a dépendance, est-elle superficielle, de pure terminologie, ou profonde et doctrinale ? Dans ce dernier cas, les idées empruntées ne reçoivent-elles pas, de la synthèse différente où elles sont intégrées, une âme nouvelle qui les transforme foncièrement ? Car analogie n’est pas dépendance, et la dépendance même ne supprime pas nécessairement l’originalité. Beaucoup plus que des agents extérieurs, dans la genèse d’une doctrine ou d’un culte, il faut tenir compte du dynamisme intérieur des forces spirituelles. Méconnaître ces énergies cachées, c’est s’exposer à regarder comme entièrement nouveau ce qui était préformé et comme importé ce qui n’est qu’un épanouissement. Que valent les conclusions, quand la méthode est appliquée de façon si indiscrète ? Sur la méthode comparative, consulter Pinard de La Boullaye, L'étude comparée des religions, 3° éd., 1929.

II. QUELLE FUT EN RÉALITÉ L’ATTITUDE DES ÉCRIVAINS CHRÉTIENS A L'ÉGARD DU PLATONISME ? —

Caractère complexe de celle attitude.

1. On pourrait,

en choisissant les textes, donner l’impression que cette attitude fut toute d’abstention malveillante. « Qu’y a-t-il de commun entre l’Académie et l'Église ? clame Tertullien. Tant pis pour ceux qui ont inventé un christianisme stoïcien, platonicien, dialecticien ! Pour nous, nous n’avons pas besoin de curiosité après Jésus-Christ. » De præscript., 7, P. L., t. ii, col. 23 B ; cf. Apol., 46 et 47. Et Tatien ricane : « Les philosophes ont la langue bien pendue, mais leurs pensées sont absurdes. » Orat. adv. Grœcos, 14, P. G., t. vi, col. 836 B. Cf. col. 812 B.

C’est de la partialité ; mais il y a des jugements sévères non seulement chez ces adversaires chagrins de toute spéculation, mais sous la plume de Théophile, l'évêque d’Antioche, de Justin, « le Philosophe », et d’Athénagore, de Clément d’Alexandrie et d’Origène. « Platon, qui passe pour le plus sage des Grecs, en quelles sottises ne s’est-il pas égaré ! » dit Théophile. Ad Autol., iii, 16, ibid., col. 1144 A, et il rappelle les honteuses doctrines morales dont certains philosophes et Platon lui-même se sont faits les théoriciens. Cf. Athénagore, Legatio, 7, ibid., col. 904 B ; Hermias, Irrisio, ibid., col. 1169… ; cf. Baltus, Dé/ense des SS. Pères…, t. II, p. 96-241 ; J. Denis, De la philosophie d’Origène, p. 18-26, qui exagère l’hostilité du grand alexandrin à l'égard de la philosophie.

2. En ne retenant que ces textes et d’autres de même ton, on se tromperait gravement. Mais c’est une erreur aussi de présenter tous ces écrivains comme des philosophes avant tout soucieux d’helléniser la foi qu’ils ont embrassée. En vérité, leur état d'âme est complexe, fait d’hostilité souvent affichée et d’admiration pourtant transparente pour une sagesse qu’ils dénigrent et qu’ils envient. Comment ne considéreraient-ils pas comme un ennemi cet hellénisme qui détourne de la voie du salut et qui les ménage si peu ? Et, cependant, devant lui, ils ont le sentiment douloureux d’une infériorité, et ce sentiment durera jusqu'à la fin du iiie siècle ; ils supportent impatiemment les mépris des Creseent et des Celse contre une religion vulgaire et de petites gens, et brûlent du désir de s’approprier, comme autrefois les Juifs sortant d’Egypte, une richesse où ils reconnaissent leur patrimoine.