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887 PÉNITENCE. LA RÉFORME CAROLINGIENNE, LA DOCTRINE 888

toircs marquées dans son livret. I) n’est pas impossible, d’ailleurs, que certaines déterminations des pénitentiels aient été conçues par les compilateurs de ces livrets comme de simples directions à l’usage des pénitents. En remettant en honneur la discipline canonique, en faisant revivre les textes patristiques, les décrétales des papes, les prescriptions conciliaires sur quoi elle se fondait, la réforme carolingienne ne pouvait manquer de fixer l’attention des bons esprits sur le caractère ecclésiastique de la rémission des péchés.

Ceux-là mêmes, parmi les théologiens de la première génération, qui, à raison de leur origine insulaire, n’ont été mêlés en rien au mouvement qui aboutit à la renaissance de la discipline canonique, un Alcuin, par exemple, n’ont pas laissé de donner sur la nécessité de soumettre les fautes graves aux clefs de l’Église de très précieuses indications. La Grande-Bretagne, au point de vue intellectuel, vivait de la tradition dont, au début du vine siècle, Bède le Vénérable s’était fait le puissant écho. Nul parmi les commentateurs de l’Écriture n’eut autant d’influence que ce savant, qui eut le mérite de transmettre aux siècles ultérieurs un résidu, convenablement ordonné et suffisamment dépouillé, de toute l’exégèse occidentale. Nous avons signalé plus haut sa descendance directe. C’est donc chez Bède qu’il faut d’abord chercher les précisions théologiques au sujet du pouvoir des clefs ; de Bède elles sont passées à Alcuin et, par ce dernier, à tout le groupe des réformateurs carolingiens.

C’est l’exégèse des deux passages scripturaires relatifs au pouvoir général des clefs (Matth., xvi, cf. xviii), et au pouvoir de remettre les péchés (Joa., xx), qui est au point de départ de la doctrine de tous nos théologiens. Voir ci-dessus, col. 868 sq. Ce pouvoir réside, comme Bède l’explique, dans Pierre d’abord et ses représentants actuels (allusion à la doctrine qui considérait les papes comme les vicaires de Pierre), mais il existe encore dans tous ceux à qui l’Église l’a spécialement délégué : l’expression de Bède omni eleclorum Ecclesiæ, qui passera dans les commentateurs suivants, n’est pas de toute clarté. Les distinctions ultérieures entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction y sont à peine entrevues. Il y a plus, la pratique de la confession aux laïques, qui se trouve indiquée dans un autre texte de Bède, peut, jusqu’à un certain point, y trouver son fondement.

La preuve de la nécessité d’une intervention ecclésiastique dans la rémission du péché se trouve déjà dans les deux textes ci-dessus commentés. Alcuin, dans la fameuse lettre aux frères de la province de Gothie, EpisL, cxii, ci-dessus, col. 869 sq., a été plus affirmatif encore ; plus clairement que Bède il montre que l’exercice du pouvoir des clefs suppose l’aveu du pécheur, un acte par lequel celui-ci vient soumettre aux clefs de l’Église les fautes dont il se reconnaît coupable. Cette nécessité de la confession, Bède l’avait vue surtout exprimée dans le texte de Jac, v, 16, Confîlemini alterutrum peccala veslra, et de cette phrase il avait tiré l’axiome : Sine confessione emendationis peccata nequeunt dimitti. On a vu quel parti il tirait de ceci pour proclamer l’obligation de la confession des péchés graves aux prêtres, des fautes plus légères (à défaut de prêtre sans doute) au prochain, même s’il n’est pas honoré du sacerdoce. Alcuin, qui s’appuie également sur le passage de Jacques, n’y met pas tant de raffinement. Le texte, en toute hypothèse, signifie, à son avis, qu’il ne suffit pas de s’accuser de ses fautes djvant Dieu, que l’intervention d’un homme est nécessaire, quoi qu’il en soit, pour l’instant, des qualités dont cet homme doit être revêtu. La pratique de l’Église indique assez, par ailleurs, que c’est au prêtre qu’il faut ainsi s’adresser.

Nos auteurs n’ont pas manqué d’emprunter a d’autres épisodes ou à d’autres textes de l’Écriture la preuve de la nécessité du recours au délégué de l’Église. L’Ancien Testament leur fournissait les règles concernant le rôle des prêtres dans la guérison de certaines maladies ; ces règles, N’otre-Seigneur, quand il prescrivait aux lépreux d’aller « se montrer aux prêtres « et d’offrir le sacrifice prévu par la Loi, en avait urgé l’exécution, donnant à entendre par là que, dans la nouvelle économie, il y aurait de même intervention du prêtre dans la guérison des maladies de l’âme. A cette preuve, dont on aurait pu contester la valeur, Jonas d’Orléans en ajoutait d’autres d’un ordre plus réel : Alcuin avait tablé sur le précepte apostolique de la confession contenue dans le texte de Jacques ; Jonas montrait, d’après le passage, Act., xix, 18, que cette loi avait été mise en pratique dès l’époque la plus reculée. Ce faisant, d’ailleurs, les apôtres n’innovaient guère, fait observer l’évêque d’Orléans : les convertis de Jean-Baptiste, avant de descendre dans l’eau du Jourdain, devaient confesser leurs péchés.

A côté de ces preuves scripturaires, Alcuin en alignait d’autres, celles, par exemple, qu’il tirait de la liturgie et des prescriptions canoniques en général. Les frères de Gothie qu’il entend convertir à l’idée que la confession est nécessaire ne sauraient contester l’existence, dans le rituel, de prières pour la réconciliation des pécheurs. Si elles n’y sont point insérées en vain, si elles ont leur emploi à quelque moment, elles supposent dans l’Église l’existence d’un pouvoir de rémission, mais aussi la nécessité d’un aveu qui mettra le dépositaire de ce pouvoir au courant de l’état d’âme de celui qu’il entreprend de guérir. Bien qu’il n’ait pas pressé cet argument, Alcuin a le mérite de l’avoir signalé.

La génération suivante, plus férue d’érudition patristique, ajoutera, à ces preuves tirées de l’Écriture et de la pratique ecclésiastique, des arguments empruntés à la tradition et dont plusieurs sont du meilleur aloi. Les textes les plus probants de saint Augustin sur la distinction des péchés dont les uns peuvent être remis parl’expiation personnelle, tandis que les autres ne le peuvent être que par l’intervention de l’Église, de saint Léon sur la nécessité < de la prière sacerdotale » pour la rémission des péchés, ont été versés au débat par l’auteur de la Dacheriana, par Halitgaire, par Raban Maur. Les distinctions formulées par Augustin compensaient ce qu’il y avait de trop absolu dans la pensée et les expressions de Bède et même d’Alcuin sur la nécessité de la confession. Cette nécessité n’est relative qu’aux fautes plus graves ; les fautes « quotidiennes », en prenant le mot au sens augustinien, voir col. 801, relevant exclusivement de la pénitence personnelle.

Enfin, beaucoup de nos auteurs répondent à la difficulté, qui tout au long de la vie de l’Église sera faite à la confession obligatoire. Confier à un homme les fautes les plus secrètes n’est-ce point une trop grande humiliation imposée au coupable ? Que l’on se confesse à Dieu, à la bonne heure ! Mais à un homme ! A cette objection, Alcuin, l’infatigable apôtre de la confession, ne se lasse pas de répondre, et de même Raban Maur, Hom., lv, P. L., t. ex, col. 102. Déjà un concile bavarois du milieu du viiie siècle s’exprimait sur ce point avec une franchise toute populaire : Melius est hic in præsenti erubescerc in conspectu unius hominîs, quant in futuro judicio coram cunctis genlibus. Mansi, Concil., t. xiii, col. 1026 C, cité par B. Poschmann, op. cit., p. 193.

On voit qu’en somme nos auteurs ont esquissé les grandes lignes d’un traité sur la pénitence ecclésiastique, disons mieux, sur la confession obligatoire. A constater leur insistance, on s’est demandé s’ils ne se