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PÉCHÉ ORIGINEL. LA THÉOLOGIE KUSSK


grâce sanctifiante infuse et les vertus infuses. La justice originelle est conçue non comme un terminus a quo fourni par Dieu, mais comme un terminus ad i/uem, auquel l’homme devait arriver par l’exercice des facultés naturelles avec le concours de la grâce de Dieu. L’idée de justice infuse, de vertus infuses leur paraît répugner, la verlu supposant nécessairement l’exercice de la liberté. De là, des attaques réitérées contre la doctrine catholique de l’état primitif et du péché originel. L’Kglise catholique est accusée de s’être éloignée de la vraie doctrine des Pères et, en particulier, de saint Augustin, et de manifester des tendances pélagiennes, parce que beaucoup de ses théologiens enseignent, après saint Anselme, saint Thomas, Scot, saint Bellarmin, que la justice originelle a été surajoutée à la nature de l’homme comme par le dehors et d’une manière mécanique, et que le péché originel n’est autre chose que la soustraction de cet élément surnaturel sans que la nature ait été viciée ou atteinte en elle-même. La plupart des théologiens russes récents, par une singulière méprise sur la signification des mots : nature pure, nature intègre, justice originelle, attribuent à Scot et à ses disciples l’opinion qu’Adam aurait d’abord été créé dans l’état de nature pure et n’aurait reçu qu’après un certain temps les dons de la justice originelle. Le péché originel aurait eu simplement pour effet de ramener l’homme à cet état primitif de nature pure. Ces accusations, après avoir été formulées par les théologiens privés, avaient fini par trouver place dans le programme officiel de théologie polémique élaboré par le Synode dirigeant, en 1884, contre la confession romaine. On les trouve signalées dans les manuels récents de théologie polémique à l’usage des séminaires et des Académies. Voir, par exemple, I. Pérov, Manuel de théologie polémique, 6e éd., Toula, 1905, p. 41-45. Il faut reconnaître, du reste, que la terminologie des théologiens dont nous parlons ne cadre pas, sur plusieurs points, avec la terminologie de la théologie catholique. L’équivoque n’existe pas seulement sur le sens précis de nature pure, mais aussi sur les termes de nature tout court, de justice originelle, de grâce divine, de vertu infuse, de concupiscence. Nous croyons que, du côté des théologiens dissidents, la. part dn malentendu est plus grande que celle de l’erreur et que des explications nettes feraient cesser tout désaccord. C’est un fait que les meilleurs théologiens russes du xixe siècle, comme Antoine et Macaire Bulgakov, s’abstiennent de toute attaque contre l’Église catholique sur l’état primitif de l’homme et le péché originel. II est vrai que ce sont ceux-là aussi qui se rapprochent le plus de l’enseignement des Confessions de foi du xviie siècle. Un des premiers théologiens qui formula contre les catholiques les griefs dont nous parlons est N. A. Iiielæv dans nn article intitulé : Le principe pélagien dans le catholicisme romain, publié dans le Pravoslavngi Sobiésiednik, organe de l’Académie ecclésiastique de Kazan, t. i, 1871, p. 84-120. S. Malevanskii les reprit dans le t. ni de son cours de théologie historique, op. cit., p. 415-426. De là ils ont passé chez N. Malinovskii, op. cit., t. i, p. 352-354, et dans les manuels de théologie polémique.

Les théologiens récents.

Que pensent les théologiens

russes récents de l’essence du péché originel ? La plupart distinguent clairement le péché originel, proprement dit, de ses suites. Ce péché est conçu comme un état peccamineux (en russe : griekhovnost) de la nature humaine causé par le péché actuel d’Adam. Cet état peccamineux, cette culpabilité objective devant Dieu est inhérente à chaque descendant d’Adam par le fait qu’il reçoit du premier père la nature humaine par la génération charnelle. Antoine, op. cit., p. 189,

195, l’appelle une dette ; Macaire, op. cit, p. 195. un péché habituel, qui n’est pas autre chose que le péché même d’Adam, mais considéré comme persévérant en chacun de nous à l’état habituel. Le baptême enlève cette culpabilité sans détruire les suites du péché, parmi lesquelles se trouve la concupiscence. Pour essayer d’expliquer cette mystérieuse transmission du péché, Burgov, op. cit., p. 1 12-113, 205 sq., en appelle à la loi de la solidarité.

D’autres théologiens, à la suite de Philarète Goumilevskii, op. cit., 1. 1, p. 217, 224-227, distinguent à peine le péché lui-même, le reatus culpue, de ses suites et spécialement de la concupiscence, c’est-à-dire de l’inclination positive au mal. Pour eux, l’héritage peccamineux que nous recevons d’Adam est plutôt une maladie, une altération de la nature, qu’un péché proprement dit. Voulant essayer d’expliquer comment nous sommes pécheurs de par la faute du premier père, ils en arrivent à dire qu’en fait, nous ne devenons vraiment pécheurs devant Dieu que lorsque nous consentons librement aux mouvements désordonnés de la concupiscence, suite du péché d’Adam. C’est alors que le péché originel nous est vraiment transmis. Il suit de là que cette transmission a des degrés. Elle est plus ou moins grande, plus ou moins intense et envahissante suivant la mesure de nos péchés actuels, c’est-à-dire de notre consentement à la concupiscence mauvaise. A les en croire, le mot péché, à.y.xç, zlv, non seulement dans le c. vu de l’épître aux Romains, mais aussi dans tout le c. v, ne désigne pas le péché proprement dit, mais la concupiscence, suite du péché. Pour établir le bien-fondé de cette explication, ils établissent une comparaison entre la manière dont nous est transmis le péché originel et la manière dont nous nous approprions les fruits de la rédemption opérée par Jésus-Christ. De même, disent-ils, que notre coopération libre est requise pour que nous profitions de la rédemption et que les fruits nous en soient appliqués, de même le péché d’Adam ne nous est transmis que lorsque nous consentons positivement à la concupiscence mauvaise héritée d’Adam, et le degré de cette transmission se mesure sur le degré de notre consentement.

Qui ne voit que, par cette explication malheureuse, les théologiens russes dont nous parlons — et ils sont assez nombreux dans le groupe des plus récents — en arrivent, en fait, à supprimer le dogme du péché originel, tel qu’il est admis dans l’Église chrétienne ? Il découle logiquement de cette conception que les petits enfants, qui sont encore incapables d’actes libres, n’ont pas réellement le péché originel. Il est vrai que certains des théologiens en question évitent l’hérésie au prix d’une contradiction. Ainsi, Philarète Goumilevskii, qui paraît avoir été le premier parmi les Russes du xixe siècle à proposer cette théorie, commence par déclarer que l’état morbide hérité d’Adam, bien qu’il ne soit pas un péché proprement dit, déplaît cependant à Dieu, nous rend odieux à ses yeux et suIHt à expliquer la mort des petits enfants. De même Malinovskii, op. cit., t. i, p. 373-382, expose d’une manière très orthodoxe l’existence du péché originel, le distinguant nettement de ses suites, l’appelant : un péché habituel, un péché de nature, un état peccamineux, dans lequel naissent tous les enfants d’Adam. Mais, lorsqu’il veut expliquer le mode de transmission de ce péché, il expose tout au long la théorie dont nous venons de parler, et il termine par cette phrase franchement hétérodoxe : Nous pouvons conclure de là que le péché originel ne nous est pas transmis indépendamment de notre liberté, p. 383. En parlant ainsi, il oublie ce qu’il a dit plus haut, ou ailleurs, de l’universalité du péché originel atteignant les petits enfants eux-mêmes et la nécessité du baptême, en ce qui concerne ces