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PÉCHÉ ORIGINEL. LE RATIONALISME CONTEMPORAIN


1926, p. 201-210. A cette doctrine athée il oppose une doctrine théiste, selon laquelle Dieu, personne parfaite, a créé un monde et l’homme primitif parfaits. L’origine du mal vient d’une chute collective des libertés : « L’état primitif du monde, créé par le Créateur juste et bon, a dû être, par opposition à l’état actuel, un séjour paradisiaque, à cela près qu’au lieu du tableau simpliste que nous a présenté la légende religieuse, il faut imaginer, conformément à ce que la science nous a appris de la grandeur et de la variété des forces naturelles, un ordre de choses où ces forces se déployaient dans leur magnificence, toutes d’accord entre elles pour le bien des animaux et des hommes. » P. 75.

Au progressisme optimiste du xixe siècle, Théodore Lessing, dans Unlergang der Erde am Geisl, Hanovre, 1924, oppose un véritable régressisme absolu. Même pessimisme outré dans Julien Benda, La trahison des clercs ou la fin de l Éternel, Paris, 1927.

J. Maritain et Bergson, sans tomber dans les excès du pessimisme naturaliste, critiquent solidement, du point de vue philosophique, le mythe du progrès nécessaire. Voir J. Maritain, Théonas, Paris 1925, c. vii-x ; et Bergson, L’évolution créatrice, et surtout Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, 1932. Dans ce dernier livre, Bergson en appelle à l’expérience mystique, car, si l’intuition adossée à la science est susceptible d’être prolongée, ce ne peut être que par l’intuition mystique. Or, que nous révèle cette intuition ? « Dieu est amour et il est objet d’amour : tout l’apport du mysticisme est là. » P. 270. Et l’analyse de cette idée amène le philosophe à déduire l’idée de la création, l’idée d’un être intelligent et capable lui aussi d’aimer, « raison d’être de la vie sur cette planète », et, pourquoi pas ? d’autres créatures analogues dispersées dans l’immensité de l’espace. Ainsi reprend place, dans le domaine philosophique, la vieille idée anthropocentrique transformée d’ailleurs par les données positives d’aujourd’hui.

Attribuer une telle place à l’homme dans la nature paraîtra bien optimiste, objecte le philosophe. Car tout de suite surgit le tableau des souffrances qui couvrent le domaine de la vie, depuis le plus bas degré de la conscience jusqu’à l’homme. C’est le problème du mal, de la soulïrance physique chez les animaux et chez l’homme, mais aussi de la souffrance morale : « celle-ci, remarquet-il, est au moins aussi souvent amenée par notre faute et de toute manière elle ne serait pas aussi aigué si nous n’avions surexcité notre sensibilité au point de la rendre morbide. » 1°. 279. Voilà le peu que nous dit Bergson sur l’origine du mal moral. L’idée de responsabilité et de péché n’a. chez lui, qu’une place trop faiblement marquée. La souffrance est une terrible réalité, oui, reconnaît-il, « mais l’optimisme empirique nous dit : d’abord que l’humanité juge la vie lionne dans son ensemble, puisqu’elle y lient ; ensuite qu’il existe une joie sans mélange, située par de la le plaisir et la peine, qui est l’état d’âme du mystique. Ainsi l’optimisme s’impose sans que le philosophe ait à plaider la cause de Dieu. » « Reste que le monde est bon, remarque le I’. Sert illanges résumant Bergson ; qu’un plus parfait, laissant ouvert le problème du malheur, ne changerait rien ni à la doctrine, ni a l’objed ion, et que la sagesse est donc non de requérir ceci ou cela comme plus digne de Dieu, mais de prendre Idée de sa houle merveilleuse en contemplant ce qu’il a fait. I.n oie intellectuelle, mai (032, p. 21 I.

Celle réponse de Bergson au problème de la valeur du monde ci île l’homme est grandiose en ce qu’elle assigne a l’univers et a l’homme une finalité magnifique : i faire dis aides fie l lieu, fournir IcITort m aire pour que s’accomplisse, |uaque sur notre planète réfractaire, ii Fonction essentielle de l’univers qui est

DICT. ni ; tiii’oi.. CATHOL.

une machine à faire des dieux. » P. 343. Par là, elle se rapproche de la doctrine des mystiques chrétiens et de la révélation qui les inspire et les guide. Elle s’en éloigne cependant beaucoup, et souffre de graves lacunes en ce qu’elle ne tient aucun compte d’une des suggestions les plus profondes de ce mysticisme chrétien que Bergson cependant veut consulter : à savoir, l’idée de la perfection originelle de l’œuvre de Dieu et l’idée de la misère de l’homme expliquée par l’abus originel de la liberté humaine. Cette suggestion, qui trouve une large interprétation philosophique dans le système du personnalisme de Renouvier, ne trouve pas d’écho dans celui de Bergson. Pourquoi ? Sans doute, comme le remarque le P. Sertillanges, op. cit., p. 361, « parce qu’il a trop distendu le lien qui rattache la personnalité morale à la cause première ». Le naturalisme de Bergson lui fait méconnaître non seulement le surnaturalisme chrétien, mais le rend inattentif à cette vérité inscrite cependant dans l’expérience : la liberté humaine, ici-bas, est génératrice, par ses abandons, de mal et de souffrance.

En définitive le naturalisme, depuis sa rupture, au début de l’âge contemporain, avec le sens de l’élévation au surnaturel et d’une déchéance morale par l’abus de la liberté aux origines, n’a pu se tenir à une conception équilibrée de la valeur du monde et de l’homme et n’a fait qu’osciller entre un extrême optimisme au siècle passé et un pessimisme plus ou moins accentué de nos jours. Au milieu de cette instabilité des systèmes naturalistes, l’Église se tient fixement à sa voie moyenne traditionnelle entre l’optimisme et le pessimisme : à savoir, l’affirmation de la perfection relative originelle de l’homme, la déchéance de cette perfection par l’abus de la liberté et la restauration de l’homme dans la voie qui le mène à l’adoption divine par le Rédempteur.

2° Les répugnances de la conscience moderne en (ace de l’idée d’une responsabilité collective par solidarité avec Adam dans le péché et dans la peine. — La conscience contemporaine affirme jalousement le caractère sacré, essentiellement incommunicable, de la personne morale, de la volonté libre, du mérite et du démérite ; elle tient la responsabilité pour quelque chose de personnel, d’impossible à transmettre. L’idée de péché évoque pour elle l’idée d’un acte volontaire, issu des profondeurs de la personnalité, consciente et libre.

Dès lors, le péché originel ne peut être un péché proprement dit, contracté par les fils d’Adam au premier moment de leur existence ; l’enfant, à cet âge, est incapable de pécher, puisqu’il n’a pas de vie consciente et volontaire. « Comment l’aurais-je fait, si je n’étais lias né ? A moins d’admettre ou la préexistence des âmes ou une sorte de panthéisme humanitaire, comment comprendre cette expression théologique que tous les hommes ont péché en Adam ? » Telle est la question que posait Paul Janet dans Les problèmes du x/x » siècle, Paris, 1873, p. 479.

Admettre une responsabilité qui se transmet par voie de propagation, cela renferme pour lui une contradiel ion absolue : « Quelle est la source du mal ? C’esl la volonté, l’acte propre du moi dans un être Individuel, Or, la volonté est essentiellement Incommunicable. Comment donc le péché pourrait il se transmettre par l’hérédité ? On allègue la transmission héréditaire des maladies : niais c’est une transmission toute physique ; tandis que, dans la doctrine théologique, c’est le péché même, la volonté viciée, qui se transmet d’individu en individu, i l’aul Janet, L" philosophie df Lamennais, dans Repue des Deux Mondes. 15 mars lKX’.t. p.

D’ailleurs, si l’on admet la transmission par hérédité, pourquoi le seul premier péché d’Adam se transmet il

et non pas ses aulies péchés’I CetUI dl ancêtres ?

T. — Ml

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