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PERFECTION CHRÉTIENNE. POSSIBILITÉ

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reste, les différentes espèces de perfections reconnues par saint Thomas l’ont été précisément à l’occasion de cette question sur laquelle il est revenu plusieurs fois. A ce propos, qu’on nous permette de signaler une curiosité assez piquante : dans la Somme théologique, q. xxiv, a. 8, et q. clxxxiv, a. 2, les objections qui précèdent la thèse tendent à prouver que la perfection n’est pas possible ici-bas, les Sed contra eï la thèse sont doue orientés dans le sens de l’affirmative ; dans la q. xi. iv, a. (i, et surtout dans la Quæst. disp. de carilate, a. 10, c’est le contraire : les objections précédent es deviennent des Sed contra et vice versa, et la thèse est orientée dans le sens de la négative ; mais, chose plus curieuse, dans le De caritate, la réponse aux objections est suivie de la réponse aux Sed contra, c’est-à-dire aux raisons apportées en faveur de la thèse !

L’antinomie.

C’est que saint Thomas se trouvait

en présence de textes de l’Écriture et de la tradition qui pouvaient appuyer l’une ou l’autre thèse.

L’Écriture affirme que nul homme ici-bas ne peut éviter le péché : I Joa., i, 8 : Si dixerimus, quoniam peccalum non habemus, ipsi nos seducimus ; Jac, iii, 2 : In mullis ojfendimus omnes ; donc personne ne peut être parfait ici-bas ; c’est la deuxième objection à la thèse affirmative dans la q. xxiv, a. 8, et dans la q. clxxxiv, a. 2 ; c’est, au contraire, la première raison apportée en preuve de la thèse négative dans le De caritate.

Saint Paul oppose quod perfectum est à quod ex parle esl comme ce qui est de l’éternité à ce qui est du temps présent : Cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parle est, I Cor., xiii, 10 ; Non quod jam acceperim, aut jam perfectus sim, Phil., iii, 12 ; et son autorité est invoquée en faveur de la thèse négative dans la q. clxxxiv, a. 2, obj. 1, et dans le De perf., c. iv. — Un texte du De perfeclione justitiæ de saint Augustin revient souvent à la mémoire de saint Thomas lorsqu’il traite de la perfection : In Ma plenitudine caritatis quæ erit in patria, carilalis præceptum illud implebitur : Ditiges Dominum Deum luum ex loto corde luo… Cur ergo non præciperetur homini ista perjectio, quamvis eam in hac vita non habeat ? Non enim recle curritur, si quo currendum est nesciatur. Quomodo autem scirctur si nullis præceptis ostenderetur ? Cf. Cont. retrah., c. vi ; q. clxxxiv, a. 3, corp. et ad 2um ; ce texte a fourni le Sed contra de la thèse négative de la q. xliv, a. 6. Enfin, saint Grégoire est invoqué en faveur de la thèse négative dans la troisième objection de la q. clxxxiv, a. 2 : ut Gregorius dicit super Ezech., nom. xiv : Amoris ignis qui hic ardere inchoal, cum ipsum quem amat viderit, amplius in amore ipsius ignescit. — Outre ces autorités, les principales raisons invoquées en faveur de la thèse négative se ramènent à deux : d’abord la perfectibilité indéfinie de la charité, q. xxiv, a. 8, obj. 3, et De carit., a. 10, troisième Sed contra ; ensuite, la proportion inévitable de notre amour à notre connaissance, proportion affirmée par saint Augustin, et le caractère évidemment fragmentaire de notre connaissance actuelle de Dieu ; cf. De carit., second Sed contra.

En faveur de la thèse affirmative, on pouvait apporter les textes de l’Écriture qui semblent faire de la perfection un devoir, soit VEstole perjecti de l’Évangile, q. clxxxiv, a. 2, Sed contra, soit le Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo du Dcut., q. xliv, a. 6, obj. l, et De carit, a. 10, obj. 1 ; la perfection est obligatoire, donc elle est possible, car Dieu ne commande pas l’impossible. Et saint Augustin, dans le texte célèbre, où il énumère les étapes de la croissance de la charité, ne reconnaît-il pas qu’elle peut arriver à la perfection : cum fuerit roborcila, per/icitur ; cum autan ad perjectionem venerit, dicit : Cupio dissolvi et esse cum

Christo ? Cf. q. xxi. a. 8. Sed contra. - En dehors de ces autorités, l<- De caritate apporte, en faveur de l’affirmative, des raisons qui témoignent, en saint Thomas, d’un bel optimisme et qui permettraient facilement de kranger parmi les précurseurs de l’humanisme dévot » : Ciirilas in hac vita potest resislere omni peccato et tentalioni (obj. 1) : Yoluntas est domina sut actus, sed diligere Deum est actus voluntatis, ergo volunlas humana potest totaliler et perfecle jerri in Deum (obj. 0) ; la bonté divine, objet de la charité, est ce qu’il y a de plus délectable ; il ne paraît donc pas difficile de s’y attacher continue et sine inlermissione (obj. 7). Enfin, d’autres raisons sont prises de considérations plus abstraites : afjectus noster in hac vita immédiate fertur in Deum per dileclionem ; sed quando intellectus immédiate feretur in Deum, perfecle et totaliler ipsum cognoseemus ; ergo nunc perfecle et totaliler Deum diligimus (obj. ï>) ; ce qui est simple et indivisible, si ediquo modo habetur, totum habetur : or l’amour de charité est simple et indivisible ; donc… (obj. 8).

La thèse négative.

La solution de l’antinomie

doit être cherchée dans la distinction de plusieurs espèces de perfection, spécialement dans ce que saint Thomas appelle une perfection secundum naturam et une perfection secundum tempus. Perfectum secundum naturam dicitur cui non deesl aliquid corum quæ nota sunt haberi a natura Ma, c’est-à-dire quand un être possède tout ce que sa nature lui permet de posséder : l’intelligence de l’homme sera parfaite de cette manière, quand elle connaîtra tout ce qu’une intelligence humaine est capable de connaître. Perfectum secundum tempus dicitur quando nihil deesl alicui eorum quæ nalum est habere secundum tempus illud : sicut dicimus puerum perfectum quia habet ea quæ requiruntur ad hominem secundum œtatem Mam. Or, la charité, en quoi consiste la perfection de la vie chrétienne, pour être parfaite secundum naturam ralionalis creaturse, exigerait que l’homme aimât Dieu secundum suum posse, c’est-à-dire dans toute la mesure où un cœur humain est capable d’aimer Dieu. Cette formule du De caritate va se préciser dans la II a -IIæ : l’homme aime Dieu autant qu’il le peut, quand tout son cœur se porte toujours vers Dieu non seulement habilualiter, mais actualiter, q. xxiv, a. 8 ; quand il est, peut-on dire, toujours et tout entier en acte d’amour de Dieu.

— Or, c’est là une chose impossible dans la vie présente, in qua impossibile est, propter humanavitæ infirmitedem, semper actu cogitare de Deo, et moveri dilectione ad ipsum, ibid. Le De caritate décrit cette infirmité de la vie présente, qui ne nous permet pas de penser toujours à Dieu et de l’aimer toujours actualiter : ce sont les nécessités de la vie : le dormir, le j manger, et alia hujusmodi, sine quibus vila duci non potest ; et ulterius ex ipsa corporis gravilale anima deprimitur, ne divinam lucem in sua essentia videre possil. ut ex tali visione caritas perficiatur ; par cette dernière proposition, on voit que saint Thomas fait rentrer la perfection de la charité produite par la vision intuitive dans le domaine de la perfection de l’homme secundum naturam ralionalis creaturse.

Le Cont. gent., t. III, c. cxxx, contient aussi une description des impedimenta quibus (homo in hac vila) retrahitur, ne totaliler possil in Deum jerri ; ces impedimenta proviennent soif du corps, cujus suslentalioni et quieti curam impendere oportet, soit des facultés inférieures de l’âme : nom commolioncs phantasmatum et perturbaliones passionum perturbant quiclem mentis, quæ est necessaria ad hoc quod mens libère feratur in Deum. El hxc quidem impedimenta totaliler ab homiue tolli non possunt quamdiu in mortali corpore vivit : oportet enim quod ad ea quæ sunt necessaria mortali vita intendaî ; per quod impeditur ne actu in Deum semper tendere possil. Si l’on ajoute à ces impedimenta cet te