Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.2.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


DICTIONNAIRE

DE

THÉOLOGIE CATHOLIQUE

Séparateur

P

(suite)



PHILOSOPHIE.
I. Qu’est-ce que la philosophie ?
II. Philosophie et religion (col. 1479).

I. Qu’est-ce que la philosophie ?
1° Les disciplines philosophiques.
2° Leurs caractères généraux.
3° Objet et division de a philosophie.
4° Méthode.
5° Philosophie et intellectualisme.
6° Philosophie chrétienne et science.

I. LES DISCIPLINES PHILOSOPHIQUES.

Les anciens, les hommes du Moyen Age, même les penseurs modernes du xviie siècle mettaient, sous le mot « philosophie », des idées assez semblables. Pour eux, la philosophie était un savoir qui donnerait les explications fondamentales, qui pénétrerait le plus profondément dans le réel qui engloberait toutes choses dans une unité systématique. Les positivistes du xixe siècle se sont gaussés de ces prétentions ; ils ont pris un malin plaisir à raconter l’histoire de tous ces domaines de la pensée qui, considérés autrefois comme appartenant à la philosophie, sont devenus des sciences autonomes. Toutes les sciences, quelles qu’elles soient, disaient-ils, sont des provinces de la philosophie qui ont acquis l’indépendance : ainsi la psychologie, qui, du temps de Cousin, était encore une espèce de métaphysique, est aujourd’hui une science positive de laboratoire, d’observation, de statistiques. La philosophie ne subsiste que dans le domaine encore inexploré où les savants n’ont pas encore établi des limites et tracé des routes ; son existence n’est due qu’à notre ignorance ; quand toutes les sciences seront constituées, il ne restera plus rien pour la philosophie. Ou plutôt, la philosophie se bornera à la tâche qui aurait toujours dû être la sienne : décrire les méthodes générales des sciences, rassembler les résultats les plus généraux des sciences et ce qu’on pourrait appeler les « lois encyclopédiques », c’est-à-dire celles qui s’appliquent dans plusieurs sciences et se particularisent en lois subordonnées.

Ces réclamations positivistes, allant à supprimer la philosophie, si elles ont eu leur heure de fortune, paraissent aujourd’hui bien surannées. Un spectacle tout opposé se présente : il n’y a jamais eu autant d’études qui, à tort ou à raison, aient paru être philosophiques, ou qui aient expressément revendiqué d’appartenir à la philosophie. II est vrai que, devant cette multitude de choses disparates qu’on traite de philosophiques, les positivistes auraient beau jeu pour dire qu’elles n’ont aucun rapport entre elles et qu’elles ne forment pas une unité, et que, par conséquent, la philosophie n’existe pas.

Au premier abord, en effet, les disciplines jugées philosophiques sont aujourd’hui une multitude aussi riche que chaotique. Si nous essayons, très grossièrement, de la classer, nous aurons :

Des systèmes d’explication globale de l’univers ou de l’esprit, mais qui n’ont, les uns avec les autres, absolument rien de commun, ni comme objet, ni comme but, ni comme méthode. Ainsi, on enseigne aujourd’hui dans les facultés, on commente dans des livres les systèmes de Platon, de Kant, d’Auguste Comte. Ces systèmes sont encore vivants, en ce sens que leurs sources d’inspiration profonde agit sur toute la pensée de certains de nos contemporains. Or, entre ces systèmes, rien de commun. Platon prend pour objet la suprême réalité, les idées, qui est inaccessible, selon Kant. Kant cherche à connaître la structure formelle de la pensée, ce qui n’a aucune signification selon Auguste Comte. Ce dernier assigne à la philosophie la tâche de noter les procédés matériellement employés par les sciences, ce qui, pour Platon ou Kant, n’a pas de rapport avec la philosophie. L’opposition est aussi radicale entre les méthodes et les buts des systèmes de Platon, de Kant, de Comte. Nous en pourrions dire autant pour combien d’autres systèmes plus récents.

On considère aussi, comme philosophiques, certaines disciplines qui, pour un motif ou pour un autre, dépassent absolument les procédés ou les buts des sciences usuelles. — Ainsi, toute l’Italie vénère aujourd’hui, comme une œuvre philosophique de premier rang, la Scienza nuova de Vico ; or, la Scienza nuova traite des grandes forces qui mènent les peuples jeunes, de la transformation de ces forces provoquant une maturité et une vieillesse des sociétés, d’un retour régulier des situations historiques. Vico est un Napolitain du xviiie siècle dont la pensée est ressuscitée. Mais la géométrie de David Hilbert, qui est notre contemporain, est tenue pour philosophique, en sa tentative d’établir exactement les principes nécessaires et suffisants pour bâtir une géométrie.