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    1. PÉNITENCE##


PÉNITENCE. LES IV ET Ve SIECLES, LA DOCTRINE

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el pour les mêmes raisons, Augustin l’accepte..Mais son subtil génie essaie de pousser plus loin l’analyse et d’arriver à une représentation du mode d’efficacité attribuée aux rites pénitentiels. Nous sommes ici dans le domaine de l’explication théologique et un certain nombre des spéculations de l’évêque d’Hipponc donneront lieu, ultérieurement, à des controverses entre théologiens.

Voyons ses deux points « le dépari : l’Église lie par l’excommunication et délie par la réconciliation, voilà une première idée traditionnelle, et Augustin est bien d’avis que cette procédure terrestre a son parallèle dans le ciel. Mais, d’autre part, il est bien évident, comme Cyprien l’avait dit, que Dieu seul peut remettre les péchés (Cyprien ne voulait parler que des fautes commises directement contre Dieu : mais il y a lieu d’étendre son idée, puisque toute violation de la loi morale, qu’elle atteigne le prochain, ou même ne lèse que le coupable, est finalement une offense à Dieu). Posé que le péché est comme une mort de l’âme, Dieu seul peut rendre cette vie intérieure que le péché a fait perdre. Ce sont ces deux idées qu’il s’agit pour Augustin de concilier.

Cette conciliation l’a visiblement préoccupé, et il a cru trouver dans l’interprétation du récit johannique de la résurrection de Lazare un point d’appui pour sa théorie. Cette explication allégorique du récit sacré lui est présente lors même qu’il n’en fait pas directement état.

Le passage capital est dans le commentaire sur le Ps. ci, serm. n. n. 3, P. L., t. xxxvii, col. 1 306. Lazare vient d’être ressuscité par la voix et l’action intérieure du Sauveur : « C’est Jésus lui-même qui, par sa voix, l’a fait lever du sépulcre, c’est lui qui, par son cri, lui a rendu l’âme ; lui qui a soulevé la lourde masse de terre qui pesait sur l’enseveli. Et celui-ci s’est avancé, mais encore lié (des bandelettes), et donc non pas en faisant usage de ses jambes, mais par la vertu de celui qui l’appelait au jour : non pedibus prophis sed virtute producenlis. C’est la même chose qui se passe dans le cœur du pénitent. Vous entendez dire qu’un tel fait pénitence de ses péchés, à ce moment-là il a déjà repris vie. Vous entendez dire qu’un tel, par sa confession, a manifesté sa conscience, à ce moment-là il est déjà tiré du sépulcre. Mais il n’est point encore délié. Quand donc l’est-il, et par qui ? A coup sûr, l’Église peut le délier de ses péchés (lui en donner V absolution : per Ecclesiam dari solutio peccutorum potest) ; mais le mort lui-même ne peut être ressuscité que par la voix du Seigneur qui crie dans l’intérieur de sa conscience : suscitari autem ipæ mortuus nonnisi intus clamante Domino potest : hier enim Deus intérim agit. Nos paroles frappent vos oreilles, mais comment pouvons-nous savoir ce qui se passe au fond de vos cœurs ? Ce qui se passe dans ces profondeurs, ce n’est pas nous, c’est lui qui l’opère. » Même idée, exprimée sensiblement dans les mêmes termes, Serm. xcviii, 6.

Et voici un développement parallèle, mais où l’action de l’Église est mise plus en relief : >< Que ceux-là craignent qui sont liés ; que ceux-là craignent qui ne le sont pas (soluti). Que ceux-ci craignent d’être liés ; que ceux-là prient pour être déliés. C’est par les multiples filets de ses péchés que chacun de ces derniers est garrotté, de ces liens aucun ne peut être défait sans l’Église : præter hanc Ecclesiam nihil solvitur. Au mort de quatre jours, le Seigneur dit : « Lazare, sors du tombeau. » Et le voilà qui s’avance hors du sépulcre, mais pieds et mains liés par les bandelettes. C’est le Seigneur qui fait sortir le mort du sépulcre quand il touche son cœur, pour qu’en sorte la confession de son péché. Mais ce ressuscité est encore quelque peu lié : sed parum adhuc ligatus est. Il resle à le faire délier par les disciples ; d’où la conclusion : Perse excitavit,

per discipulos solvit. Serm. ccxcv, 2. Comparer ce qui

est dit Serm., CCCLII, 8 : Lazare se lève de la couche funèbre, mais il est lié, comme le sont les hommes qui font pénitence par la confession de leur péché, sicut sunt /tontines in confessione peccati ayentes pwnitentiam. Ils sont déjà sortis de la mort, car ils ne confesseraient point leurs fautes s’ils n’en étaient sortis. Le fait de les confesser, c’est déjà sortir des ténèbres : ipsum conftteri ab occulto et a lenebroso procedere est. Le reste, c’est le ministère de l’Église qui l’accomplit.

Lue objection se présente, immédiatement : s’il en est ainsi quel est donc le rôle de l’Eglise dans la rémission des péchés ? Augustin la formule avec netteté. Serm., i.xvii, 3 : Quid prodest Ecclesia si jam confessor (celui qui a avoué ses fautes) voce dominica resusti talus prodil ? Peut-on poser une telle question, riposte Augustin, quand on a présentes à la pensée les paroles adressées par le Sauveuràl’Église : Quh’solveritis, etc. ? Regardez Lazare ; il sort du tombeau, mais avec des liens. Il vivait déjà, mais il ne pouvait encore marcher librement, tout empêtré qu’il était dans ses liens. Jam vivebat confitendo, sed nondum ambalabat vinculis irretitus. L’Église fait pour le pécheur ce que font les apôtres pour Lazare. (Il est intéressant de noter les transformations qu’a subies l’idée dans le traité apocryphe De vera et jalsa pœnitentia, n. K.)

La conclusion de cette théorie, c’est qu’il faut être dans l’Église pour obtenir la rémission des péchés, car c’est là une opération du Saint-Esprit. Extra Ecclesiam non remittuntur (peccata) ; ipsa namque proprie Spiritum sanctum piunus aecepit, sine quo non remittuntur alla peccata..Mais il n’est pas aussi évident que cette rémission soit le fait de l’Eglise. Le texte de VEpist., cliii, 2, P. L., t. xxxiii, col. 654, que l’on a voulu alléguer dans ce sens : quantum facilitas datur. pro peccalis omnibus intercedimus, où l’on a pris intercedere dans le sens d’intervenir, ce texte, disons-nous, a une signification toute différente, toute banale, d’ailleurs : s’adressant à un vicaire impérial, Macédonius, pour lui demander une faveur. Augustin fait remarquer que les évêques ont dans leurs attributions de demander la grâce des coupables.

On aura observé, dans tous les textes précédents, la force avec laquelle Augustin insiste sur l’efficacité, pour la résurrection de l’âme, de l’aveu, de la confession. C’est un fait très remarquable. Saint Cyprien, nous l’avons dit, voyait surtout dans les exercices satisfactoires, soit publics, soit surtout privés, le moyen de rentrer en grâce avec Dieu. L’accent, si l’on peut dire, était mis, et avec énergie, sur la satisfaction. Dans saint Augustin, il l’est, et avec plus de force encore, sur l’aveu. N’oublions pas d’ailleurs que l’aveu est proprement la première dent de l’engrenage dans lequel sera pris désormais le pénitent : les œuvres satisfactoires antérieures à la réconciliation, les gênes postérieures à celle-ci sont contenues comme en germe dans la confession. Il est intéressant néanmoins de constater que c’est justement cet acte du pénitent qui attire l’attention de l’évêque d’Hippone. En insistant, comme il l’a fait, sur la nécessité de la confession, l’auteur du traité pseudo-augustinien ne trahissait pas, autant qu’il pourrait d’abord paraître, la pensée de celui au nom duquel il prétendait parler.

Conclusion. — En résumé, on assiste, dans la période que nous venons d’étudier, à un notable progrès des idées relatives à la signification des rites pénitentiels. Ces rites, qui sont la chose reçue de la tradition, on s’est cITorcé d’en pénétrer le sens. Ce sens est beaucoup plus clair, pour Pæien, pour Ambroise, pour Augustin qu’il ne l’était pour Cyprien ou pour Origène : les rites en question sont, en même temps qu’un geste de l’Église, un signe efficace du pardon divin, en définitive, un sacrement.