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    1. PHILON LE JUIF##


PHILON LE JUIF. INFLUENCE

l’i.V

est une abstraction. Le Verbe de saint Jean a habité au milieu des hommes, plein de grâce et de vérité.

Reste, il est vrai, le mot lui-même, à défaut de l’idée. « Qu’était-ce que le Logos pour l’intelligence hellénique ? écrivait naguère le P. Kousselot. C’était assurément, pour certains, un être intermédiaire entre le monde et Dieu ; pour d’autres, c’était la raison divine répandue par le monde, distinguant les êtres et les organisant ; mais c’était encore bien autre chose, et le mot n’en était arrivé là qu’avec une foule d’associations qu’il entraînait avec lui et qui l’accompagnaient encore. Tout ce qu’il y a de sérieux, de raisonnable et de beau, de réglé, de convenable et de légitime, de musical et d’harmonieux, se groupait, pour l’esprit grec, autour du Logos. Pour s’en former une idée un tant soit peu approchée, qu’on pense à tout ce que les hommes du xvin siècle mettaient dans le mot raison : affranchissement, sagesse, vertu, progrès, lumière ; à tout ce qu’inspirait, il y a quelque cinquante ans, le mot science, à tout ce qu’inspire aujourd’hui le mot vie. De pareils mots résument l’idéal d’une époque… » J. Huby. C.hristus, Paris, 1912, p. 7-10.

On a peine à se défendre de l’éloquence qui circule à travers cette page admirable. Il le faut pourtant. Car, après tout, nous ne sommes pas certains que le mot de verbe ait eu, chez les Grecs du i er siècle, une telle influence. Ce mot était d’usage courant dans le vocabulaire de la philosophie, et les stoïciens, en particulier, l’employaient souvent : voilà à peu près tout ce que nous en savons. Lorsque saint Jean parle du Verbe, il ne se croit pas obligé de définir le sens général du terme : il n’écrit cependant pas pour des savants et pour des philosophes : il s’adresse aux chrétiens des Églises d’Asie, qui n’ont assurément pas lu Philon, ce qui n’empêche pas qu’il est certain d’être conquis. L’aurait-il été si le mot de Verbe, de parole, n’avait pas été. de soi, le plus apte à traduire les mystérieuses relations qui unissent, entre eux le l’ère et le Fils ? « Jean a dit ce que la réflexion des siècles chrétiens a reconnu comme ce que l’on pouvait dire de plus approchant de la vérité. Le Fils d’un être spirituel, d’une pure intelligence, c’esl sa pensée, que l’Écriture nom mait sa parole : une parole qui est distincte de lui et qui, cependant, est en lui. Si c’est là une conception très haute, elle n’appartient pas à une philosophie spéciale : elle est en contact avec notre nature ; elle découle de la révélation, qui domine tout, par le dogme qu’elle impose de n’adorer qu’un seul I)ieu. g M. J. Lagrange, L’Évangile selon saint Jean. Paris, 1925,

p. CI XXXI.

Des remarques analogues pourraient être faites au sujet de l’epitrc aux Hébreux, dans laquelle plusieurs Critiques ont cru également découvrir des traces d’um influence philonienne. Il est vrai que Philon a appelé le erbe le lils premier-né de Dieu, qu’il a fait de lui

le chef des anges, qu’il l’a désigné comme l’empreinte du cachet de Dieu, qu’il l’a comparé au grand prêtre et qu’il a montré dans Melchisédecfl la figure du Verbe prêtre. Mais toutes ces idées et huiles ces expressions (Onl éparses dans l’œuvre de Philon el, nulle part, elles ne se groupent de manière a donner une doctrine culie renie. 1. Y-pitre aux Hébreux, au contraire, est un remarquable essai de systématisation, dont le centre n’esi pas un Logos impersonnel et amenuisé par la spéculation métaphysique, mais est le 1 ils unique de Dieu, par qui Dieu a aussi créé les siècles. Visiblement, l’auteur de l’épttre s’inspire de l’Écriture <-i aussi des

données propres de la révélation chrét ienne. On ne sainaît penser qu’il a eu besoin de lire les enivres de

Philon, pour emprunter, de droite ci de gauche,

les éléments de sa s ni bi

s apologi Si. en quittant les ailleurs

inspirés du Nouveau Testament, nous poursuivons

notre enquête chez les apologistes, voici ce que nous y trouvons.

Saint Justin enseigne, comme Philon, que Dieu est transcendant : il a trouvé cette idée dans le platonisme : mais il l’a trouvée tout aussi bien dans la tradition juive. Il conclut de là qu’on ne peut entendre au sens littéral les anthropomorphismes de la Bible et. sur ce point encore, il est en plein accord avec Philon. Seulement, le désaccord commence lorsqu’il s’agit d’interpréter tes anthropomorphismes et spécialement d’expliquer les manifestations de Dieu aux patriarches. Or. ce point est essentiel. Justin, on le sait, interprète les théophanies de l’Ancien Testament comme des apparitions du Verbe. L’ineffable Père et Seigneur de toutes choses ne va nulle part, ni ne se promène, ni ne dort, ni ne se lève. Dial., cxxvii, 1-2. Aussi envoie-t-il son Verbe pour parler aux hommes. « N’avez-vous pas conquis, amis, écrit par exemple l’apologiste en commentant la destruction de Sodonie et de Gomorrhe, que l’un des trois, lui qui est Dieu et Seigneur et qui sert celui qui est dans les cieux, est le Seigneur des deux anges ? Car, quand ceux-ci sont partis peur Sodome, lui reste près d’Abraham et lui adresse les paroles que.Moïse a rapportées : et, quand il part après cet entretien, Abraham s’en retourne chez lui. Quand il arrive à Sodome, ce ne sont plus deux anges qui s’entretiennent avec Lot, mais lui, comme l’indique le texte ; et il est Seigneur et, du Seigneur qui est dans le ciel, c’est-à-dire de l’auteur de l’univers, il revoit la charge de répandre sur Sodome etGomorihe ce qu’énumère le texte, en disant : le Seigneur fil pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu. d’auprès du Seigneur, du haut du ciel. » Dial., lvi, 22 sq.

Il s’agit, on le voit, d’un fait réel. Le Verbe apparaît véritablement à Abraham et à Lot. Il est envoyé l’aile Père pour exécuter ses ordres. Philon explique quelque part le même texte, mais il n’y voit plus qu’une allégorie : « L’Écriture appelle encore soleil le Logos divin, qui est, comme on l’a dit plus haut, l’exemplaire fie cet astre qui parcourt l’espace au-dessous du ciel : elle dit en parlant de lui : Le soleil se fit voir sur la terre, et Pot entra à Ségor, et le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du soufre et du feu. Car le Logos de Dieu, lorsqu’il atteint le composé terrestre que nous sommes, donne aux hommes vertueux un refuge et le salut, et envoie aux méchants la mort et la ruine irréparable, i De somniis, i, ISâ sq. Ici encore, il est question du Logos ; seulement le Logos est figuré par le soleil, et nous n’avons rien de plus qu’un symbole.

On pourrait citer bien d’autres cas. et la conclusion serait la même. Non seulement le Logos dont parle saiiil Justin a une personnalité fortement accentuée. tandis que le Logos philonlen est quelque chose de flou el d’inconsistant ; mais encore i Philon voit dans ces apparitions divines le symbole des progrès de l’âme, qui, d’abord, ne connaît Dieu que par ses reflets, par ses (i livres et qui, peu a peu. s’élève à la contempla lion immédiate de la divinité ; Justin y trouve la mani festalion de ce Verbe de Dieu, dont il cherche partout la trace. Le juif alexandrin n’est soucieux que de

psychologie religieuse ; l’apologiste n’a en vue que la

démonstration du christianisme. J. 1, ebreton. Les origines du dogme de la Trinité, I. II, P- 671.

Justin connaît forl bien les juifs : tout le Dialogue

en est la preuve : mais les juifs qu’il a fréquentes, ceux qu’il réfute, ce son ! les juifs palestiniens, et non les alexandrins. Il ne doit rien a Philon. el ce serait aei 01

dei trop d’Importance a quelques rencontres verbales « pie de supposer une inllucnec de Philon sur lui.

I.a même conclusion, semble t-il. ressorlirail de l’étude « les Pères apologistes. Mais d’aulres qu’eux

devaient connaître <-i utiliser Philon. il <-si peut rire