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inanité vers l’idéal qu’il lui avait préparé avant le péché. À la raison chrétienne aidée des lumières de l’histoire, révélée ou profane, de préciser la Courbe de cette lente ascension des hommes dans le sens dune spiritualité toujours plus haute, de marquer la place unique du Christ comme principe de cette ascension, de montrer que l’obstacle héréditaire du péché originel au développement humain est en fait surmonté par notre incorporation au nouvel Adam, source de véritable vie. Pour le chrétien — et une saine philosophie ne le démentira pas — la condition du progrès intégral qui arrache l’humanité déchue à ses attaches chamelles et la fait passer du sensible au rationnel, du rationnel au spirituel, du spirituel à la vie divine, c’est le rattachement toujours plus étroit de l’individu, comme de la société, à la source de la vie divine au moyen de la médiation du Christ.

En résumé, du point de vue du développement humain, le péché originel n’enlève point à l’humanité sa capacité indéfinie de progrès matériel et artistique ; il laisse intacte, dans les individus, cette faculté d’invention, dans les sociétés, cette collaboration que les générations et les cultures successives peuvent se prêter les unes aux autres en vue de la lente acquisition de la vérité ; mais, jusqu’au moment de sa rémission, il supprime en nous cette haute vie spirituelle qu’est la vie divine ; il met obstacle au progrès moral de l’humanité, par le fait qu’il laisse libre cours à l’ignorance native et aux poussées aveugles de la concupiscence ; dans ce sens, il rend difficile une vie morale intégrale. Il reste néanmoins que la volonté déchue peut s’élever, par la grâce, à des hauteurs divines, triompher du mal et, par ses luttes victorieuses, mériter la vision béatifiante dans l’autre vie.

b) Réponse à l’objection tirée de la théodicée. — Il s’agit de montrer que l’idée du péché originel et de ses suites ne s’oppose pas à l’idée d’un Dieu miséricordieux, sage et juste. Dans le plan actuel de la Providence, la miséricorde divine éclate non seulement dans la libéralité de notre premier établissement, mais dans l’attitude prise par Dieu après le péché.

La sagesse divine a non seulement présidé à la création de l’harmonie originelle ; elle continue, après le péché, à réadapter les âmes déchues à leur fin, par les grâces rédemptrices, toujours en vertu d’une même loi de solidarité mystérieuse qui préside à l’élévation et à la restauration surnaturelle de l’homme, en tenant compte de sa liberté.

Enfin, il faut confesser, avec des multitudes d’âmes très pures et très élevées dans l’intelligence des voies de Dieu, la mystérieuse justice que contient notre solidarité en Adam. Il n’y a point d’injustice là où il n’y a point de droit. « De quoi nous prive-t-on, en conséquence du péché originel ? Nous prive-t-on d’un droit acquis, d’une situation méritée, d’un bien en proportion même avec ce que nous sommes ? Non, on nous prive de cette grâce de premier établissement à laquelle l’objectant ne croit point. » A. D. Sertillanges, op. cit., p. 213. Si les enfants morts sans baptême sont privés du bénéfice gratuit de la vision béatifique, ils obtiennent tous les bénéfices de la nature en son plein épanouissement, donc la justice individuelle est satisfaite ; mais, à la différence du baptisé qui a pu être incorporé au Christ, ils n’ont point de part à l’héritage particulier de ceux qui font corps avec le Christ : ils ne sont point des élus.

Mais n’y a-t-il pas injustice à réduire les adultes, en vertu d’une solidarité mystérieuse qui étend la peine et la faute aux membres de In famille humaine, à cet étal de fragilité et de faiblesse qui multiplie les chutes ? — Non pas, car Dieu ne condamne personne pour une ignorance invincible ou pour des mouvements de subconscience, ou pour des déterminismes physiologiques et psychologiques : nous ne sommes responsables personnellement que pour des actes purement humains : ceux-là seuls poussent les adultes à la géhenne. Ainsi, notre solidarité en Adam n’entraîne notre perte que si nous avons refusé personnellement la solidarité salutaire qui nous est offerte dans le Christ. Cette situation n’est pas injuste. La doctrine de l’Église sur les effets du péché originel tient le juste milieu entre la confiance exagérée, la suffisance orgueilleuse de tous les naturalismes anciens et modernes, et les pessimismes décourageants.

III. CONCLUSION. VALEUR DE VÉRITÉ ET VALEUR DE VIE DU DOGME DU PÉCHÉ ORIGINEL. — 1° La doctrine du péché originel est un dogme central, qui enrichit nos connaissances religieuses en éclairant le mystère de l’homme et le mystère de Dieu, celui aussi des rapports de la créature au Créateur.

Tout en reconnaissant que la raison peut expliquer, jusqu’à un certain point, et le mal dans l’humanité par l’abus de la liberté, et la concupiscence, l’ignorance et la mort par l’analyse de la constitution humaine, le théologien, éclairé par la foi au péché originel, comprend plus complètement l’universalité du mal moral et des misères humaines dans le monde actuel ; il saisit mieux le sens de l’énigme de la grandeur de nos aspirations et de la profondeur de nos défaillances.

Par cette doctrine, sont exclues les solutions insuffisantes ou fausses, est résolue « l’énigme de l’homme », comme Pascal l’avait si bien vu et si admirablement dit. Voir Pensées, n. 431, 434, 435, 441, 445, etc.

Par ce mystère, nous prenons une conscience plus profonde de la miséricorde de Dieu qui, dès l’origine, et ensuite dans l’œuvre rédemptrice, va tout de suite jusqu’au bout des possibilités humaines et jusqu’à l’épuisement de ses ressources propres pour établir ou rétablir l’homme dans sa familiarité ; nous pénétrons mieux dans les profondeurs de sa sagesse qui conduit le monde surnaturel, aussi bien que le monde naturel, par l’unique voie d’une solidarité mystérieuse, dans celles enfin de sa justice, qui ne peut traiter une race pécheresse comme une race fidèle.

Dieu nous voit destitués de la parure divine dont il nous avait revêtus, privés, par la faute du père de famille, des titres de noblesse qu’il nous avait conférés ; il ne peut nous aimer ainsi, il nous voit enveloppés dans la nudité d’Adam pécheur, et nous juge indignes de sa familiarité. Le mystère de cette justice collective nous reste obscur, mais nous n’oublions point que, d’abord tourné contre nous, ce mystère se retourne en définitive à notre avantage. Au reste, c’est la fin qui décide ; jusqu’au jour du jugement général, les plans et les résultats définitifs nous échappent. Le croyant fait confiance au triomphe de la rédemption.

Enfin, de ce fait, s’éclaire l’unité de la vie religieuse dans l’humanité. Le courant de vie surnaturelle a sa source à l’Éden ; il peut, dès l’origine, être arrêté, contrarié, il n’est pas supprimé ; sous l’influence de la grâce rédemptrice, dès le paradis terrestre, il reprend son cours plus lent, plus caché avant le Christ, plus visible, plus large et plus riche dans l’Église à partir de l’incarnation.

2° Cette vérité n’est pas purement spéculative, mais commande toute la vie religieuse chrétienne ; elle inspire la conscience du péché et. par le fait, l’humilité ; elle pousse à la vigilance, à la prière, à l’ascétisme. Pas de christianisme sans ascétisme ; mais l’ascétisme inspiré par le dogme du péché originel ne peut être que positif. Il lutte contre les rébellions du corps, pour le restituer à la perfection de l’harmonie primitive, pour en faire un serviteur de l’esprit.

C’est en cet optimisme de l’âme déchue, confiante en la force du Christ rédempteur, que s’achève la vie des âmes qui ont le mieux connu le dogme du péché ori-