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PÉNITENCE. LES IV* ET Ve SIÈCLES, LA PRATIQ1 I.


de cet état de choses : « Quand le péché de quelqu’un

est ignoré des autres, nous devons reprendre le pécheur en secret, l’accuser en secret, de peur qu’en voulant le faire connaître comme coupable en public (arguere), nous ne le trahissions…, quelqu’un de ses ennemis pouvant en profiler pour le faire punir. «  L’évêque sait qu’un tel est homicide, lui seul le sait, eh bien, l’évêque ne le livrera pas ; il ne le négligera pas pour autant. « Je le reprends en secret, je lui mets sous les yeux le jugement divin, je terrifie sa conscience sanglante, je lui persuade le repentir… Alors, il y a tel ou tel qui est au courant et qui vient me gourmander (de mon silence en public). Et puis (en d’autres cas), on s’imagine que nous savons certaines choses, alors que nous les ignorons, et que nous taisons ce que nous savons. Mais il arrive aussi que ce que l’on sait, moi je le sache aussi, mais je ne reprends pas devant tout le monde, car je veux guérir et non accuser. (Autre exemple.) Il y a des hommes qui commettent l’adultère dans leurs demeures ; ils pèchent en secret ; parfois, leurs femmes nous les dénoncent, soit par jalousie, soit par souci du salut de leurs maris, alors : nos non prodimus palam, sed in secreto arguimus.

Bref, bien des raisons empêchent le fonctionnement régulier de ce qui devrait être la discipline normale.

b) Altitude que peuvent prendre les évêques. — Dans la pratique, il faut donc que l’évêque s’inspire des circonstances, fasse état de ce pouvoir discrétionnaire que la tradition lui a toujours reconnu. Ceci est déjà vrai pour certaines fautes que révèle une enquête faite à bas bruit. A plus forte raison, une attitude de prudence s’impose-t-elle quand il s’agit de péchés que seul un aveu secret peut faire connaître.

Augustin décrit bien « l’ouverture de conscience » que viennent faire certains coupables. Voici un pécheur qui a porté sur lui son propre jugement (qui se trouve indigne de la communion), qu’il vienne aux chefs de l’Église détenteurs du pouvoir des clefs : veniat ad antistites per quos illi in Ecclesia claves ministrantur, qu’il reçoive de ceux-ci, qui sont les préposés aux sacrements (prœposili sacramentorum, parallèle à antistites de la phrase précédente) le mode de satisfaction qui convienne tant à son intérêt personnel qu’à l’utilité commune. Et, si son péché n’est pas seulement pour lui un mal profond, s’il est encore un grand scandale pour les autres et si l’évêque (autistes ) juge la chose avantageuse à l’utilitéde l’Église, qu’il ne refuse pas de faire pénitence à la connaissance de beaucoup ou même de toute l’Église, in notitia multorum vel eliam lotius plebis agere pœnitentiam non reeuset. Serm., cccli, 9. En d’autres termes, il peut y avoir discussion entre V autistes et le coupable qui vient s’ouvrir à lui sur l’opportunité de passer par les exigences de la pénitence publique. On notera que le texte inviterait même à voir à côté de cette pénitence publique une autre, in notitia multorum, qui restreindrait quelque peu l’humiliation. Mais que pourrait être cette pénitence in notitia multorum par opposition à celle qui est faite in notitia lotius Ecelesiæ ?


C’est donc à l’évêque de juger si la pénitence publique doit s’appliquer ; et, comme le dit Augustin : « Celui qui connaît la bonté de Dieu peut juger quels sont ceux qu’il ne faut pas contraindre malgré eux à la pénitence douloureuse, ad pœnitentiam luctuosam, bien qu’ils aient avoué des fautes qui ressortiraient à celle-ci. » De quæst. LXXXHI, q. xxvi, t. xl, col. 18.

S’il jugeait que, compte tenu de toutes les circonstances, la pénitence publique était impraticable, il restait à l’évêque la ressource de représenter vivement, dans le particulier, à tel ou tel pécheur, la nécessité de faire pénitence, de changer de vie, de fournir les satisfactions convenables. Enchir., n. 70. C’est

à quoi nous semble se ramener la correptio sécréta dont il a été beaucoup parlé en ces derniers temps, et où certains auteurs, à la suite de K. Adam, ont voulu voir un terme technique équivalent à peu pics à celui de pénitence secrète. La correptio sécréta nous apparaît bien plutôt comme une action de l’évêque pour amener un pécheur occulte à rentrer en lui-même et à tirer les conséquences de son aveu. Elle est bien décrite. Serm. lxxxii, 11, où Augustin suppose devant lui un adultère secret, qu’il n’est pas possible de faire passer par la pénitence publique, à raison des conséquences graves que la chose pourrait avoir au civil. Voir ci-dessus, col. 807 (n’oublions pas que l’adultère de la femme mariée est un crime capital, et que son complice est passible de la même peine) ; Voici donc. dit Augustin, ce pécheur coupable d’adultère ; nous ne négligeons pas pour autant sa blessure, nous. commençons par remontrer à celui qui est en un si grand péché que sa conscience est profondément blessée, qu’elle est mortelle cette blessure, cette faute que tant de gens traitent de bagatelle en disant : « Dieu n’a cure des péchés de la chair. » Le texte montre bien qu’il s’agit moins ici d’une action liturgique (même privée) que d’une discussion entre l’évêque et un coupable qui a du mal à se rendre. Une fois que ce point est acquis, il restera à traiter le pécheur d’après les principes ci-dessus énoncés.

Ainsi, l’on aboutit à cette forme simplifiée de la pénitence dont nous conjecturions déjà, mais sans appui dans les textes, l’existence à la période précédente, col. 784 ; en sorte que, dans la pratique, sinon dans la théorie, il conviendrait de distinguer une triple catégorie de péchés : les uns, peccata capitalia qui ressortissent, à cause de leur nature, à la pénitence publique ; les seconds, peccata leviora que le pécheur expie sans aucun recours à l’autorité ecclésiastique : entre deux des fautes que nous considérerions de notre point de vue moderne comme graves et mortelles, mais qui, pour les diverses raisons sus-énoncées, ne passeront pas par les rigueurs de l’expiation solennelle et pour lesquelles une sorte de transaction se fera entre l’évêque et le coupable. Cette distinction nous paraît assez bien marquée dans le De fide et operibus. n. 48, P. L., t. xl, col. 227-228. C’est la conclusion de tout le livre. Augustin vient de marquer que, pour le salut, le baptême ne suffît pas et qu’il faut une vie exempte de péchés. Hélas ! le péché menace de toutes parts la moralité ; pour les diverses catégories, il y a des remèdes : nisi essent quædam ita gravia ut eliam excommunicatione plectendasint, non diceret apostolus… « judicavi tradere hujusmodi Satanée ». I Cor., v, 4-5. Item nisi essent quædam non ea humilitate pœnitentiæ sananda, qualis in ecclesia datur eis qui proprie ptenitentes vocantur, sed quibusdam correptionum medicamentis, non diceret Dominus… « Corripe eum inler le et ipsum solum. » Matth., xviii, 15. Postremo, nisi essent quædam sine quibus hœc vita non agitur, non quotidianam medelam poneret in oratione quam docuil : … « Dimitte nobis débita nostra. » — Sans vouloir dire que nous touchions ici du doigt une institution officielle parallèle à la pénitence publique et qui serait l’équivalent de notre confession secrète, nous pouvons au moins remarquer, suivant l’expression de P. Batifïol, que ceci ouvre la perspective d’une pénitence où la réconciliation est aussi secrète que l’a été le péché et que l’est l’aveu.

Jusqu’à quel point l’attitude d’Augustin à l’égard de ces fautes de caractère intermédiaire était-elle celle de ses collègues dans l’épiscopat. nous ne saurions le dire. Mais c’est dans cette direction, nous semble-t-il, qu’il faudrait chercher pour découvrir une des origines de la pénitence privée, ou comme l’on dit. d’un terme assez impropre, de la confession auriculaire.