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PHILON LE JUIF. DOCTRINE


Logos très vénérable de l’Être revêt comme vêtement le monde ; car il se couvre de la terre et de l’eau et de l’air et du feu et de tout ce qui en vient… Il ne doit jamais enlever sa mitre, c’est-à-dire qu’il ne doit jamais déposer son diadème royal, symbole d’une puissance non pas souveraine, mais subordonnée et d’ailleurs admirable ; il ne doit pas déchirer ses vêtements, car il est… le lien de l’univers et il en maintient toutes les parties, et il les conserve en les empêchant de se dissoudre et de se disjoindre. » De fuga, i, 109-118.

Arrêtons-nous à ces dernières formules, dans lesquelles on retrouve tout de suite l’inspiration stoïcienne. Nous avons déjà vu que, pour Philon, les puissances sont le lien infrangible du monde. Ici, ce même rôle est dévolu au Logos. C’est que, en même temps qu’il est juif, Philon est Grec, et il ne cesse pas d’emprunter à la philosophie grecque les éléments d’interprétation, grâce auxquels il mettra la Bible à la portée de tous les esprits. On peut bien retrouver chez lui les exégèses familières à la spéculation judaïque touchant le lieu, le nom, la demeure, le rocher, la gloire, etc. L’hellénisme transforme ces exégèses, au point de les rendre parfois méconnaissables.

Il ne faut pas croire d’ailleurs que Philon s’arrête à une doctrine parfaitement cohérente, car le platonisme s’allie en sa pensée au stoïcisme, et le philosophe se soucie assez peu de faire l’accord entre les deux théories. Voici pour le stoïcisme : le Logos est d’abord le soulien et le lien du monde : n Nul élément matériel n’est

issiz fort pour porter le monde, mais le Logos éternel

du Dieu étemel est le soutien très ferme et très solide, de l’univers. C’est lui qui, tendu du centre aux extrémités et des extrémités au centre, dirige la course infaillible de la nature, maintenant et reliant fortement entre elles toutes les parties car le père qui l’a engendré en a fait le lien infrangible de l’univers. » De. plant. Noe, 8-9 ; cf. Quæst in Exod., ii, 90 ; De fuga, i, 112 ; Quis rer. divin hrrrs. 217.

Le Logos est encore la loi du monde et son destin : ’.'est un chœur circulaire, mené par le Logos divin, que la plupart des hommes appellent fortune ; il entraîne dans sa course cités, nations et pays, donnant aux uns le bien des autres et à tous le bien de tous, changeant tout par périodes, afin que l’univers entier. comme une seule cité, jouisse du meilleur des gouvernements, de la démocratie. » Qund Drus sil immul., 17(1. Cette cité universelle a sa constitution et ses lois, qui sont également le Logos : « Puisque toute cité bien gouvernée a une. constitution, il était nécessaire que le citoyen du monde fut régi par la constitution du monde ; or, c’est la droite raison de la nature…, loi divine par laquelle est assigné à chacun ce qui lui convient et ce qui lui est propre, n De opif. mundi, 143. El voici maintenant pour le platonisme. Le Logos esl l’exemplaire, le modèle. le type d’après lequel Dieu a créé le monde ; il est le monde Intelligible : Si quel qu’un veut employer les mots les plus simples, il dira que le monde intelligible n’est autre que le Logos de Dieu construisant le monde, car la ville Intelligible n’est rien autre que la raison de l’archil ecle projetai !  ! de fonder la ville. Cette doctrine est celle de Moïse. non la mienne, car. racontant la formation de l’homme,

il dit nettement qu’il a été fail à l’image de Dieu ; or.

si la partie (l’homme) est l’image d’une image, et si la Forme entière, C’esl.i dire tOUl cel univers sensible….

esi la ressemblance de l’image divine, il est évident que eau archétype que nous disons être le monde Intel liglble sera le Logos diin. Dr opif, mundi. 24, 25 ; cf. Dr mulot, nom., 135 ; De fuga, 12. En particulier, li / igo$es le modèle de l’homme ; et rien n’est plus

sacré que l’homme, ni plus semblable a Dieu, puisqu’il

e^i l’empreinte excellente d’une image excellente, étant formé sur le modèle de l’archétype Idéal. De

spécial, leg., iii, 83, 207 ; De plant. Noe, 18 ; De opif. mundi, 69, 139, 146 ; De exécrât., 163.

Le Logos est aussi le diviseur, le coupeur : son action est comme celle d’une lame aiguë qui pénètre dans la matière amorphe et y distingue les propriétés des êtres : « Quand il a traversé tous les êtres matériels jusqu’aux atomes, jusqu’aux éléments que nous appelons indivisibles, il recommence à diviser ces éléments, que la raison seule peut saisir, en parties d’un nombre indicible et infini… Il divise ainsi l’âme en rationnelle et irrationnelle, le discours en vrai et faux, a Quis rer. divin, hrres, 130-140.

On a beaucoup discuté sur l’origine de cette doctrine du Logos diviseur. Philon lui-même la rattache à Heraclite, mais on y retrouve sans peine bien des formules qui rappellent les spéculations stoïciennes, et le P. J. Lebreton, de son côté, écrit : « Il me semble que la dialectique platonicienne a, elle aussi, joué un grand rôle dans cette conception ; ce qu’on y retrouve, c’est, avant tout, le problème de l’unité dans la multiplicité, que Platon avait tant de fois discuté, et la solution que Philon lui donne est, au fond, une solution platonicienne : c’est l’idée qui pénètre le monde, spécifie les éléments matériels, les distingue par suite et les oppose les uns aux autres. » Op. cit., p. 229.

Les analyses qui précèdent nous permettent de saisir toute la complexité de la notion du Logos dans les œuvres de Philon. Est-il possible maintenant de ramener cette complexité à l’unité ? et quelle idée d’ensemble doit-on se faire du Logos de Philon ?

Ainsi posée, la question n’est peut-être pas susceptible de recevoir une solution : Philon n’a nulle part formulé son système en termes définitifs ; la forme de commentaires qu’il donne à la plupart de ses ouvrages le contraint, en quelque sorte, à multiplier les explications, à varier les points de vue et l’empêche de synthétiser sa doctrine. Il est à remarquer d’ailleurs que son esprit ondoyant et subtil s’accommodait fort bien de ces aspects multiples : comment proposer de la vérité une formule unique, alors que tout est complexe ?

Sans doute, l’aspect fondamental du Logos est-il celui d’un intermédiaire. Entre Dieu transcendant et le monde créé, il est le nécessaire échelon. Mais la notion d’intermédiaire elle-même appelle des explications : le Logos est-il Dieu ? Il faut ici répondre négativement. Pour Philon, le Logos peut être divin, il n’est pas Dieu : » La Loi veut qu’il soit d’une nature plus qu’humaine il s’agit dans ce commentaire du grand prêtre et du Logos dont le grand prêtre est l’image s’approchant plus près de la nature divine, ou, pour parler exactement, mitoyen entre les deux natures, afin que, par un intermédiaire, les hommes puissent Qéchir Dieu et que Dieu donne ses grâces aux hommes, en se servant pour cela d’un subalterne. De spécial, leg.. i. 1 Pi.

Que si. parfois, Philon donne pourtant le nom de Dieu au Logos, il ne faut pas se laisser abuser pal’ce terme : il précise très clairement qu’on ne doit entendrepar là qu’un être divin, Œéç, sans article, par oppo silion a ô 0e6ç, De somn., i. 228-230, le second Dieu. Se’JTEpoç de’, / ; et non le Dieu suprême, Quæst. in Gènes., n. 62, cité par Eusèbe, Præpar, evang., vii, 13. L’exégète doil expliquer la Bible, dans laquelle il trouve, ici ou là. un emploi catachréstique du nom

divin : le philosophe n’hésite pas à proclamer la dans cendance Incommunicable de Dieu.

Plus Importante a résoudre sérail d’ailleurs cette

autre question : le Logos est il une personne ? l’.st-il

distinct réellement de Dieu, ou n’est il qu’une ton.

divine ? Les exégèles de Philon se montrent ici 1res divisés, et nous n’en sommes pas surpris, après Ie que nous venons de dire. Les uns. comme Doinei. Dnim