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PEINES ECCLÉSIASTIQUES. LÉGITIMITÉ


cation des biens est un emprunt fait au droit romain ; l’Église y eut recours à partir du xie siècle.

Ces diverses peines temporelles, quelques-unes mêmes corporelles, s’inspirent surtout des coutumes germaniques ; l’Église les adopta facilement comme très aptes à contenir et régler les mœurs fort rudes de ces temps.

Cependant, les peines spirituelles ne perdirent pas leur place dans le droit canonique ; mais elles évoluèrent et se perfectionnèrent. On note que la distinction entre peines vindicatives et médicinales s’établit peu à peu ; aux censures ferendx sententiæ, à peu près seules en usage jusqu’au viiie siècle, se substituent fréquemment, trop souvent peut-être, les censures encourues ipso facto. De même, dès l’époque de Charlemagne, la pénitence publique revêt de plus en plus un caractère pénal : elle est imposée même à ceux qui ne l’acceptent pas volontiers ; voir art. Pénitence.

L’excommunication envient peu à peu à obtenir des eiïets au for civil. Puis, l’union des deux pouvoirs ayant pour conséquence de mêler davantage la vie religieuse et la vie civile, l’Église en vient à étendre sa juridiction non seulement aux délits mixtes, mais aussi à des délits purement civils ; elle sanctionne même de ses peines les décisions des pouvoirs séculiers ; et, bientôt, les rois et les princes ne sont plus à l’abri de ses foudres vengeresses : Grégoire VII ose, en 1076, déposer Henry IV d’Allemagne, et cet exemple ne fut pas oublie dans la suite.

c) A partir du xiiie siècle. — La législation canonique s’affirme et s’unifie dans les Décrétâtes. Dès lors, le système pénal, de local et particulier qu’il avait été jusqu’alors, s’universalise et s’alîermit, consigné qu’il est désormais dans des collections authentiques. Voir Censures.

Le droit décrétalien, confirmé par le concile de Trente, dura pratiquement jusqu’à la récente codification (1904-1917), à part la constitution de Pie IX qui mit au point les censures lalse sententiæ. Constit. Apostolicæ Sedis, 12 oct. 1869. Voir l’art. Apostolic ^e Sedis.

Ce bref aperçu historique, que les limites de cet article ne permettent pas d’étendre davantage, suffit amplement à établir que l’Église, dès ses origines, a usé du pouvoir coercitif en frappant de peines appropriées ses sujets délinquants ou rebelles. Elle n’a donc pas acquis ce pouvoir au Moyen Age ; elle ne le doit pas non plus à la faveur des princes séculiers, ainsi que le prétendent régalistes et protestants. Ce droit, elle le possédait auparavant, encore que l’appui plus ou moins bénévole du pouvoir civil en ait favorisé l’exercice ; il lui est propre et inné, parce qu’il découle de sa constitution même. La chose sera établie plus solidement encore en faisant appel aux définitions du magistère ecclésiastique.

4. Les déclarations de l’Église.

a) Le pape Jean XXII affirme que l’Église possède jure divino le pouvoir d’user même de peines temporelles : … etiam a communione fidelium ipsum excommunicatum excludat, corporalis est a Chrisio coactio Ecclesiæ. permissa. Const. Licet, 23 oct. 1325. Il condamne, en outre, cette proposition de Marsile de Padoue : Tola Ecclesia simul juncta nullum hominem punire potest punitione coacliva nisi concédât hoc imperator.

b) Le concile de Trente, session vii, De bapt., can. 14, définit : Si quis dixerit parvulos baptizatos, cum adoleverunt. .. nec alia pœna ad chrisiianatn vitam cogendos, nisi ut ab eucharistix aliorumque sacramentorum perceptione arceantur donec resipiscant, anathema sit. Denz., n. 870. Le même concile recommande aux évêques de n’user qu’avec discernement des censures, afin de ne pas les avilir ; qu’ils les réservent donc

pour les crimes plus graves ; pour les autres délits, qu’ils recourent à d’autres peines telles que l’amende, le gage. Sess. xxv, c. 8. De reformat.

c) Benoit XIV. par son bref Ad assiduas du 4 mars 1755, condamna l’erreur du P. de la Horde, qui « refusait à l’Église le pouvoir de coaction > ; or. le volume du P. de la Horde, Principes sur l’essence, la distinction et la limite des deux puissances, ne déniait à l’Église que le droit d’infliger des peines temporelles : et par cela seul, il mérita condamnation.

d) De même, Pie VI condamna la 4, : proposition du synode de Pistoie, où il était affirmé que c’était un abus de l’autorité de l’Église que d’exiger par la force la soumission à ses décrets. Constit. dogmat., Auclorem pdei, 28 août 1794, Denz.. n. 1504.

e) Pie IX, à son tour, dans l’encyclique Quanta cura (8 décembre 1864), réprouva, entre autres erreurs, la doctrine de ceux qui enseignent que l’Église n’a pas le droit de punir de peines les violateurs de ses lois.

— Il condamna de même dans le Syllabus la proposition suivante : Ecclesia vis infère ndx potestatem non habet, neque potestatem ullam temporalem directam vel indirectam. Prop. 24. Cf. le bref Ad aposlolicee, du 22 août 1851.

f) Enfin, Léon XIII enseigne expressément (encyclique Immortale Dei) que le Christ a accordé à son Eglise un véritable pouvoir législatif et, en même temps, comme conséquence, le pouvoir de juger et de punir. Immortale Dei, § Rêvera.

5. Conclusion.

Il serait superflu, semble-t-il, après les déclarations aussi nettes du magistère de ranimer les controverses qui partagèrent les théologiens ou les canonistes au sujet de l’extension du pouvoir coercitif de l’Église : ce pouvoir peut-il s’exercer uniquement par l’emploi de peines spirituelles, ou permet-il de recourir à des peines temporelles ou corporelles ? Les imprécisions ou les équivoques qui pouvaient subsister jusqu’à la publication du Code, sont supprimées par le texte très explicite du canon 2214, § 1 : Jus est Ecclesix… coercendi subditos pœnis tum spirilualibus, tum etiam temporalibus. Et cette déclaration touchant un des droits constitutionnels de l’Église, jus nativum et proprium, met fin aux discussions entre catholiques.

Il reste vrai cependant, comme le note le cardinal Soglia, Inslit. jur. publici eccl., 5e éd., t. i, p. 169170, que la coercition par le moyen de peines spirituelles est plus en harmonie avec la mansuétude de l’Église. Mais, lorsque les perturbateurs de la société ecclésiastique ne peuvent plus être maintenus dans l’ordre par des pénalités spirituelles, quoi de plus vain que de leur opposer ces mêmes peines qu’ils méprisent, au lieu de recourir à des peines temporelles seules capables d’avoir un résultat !

Il est exact également que l’Église, dans son droit actuel, fait une place fort réduite aux peines temporelles, encore que celles-ci n’en soient pas totalement absentes, par ex. can. 2298, spécialement 8’; can. 2291. n. 12, et 2297. Cela prouve au moins que le législateur juge ces pénalités moins opportunes dans les circonstances actuelles ; mais cela ne préjuge rien contre le droit foncier de l’Église ; celui-ci reste entier, bien qu’elle ne croie pas devoir en user largement. Il appartient à sa prudence de choisir les moyens qui lui semblent les plus aptes à restaurer l’ordre ou à amender le coupable, et de recourir, selon qu’il est expédient, dans chaque cas particulier, soit aux peines temporelles, soit aux peines spirituelles.

C’est sans doute parce qu’aujourd’hui, le pouvoir séculier est, en général, assez peu disposé à fournir ce service de la force armée, que l’Eglise a fait évoluer, pour son plus grand avantage, d’ailleurs, son système pénal dans le sens d’une contrainte