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PÉCHÉ ORIGINEL. LE NATURALISME DE ROUSSEAU


viniste d’abord, catholique ensuite, puis de nouveau calviniste, relations enfin avec les philosophes encyclopédistes, se trouve avoir concentré dans son cœur les influences qui travaillaient profondément l’humanité inquiète du xviiie siècle, et avoir donné, après les avoir écoutées, une voix puissante, une force d’expansion étonnante aux idées d’optimisme naturaliste qui imprégnaient alors les esprits. Voir P. M. Masson, La religion de J.-J. Rousseau, Paris, 1916.

Les influences subies par Rousseau.

1. Les

idées ambiantes. — L’idée de la bonté naturelle de l’homme était dans l’air vingt ou trente ans avant Rousseau. Il la trouve dans un livre qu’il a médité : Traité du vrai mérite de l’homme, considéré dans tous les âges et dans toutes les conditions, avec des principes d’éducation propres à former les jeunes gens à la vertu, par Le Maître de Claville, Paris, 1734. Ce livre l’aida à prendre conscience de ses idées maîtresses sur le règne de la droiture et du bon cœur, sur la « nature en sa pureté », sur le caractère « consolant » du christianisme. Et de même, toute sa vie, Rousseau admire

le bon Fénelon », quia révélé à un siècle trop civilisé « l’aimable simplicité du monde naissant, chez qui la nature se montre si belle, si accueillante, conseillère de vertus, messagère de fraternité humaine, pourvoyeuse de plaisirs purs et vrais ». Fénelon n’est point seul à patronner l’idée de nature ; des prêtres, missionnaires ou théologiens, parlent avec enthousiasme « du bon sauvage ». Ainsi les PP. Thomassin, Bulïier, Du Tertre, Rainaud, aiment à parler de < l’âge d’or », « de l’enfance du monde ». Chez ces derniers, le sauvage, l’homme primitif, est un chrétien inconscient. Derrière ces panégyriques du « sauvage », ce qui se cache à peine, c’est, remarque P. Masson, < l’exaltation de la nature, la croyance en sa bonté foncière, et sur cette croyance se fait peu à peu la presque unanimité des esprits ». Op. cit., p. 260.

Ces idées d’un optimisme exagéré se retrouvent dans le Cleveland de l’abbé Prévost en 1732 ; c’est à travers cet ouvrage que Rousseau a pressenti son système. On y prêche, en effet, le Dieu de la nature et de la conscieneequi ne réclame d’autre culte que celui de la fraternité des cœurs ; on y proclame la nature authentique comme foncièrement bonne, supérieure à tous les systèmes et à toutes les religions. C’est déjà l’annonce de l’affirmation de [’Emile : L’homme est naturellement bon. »

A côté de ces influence* qui s’exercent sur Jean-Jacques durant la période catholique « le sa vie, dans le sens d’une croyance a la bonté naturelle de l’homme, s’en ajouteront bientôt d’autres, qui vont énerver de plus en plus, ébranler et finalement détruire, dans son esprit, le dogme du péché originel.

C’est d’abord l’influence de la théologie calviniste qui. après avoir naguère exagéré la corruption originelle, en était venue, avec Turel I iii, à Ident Hier la religion bien entendue avec la loi de nature : Traité de In vérité de la religion chrétienne. Genève, 1748. En 1767, le pasteur VemèS pouvait faire entendre en pleine Genève trois sermons sur la droiture originelle de l’homme. Non seulement on n’y trouve aucune allusion au dogme du péché originel, mais on insiste sur ce fait que l’homme apporte en naissant un pen-Chant inséparable de sa nature pour tout ce qui est

bon, tout ce qui est juste, tout ce qui est honnête.

(, ’esl ce que les philosophes désignent sous le nom de probité innée. La nature et la vertu étaient, a huis

yeux, une seule et même chose. Cité dans P. Masson,

1 i. p. 27.">.

2. L’influence de » encyclopédistes. D’autre part, les amitiés philosophiques de Rousseau avec d’Holbach, Diderot I t, pendant quelques années, avec Voltaire vont, par leur influence, le pousser.. accentuer

l’opposition contre tout dogme révélé, particulièrement contre le « dogme cruel » du péché originel.

Ce n’est point principalement par leurs écrits (Bayle, Dictionnaire historique et critique, 3e éd., Paris, 1720, voir art. Adam, et art. Eve ; Diderot, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 3e éd., Genève, 1778, voir art. Adam, Originel (Péché), Péché), que les encyclopédistes ont agi sur l’esprit de Rousseau. Ces écrits ne font guère que refléter la doctrine courante au xviir 8 siècle ; les problèmes classiques de la nature du péché originel, du mode de sa transmission, ne sont point traités ; ils s’attaquent à certaines thèses augustiniennes sur les effets du péché originel. Leur sens critique ne s’exerce guère qu’à l’égard des légendes apocryphes brodées sur les quatre premiers chapitres de la Genèse. C’est surtout, par ses conversations avec les encyclopédistes, que Rousseau fut initié au rationalisme et à l’antichristianisme de Diderot et de Voltaire.

Voltaire, dès 1722, exploitait contre la religion révélée l’objection tirée des conséquences du péché originel pour les infidèles :

Quoi ! Dieu voulut mourir pour le salut de tous,

Et son trépas est inutile !

Ce Dieu poursuit encor, aveugle en sa colère, Sur ses derniers enfants l’erreur d’un premier père ; Il en demande compte à cent peuples divers

Assis dans la nuit du mensonge ;

Il punit au fond des enlers

L’ignorance invincible où lui-même les plonge, Lui qui veut éclairer et sauver l’univers.

Œuvres, éd. Gamier, t. ix, p. 360-361.

Selon le même auteur, Pascal a écrit ses Pensées pour « montrer l’homme dans un jour odieux ». Premières remarques sur les « Pensées » de Pascal, 1728. « Il impute à l’essence de notre nature ce qui n’appartient qu’à certains hommes. » Tout le poids de la critique voltairienne porte sur le péché originel. Voir aussi du même Voltaire, contre l’optimisme absolu de Leibnitz et l’optimisme chrétien, le Poème sur le désastre de Lisbonne, 1755.

Si l’optimisme naturaliste de Rousseau a des raisons profondes dans le milieu spirituel où il a vécu, la façon originale dont sa conscience et son cœur ont réagi en face des sentiments et des idées du siècle montre en quel parfait accord avec ces sentiments il se trouvait. Aussi, en toute bonne foi, a-t-il pu considérer la religion naturelle et le dogme de la bonté originelle de l’homme comme l’épanouissement de son sentiment intérieur, son propre message, sans intermédiaire d’aucune sorte.

L’optimisme naturaliste de Rousseau.

Rousseau

cherche à établir à la fois la liberté philosophique et la piété religieuse ; il veut trouver un milieu entre le « fanatisme et les lumières ». Dans cet esprit, pour faire, pensc-t-il, la part du feu. il y jette les « mystères absurdes de l’orthodoxe », c’est-à-dire du catholique. L’originalité de sa pensée ne consiste pas a présenter de nouveaux dogmes ou de nouveaux préceptes de morale », mais à supprimer, dans le vieil héritage religieux, ce qui est i confus, embarrasse et contradictoire ». Au nom de quel principe opère- 1 il ce discernement ? Au nom de la conscience) au nom du cœur. Il transporte le centre de gravité du problème religieux de l’objectif au subjectif, du point de vue de la soumission à une révélation ou à une raison Impersonnelle, aux exigences des besoins individuels du cœur.

Son cœur lui apporte une double intuition : celle de la

grandeur de l’homme et de la houle de Dieu I BlA

d’après cette double Intuition qu’il va rejeter la

i dogme Cruel du péché Originel et établit SB Ihèse

de la bonté naturelle « le l’homme.

Des îTHi. dans nu mémoire sur l’éducation reli-